B. Starchitecture, rayonnement de la ville et attrait de
touristes
Les stratégies mises en oeuvre dans les villes
méditerranéennes que nous étudions poursuivent deux
objectifs principaux : le rayonnement et l'attractivité du territoire.
L'accueil de grands événements est une manière de rayonner
et de mettre en lumière les différents projets urbains. Cependant
il existe d'autres moyens de mettre en oeuvre ce genre de stratégie.
Bilbao a par exemple opté pour la starchitecture.
Faisant appel à Franck Gehry pour concevoir l'équipement culturel
présent au sein de son projet urbain, Ria 2000 a ainsi
réussi à attirer l'attention sur la ville du pays Basque. Dans
une volonté de se faire connaitre à l'international, il a
très vite été décidé de rompre avec la
culture locale, l'appel à un architecte étranger s'est donc vite
imposé.
L'ouverture du Guggenheim dans cette ancienne cité
industrielle peut être considérée comme un
événement en soi, car les touristes sont autant attirés
par les collections du musée que par le musée en lui même.
Véritable emblème de la ville, le musée Guggenheim a eu un
impact énorme sur la ville, en attirant près de 1,3 millions de
visiteurs la première année ; la « cité noire »
est devenue en 1998 la destination à la mode.
Avec le Guggenheim, l'aura de la ville est devenue
planétaire répondant ainsi à la stratégie de
rayonnement que s'est fixée la ville.
Figure 6 : Le Musée Guggenheim à Bilbao de
Frank Gehry
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Source : Site ofÞciel du Musée Guggenheim
Bilbao
Pour Bilbao, le bénéfice a été
spectaculaire. Cet investissement a transformé l'économie et
ouvert une nouvelle époque pour Bilbao, affirme Andoni Aldekoa, le
directeur général de la mairie 14 . Néanmoins
« ce musée témoigne aussi de l'énorme pouvoir
d'un objet architectural, qui peut changer la société et les
mentalités », observe l'architecte Juan Coll-Barreu. Il a par
ailleurs fortement marqué le monde de l'urbanisme et de l'architecture.
Le bâtiment met immédiatement le monde de l'architecture en
effervescence, comme l'avait fait avant lui le Centre Pompidou, à Paris.
De même que le Centre Pompidou, le Guggenheim de Bilbao a cassé
les codes de l'architecture. Non seulement par ses formes organiques,
complètement inattendues pour un bâtiment de cette ampleur, mais
par la nouveauté des outils de conception et par l'influence qu'il a
eue.
L'effet Bilbao s'est aussi fait ressentir dans le monde de
l'urbanisme et sur les projets urbains. En apparaissant comme un modèle
à suivre, le projet urbain de Bilbao a imposé la mise en avant de
la culture au coeur des projets urbains, mais il a aussi consacré le
recours à des architectes de renommée internationale. En effet,
en 2004, 26 villes portuaires du pourtour méditerranéen
déclaraient avoir eu recours à des architectes de renommée
internationale pour leurs projets urbains. Bien que pouvant être
justifié par la qualité des projets architecturaux, l'appel
à des architectes de renommée internationale est aussi une
manière de faire du marketing territorial.
« En ce début de XXI° siècle, les
décideurs locaux identifient l'association entre « marque de
musée » et marque d'architecte » comme une stratégie
urbaine leur permettant à la fois de se développer
économiquement et d'émerger sur la carte du monde : une
stratégie par conséquent intrinsèquement liée
à des enjeux d'image de marque, d'identité de marketing
territorial ainsi qu'à un développement touristique » 1
5.
Cependant il faut remarquer que l'image que véhiculent
ces bâtiments iconiques n'est pas celle de la ville vécue, mais
est une image de réalité photographiée et largement
véhiculée par les médias. Elle encourage la dissociation
entre la réalité perçue par les habitants et l'image que
reçoivent les touristes.
Néanmoins beaucoup de villes ont opté pour la
starchitecture ou font appel à de grands architectes. Permettant entre
autre de communiquer et d'attirer l'attention sur les mutations de son espace
portuaire, Gênes a elle aussi eu recours à un grand nom de
l'architecture, Renzo Piano. Bien que le schéma ne soit pas le
même car Renzo Piano est d'origine Génoise, la volonté est
la même : faire parler de la ville et attirer des touristes ou des
investisseurs. La stratégie mise en place et l'appel à un
architecte de ce rang permettent à la ville de communiquer et de faire
parler d'elle sur la scène internationale. Outil incontournable du
marketing territorial, les architectures iconiques s'inscrivent pleinement dans
une stratégie touristique urbaine.
Cependant si l'on s'intéresse aux effets que peut avoir
une stratégie uniquement tournée sur le tourisme, ceux-ci sont
variés et peuvent avoir des répercussions négatives.
14 R. Rérolle, La déflagration Guggenheim,
Le Monde 28 aout 2013.
15 M. Gravari-Barbas, Aménager la ville par la culture
et le tourisme, p.54.
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Bien entendu l'attractivité et l'attrait de touristes
encouragent l'économie d'une ville, créent des emplois dans
divers domaines (principalement des services, comme la restauration et
l'hôtellerie), et peuvent relancer une ville en crise. Néanmoins
quelques points négatifs peuvent être ajoutés au tableau
pour nuancer les bienfaits des stratégies touristiques mises en place
par les villes méditerranéennes de l'Europe occidentale.
Bien que les stratégies urbaines mises en place par les
villes soient faites pour les citoyens, et pour que ceux-ci profitent des
emplois induits par l'arrivée de touristes, de plus en plus de villes
négligent les investissements d'infrastructures tels que les
hôpitaux, les écoles, les centres de recherches ou encore les
incubateurs d'entreprises. Moins vendeurs que les grands équipements
iconiques, ceux-ci sont pourtant nécessaires pour le bon
développement d'une ville. Valence s'est inscrite dans ce
schéma.
En investissant massivement dans la Cité des arts et
des sciences, prolongement de l'opération « Balcon sur la mer
» et en misant sur les grands événements tels que la coupe
de l'America, ou l'accueil d'un circuit de F1, la ville a orienté sa
stratégie de développement dans le tourisme. Or quinze ans
après le lancement de la stratégie de Valence, bien que la ville
soit plus attractive qu'en 1998, il faut observer que le territoire est
aujourd'hui en grave crise financière. La communauté valencienne
est aujourd'hui la région espagnole la plus endettée, avec une
dette s'élevant à 32,9% de son PIB en 2014. Selon l'Institut
Valencien de Recherche Économique, les grands évènements
représentent 20% de la dette, ce qui amène à se poser des
questions sur la viabilité d'une stratégiee basée
uniquement sur l'accueil de grands événements. Cet institut nous
montre par ailleurs que le revenu moyen des valenciens est aujourd'hui de 12%
en dessous de la moyenne nationale, alors qu'il se situait dans la moyenne il y
a 15 ans. Les retombées économiques des grands
événements ne sont donc pas pour la population, mais pour
quelques uns, qui ne font malheureusement pas toujours tourner
l'économie d'un territoire.
Ceci peut s'expliquer par le fait que les objectifs
escomptés en matière de richesses créées pour la
ville n'aient jamais été atteints. Bien que le nombre de
touristes ait considérablement augmenté ces dernières
années à Valence, les recettes attendues par les dépenses
de ceux-ci n'ont jamais été à la hauteur des attentes.
De plus, contrairement aux prévisions, le tourisme et
ses retombées ne bénéficiaient pas à l'ensemble du
territoire. Concentrés dans certains lieux, les touristes ne permettent
pas de développer un territoire dans sa totalité. Par ailleurs
les investissements consentis par les pouvoirs publics sont de plus en plus
remis en question par les habitants :
« S'ils se réjouissent globalement que les
efforts de la municipalité aient permis de rendre Valence plus
attractive, ils regrettent une situation de ségrégation entre la
ville des touristes et la leur. Ils voient que leurs impôts ont servi
à financer des infrastructures qu'ils ne peuvent pas utiliser (pour des
raisons de coûts d'accès et/ou de barrières plus
symboliques comme l'utilisation de l'anglais ou le choix de sports comme les
régates ou de F1 qui ne sont pas précisément les plus
populaires) alors que les politiques d'austérité ont
réduit les dépenses publiques partout ailleurs » 1
6.
Les discours se structurent donc aujourd'hui autour d'une
opposition entre les touristes et les habitants, et ceux-ci se sentent
lésés par rapport aux premiers.
16 F. Pecot, Ce que nous apprend l'exemple de Valence sur le
développement de Marseille, Slate 12 décembre 2014.
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Un fort sentiment anti-touristes peut alors émaner chez
les habitants comme à Barcelone ou dans d'autres villes touristiques. Le
cas barcelonais peut amener à se poser des questions notamment lorsque
l'on s'intéresse au parc Guell : celui-ci en raison d'une
afßuence trop importante et de problèmes d'entretien en
découlant, est devenu payant, pour tous, à partir d'octobre 2013.
N'est-il pas étrange, et inconcevable, pour un citoyen de payer pour se
rendre dans un espace public, qui plus est fait partie du patrimoine de sa
ville.
Aujourd'hui les limites du tout-tourisme commencent à
se percevoir, notamment pour le bien commun. Le tourisme est certes
bénéfique à un territoire, mais lorsque l'afßux
massif de touristes nuit aux populations locales, des questions sont à
poser et les stratégies à revoir.
Les limites du marketing territorial sont perceptibles aussi :
celui-ci a trop longtemps dicté la politique d'un territoire aux
dépens des politiques de développement. Il faut rappeler que le
marketing territorial est bien sur nécessaire pour valoriser un
territoire, mais ne constitue jamais une fin en soi, ce n'est qu'un outil qui
doit être utilisé en fonction de la vision et de la
stratégie mise en place.
Aujourd'hui les différents projets urbains que nous
étudions répondent à une politique de rayonnement et
d'attractivité ; néanmoins les outils et politiques mis en place
ne doivent pas se substituer à une politique de développement qui
serait profitable aux territoires.
D. Des modes de faire spécifiques et un urbanisme de
projet
Après avoir vu les ressemblances des différents
projets urbains des villes étudiées, les stratégies
auxquelles ils doivent répondre, intéressons nous aux modes de
gouvernance mis en place, et voyons comment ceux-ci ont consacré
l'urbanisme de projet.
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