B. « Waterfront attitude »
Comme nous avons pu le voir les espaces arrières
portuaires présentent de belles opportunités pour
développer de nouveaux quartiers. Cependant cet urbanisme de
reconquête des fronts de mer et des friches industriallo-portuaires n'est
pas récent.
Selon Chaline et Marshall, plusieurs générations
de waterfronts peuvent être distinguées (voir graphique
complémentaire n°2 placé en annexe). Les premières
interventions ont dans un premier temps concerné les villes du Nord-Est
des États Unis comme Baltimore ou Boston. Visant principalement la
reconquête d'une centralité perdue, ces opérations se sont
intéressées à la reconversion physique et fonctionnelle
des emprises des ports anciens afin de lutter contre la désertification
et la dégradation des centres villes. Afin de remplir les objectifs
fixés, ces opérations ont été dotées de
fonctions urbaines exceptionnelles, notamment des market places qui
feront leur apparition au cours des années 1970.
La deuxième génération de
waterfront s'apparente à une reconversion de la base
économique locale et à une requalification physique concernant un
vaste territoire. L'opération des Docklands de Londres initiée
dans les années 1980 est représentative de cette deuxième
génération.
Aujourd'hui, avec un état d'avancement
différent, ce sont les villes du Sud-Ouest de l'Europe et de l'Afrique
du Nord qui sont concernées par des opérations de reconversion
urbaine sur leur front de mer. Selon une étude de l'IRSIT concernant les
villes portuaires en Europe la quasi totalité des villes du Sud-Ouest de
l'Europe déclarent être engagées dans une «
opération de redéveloppement urbano-portuaire ». Se
caractérisant par une taille contenue, ses opérations recherchent
une nouvelle articulation entre l'espace portuaire et la ville.
Nous allons donc voir dans quelle mesure Barcelone, Bilbao,
Gênes, et Valence font émerger une nouvelle
génération de waterfront, et quelles sont les
caractéristiques de cette génération.
A. Des programmations et des styles architecturaux
similaires
Caractérisée par une forte compression de la
ville sur le rivage et par un espace portuaire relativement peu étendu
ayant du se réinventer sur lui-même, la dernière
génération de waterfront prend place dans des villes
où l'interface ville-port n'était plus fonctionnelle.
Dans un premier temps il faut noter que ces opérations
urbaines, concernent des périmètres relativement peu
étendus, en comparaison aux villes américaines ou par rapport
à Londres, qui représentait près de deux milles
hectares.
Ensuite contrairement aux villes Nord américaines il
apparait que les villes portuaires du Sud de l'Europe pensent la redynamisation
des emprises portuaires non pas comme l'agrégation de différents
projets, mais plus par la planification d'un projet d'ensemble dans une
volonté de repenser l'articulation entre la ville et l'espace portuaire.
Dans ce cadre là « le Waterfront est alors promis à
fonctionner comme une vitrine où seront mises en scène les «
potentialités », « les singularités », les «
modernités » de ces villes portuaires
9 R. Rodrigues-Malta, Une vitrine métropolitaine sur
les quais, p.3.
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aspirant au titre de vraies métropoles
européennes » 9 . La réinvention des relations
ville-port prend alors la forme d'une densification de l'interface entre ces
deux ensembles et se traduit par une volonté de faire la ville avec le
port.
L'exemple de Barcelone est significatif de ce changement de
manière de faire des waterfront. Le projet retenu va implanter
un panel diversifié d'activités et de fonctions urbaines sur un
territoire qui n'en comptait pas. Des activités tertiaires sont bien
sûr présentes dans le projet, mais celui-ci compte aussi de
nombreux équipements culturels et de loisirs. Qualifié de «
pôle culturel », le projet a permis une prise en
considération du port par la ville et une réelle implication de
l'autorité portuaire dans le projet. Celle-ci a porté et a fait
le projet avec la ville, l'interface a donc pu être retravaillée
pour mieux mailler le port et la ville.
L'opération d'urbanisme qu'ont connue Gênes et
son port s'inscrit aussi dans la même lignée. Marqué par
d'importantes coupures urbaines notamment par la sopraelevata, viaduc
routier qui coupait la ville du port, le projet s'est attaché à
réinventer les relations ville-port.
Le départ d'une partie des activités portuaires,
dans les années 1980, a permis de libérer une zone centrale, au
coeur du centre historique, et un accès à la mer qui, auparavant,
n'était ouvert qu'aux travailleurs du port. Cette libération de
l'espace a permis de remettre en avant les liens pouvant exister entre la ville
et le port et a fortement poussé à la mise en place d'un projet
ambitieux sur cette interface.
Figure 4 : Les espaces d'aménagement portuaire et le
projet de tunnel autoroutier de Gênes
Source : IAU IDF
23
Le projet urbain de Gênes, dénommé
Porto antico, a donc dans le même temps
réaménagé les espaces portuaires permettant une
rationalisation de cet espace, implanté des activités urbaines,
principalement culturelles sur d'anciennes emprises portuaires et mis en valeur
le patrimoine historique de la ville.
« Il apparaissait que de plus en plus de villes
accompagnent leur processus de reconversion « d'opérations phares
», destinées aux loisirs et à la culture, aux
activités maritimes et au tourisme, aux commerces, aux activités
directionnelles, etc » 1 0.
S'appuyant sur un équipement culturel
emblématique, tel que le Musée de la mer, le projet met la
culture et les loisirs en avant. Il est aussi à l'origine d'un quartier
d'affaires : San Begnino. Le projet urbain, en valorisant la mer, met en
relation la ville et son port afin que ceux-ci ne se tournent plus le dos.
L'étude de l'IAU sur les grands projets urbains en Europe nous montre
que « cette opération fonde ses racines dans une
réflexion de longue haleine qui concerne la relation ville-port et la
délicate question des infrastructures de transport ».
Si nous nous intéressons à Bilbao, ville
Atlantique, nous pouvons voir que celle-ci utilise la même recette que
les projets de Barcelone et de Gênes. Ville majeure de l'Espagne
industrielle, Bilbao est dans les années 1970 confrontée à
une importante crise économique qui va se traduire par une forte
augmentation du taux de chômage (+20%). Ayant un impact social et urbain
considérable, cette crise va notamment se traduire par une
décadence du système industriel, de hauts indices de
chômage, une dégradation de l'environnement et du tissu urbain,
des processus d'émigration et d'enlisement des populations les plus
précaires.
La ville va alors miser sur une stratégie de renouveau
économique s'appuyant sur une refonte interne à la
métropole du système de transport, sur une réaffectation
d'usage de certaines emprises portuaires et sur l'implantation d'un important
équipement culturel : le Musée Guggenheim. Ceci «
s'accompagne d'investissements dans les ressources humaines, la
régénération environnementale et urbaine et la
centralité culturelle, dans le but de transformer l'obsolète en
opportunité » 1 1.
Les nouvelles relations ville-port se perçoivent
à travers le changement d'usage de certains espaces : les zones
portuaires deviennent des parcs publics ou des quartiers résidentiels,
les quais deviennent promenades et les terrains industriels de nouvelles
centralités pour la ville et la métropole. La ville à
travers son projet urbain reprend alors son destin en main et ne laisse plus le
port et les friches industrielles nuire à son économie et son
système urbain.
Car l'exemple de Bilbao est aussi intéressant à
étudier pour ce qui concerne le changement de destination de sa base
économique. D'une industrie en crise le territoire est devenu,
grâce à un équipement culturel rayonnant, un « exemple
». Bilbao a été l'un des projets urbains les plus en vue ces
dernières années notamment grâce au musée
Guggenheim. L'effet Bilbao a d'ailleurs été étudié
par de nombreux chercheurs et plusieurs villes tentent de reproduire ce
modèle en implantant un équipement culturel dans
10 IRSIT, Les villes portuaires en Europe Analyse
comparative, p.95.
11
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A. Masboungi, Bilbao, la culture comme projet de ville,
p.45.
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des territoires ayant eu pour activité principale
l'industrie. L'exemple de Metz et de la récente ouverture d'une antenne
du Louvre illustre bien ceci. Ce changement de base économique et les
volontés de la ville ont permis une mixité urbaine et
fonctionnelle sur certains espaces, mais s'est aussi accompagné d'un
phénomène de gentrification.
Les projets urbains ont par ailleurs, et c'est le cas pour
Bilbao, entrainé ou favorisé dans leurs sillages des projets
métropolitains. Ils sont la base d'un renouvellement urbain à
grande échelle s'intéressant à d'autres espaces que les
espaces arrière-portuaires. Une réelle stratégie
métropolitaine est mise en oeuvre dans certains cas.
Un constat est donc à faire si l'on s'intéresse
à la programmation des projets urbains de waterfront des villes
Méditerranéenne de l'Europe de l'Ouest : en vantant la
mixité fonctionnelle, les projets urbains modifient
considérablement la base économique du territoire sur lequel ils
s'implantent. En s'appuyant sur les activités tertiaires et innovantes,
ces projets comportent aussi de grands équipements culturels, servant de
locomotive aux opérations.
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