B. Liens avec les autres acteurs publics et
privés
Penchons-nous à présent sur les relations et les
rapports entre l'EPAEM et les autres acteurs, privés ou publics,
d'Euroméditerranée.
Un des acteurs influents est bien sur le GPMM. Ancien
maître des lieux, le port a vu, depuis les années 1995, l'espace
qui le jouxtait fortement se modifier. Établissement public
d'État, le GPMM est un acteur influent car il doit organiser et
gérer l'ensemble du port de Marseille.
Néanmoins avec le recul de ses activités dans
les bassins Est, combinée à la crise sociale et urbaine qu'a
connue l'espace arrière-portuaire, l'opération
Euroméditerranée s'imposait, mais celle-ci se juxtaposait avec le
périmètre du port. Dès le début des
réflexions de 1992/95, le port consacre une mission pour
s'intégrer au projet de rénovation urbaine. Bien que de nombreux
débats houleux aient tourné autour de la frontière entre
les périmètres et les emprises du port 46, une
convention va organiser le statu quo en 1999. Celle-ci va aboutir à
l'accord du retrait du port sur une bande de 45 mètres et au
déclassement du môle du J4. « La crainte de
l'époque était de perdre toutes les emprises foncières du
port et d'entraver l'activité du port » confie Régine
Vinson, actuelle responsable de la mission Ville-Port pour le GPMM.
Un travail en collaboration sur les études de
définition, notamment celle de la Cité de la
Méditerranée, a alors été réalisé.
Concrètement les rapports entre l'EPAEM ou la ville et le port sont
réinventés par le recul du port, le changement de destination des
môles qui s'inscrit dans une logique gagnant-gagnant : le port continue
ses activités alors que d'autres se développent au-dessus. Mais
aussi par des occupations urbaines dans des bâtiments et espaces qui
étaient à la base dévolus au port, le Silo et les
Terrasses du port illustrent ce changement.
Ceci témoigne d'une volonté de
coopération des différents acteurs et prouve la bonne
volonté du port, car souvent ceux-ci n'ont pas les mêmes
intérêts. Intérêt économique pour les acteurs
portuaires contre intérêt citoyen pour les collectivités,
Euroméditerranée semble montrer qu'il est possible de faire
coïncider les deux.
« Bien qu'il soit facile de taper sur le port, nous
voulons la même chose. (É) Une grande différence existe
entre les annonces médiatiques des politiques et les relations entre les
services techniques de la ville et ceux du port. Les politiques sont parfois
trop dans leur rôle et tapent facilement sur le port » 47.
Aujourd'hui les débats entre le port et la ville de
Marseille se portent sur le J1 et son avenir. Utilisé en 2013 comme lieu
d'exposition, la ville de Marseille et l'EPAEM souhaiteraient le
déclasser pour en faire un lieu symbolique
d'Euroméditerranée. Sa position centrale, sur le front de mer
entre le J4 et les tours d'Arenc le rend important. Mais le port ne semble pas
prêt à céder encore son foncier ; celui-ci revendique la
maîtrise du choix des projets réalisés sur le domaine
public maritime que ce soit par l'exercice de la maîtrise d'ouvrage ou
d'une délégation conventionnelle de maîtrise d'ouvrage avec
la constitution éventuelle de droits réels.
46 entretien avec R.Vinson, le 28 novembre 2014.
47 entretien avec R.Vinson, le 28 novembre 2014.
Alors que certains acteurs, comme la ville de Marseille,
souhaite aller encore plus loin dans le déclassement des emprises
portuaires, d'autres comme l'EPAEM estiment que les relations avec le port sont
bonnes et que les négociations foncières sont en bonne voie. Il
ne faut pas oublier qu'il est un acteur économique très important
de l'aire urbaine ; « il ne doit pas disparaitre, mais il doit
s'adapter pour qu'une meilleure relation urbaine, portuaire, économique
s'installe » 48.
Intéressons nous désormais aux relations
qu'entretient l'EPAEM avec le monde privé. Acteurs incontournables de
l'aménagement d'Euroméditerranée, les acteurs
privés, promoteurs ou grands groupes mondiaux, sont les bâtisseurs
du nouveau quartier.
Il a toutefois fallu les rassurer pour que ceux-ci
investissent dans Euroméditerranée. Le rôle de l'EPAEM a
été primordial sur ce point, car ce dernier a donné les
garanties de l'investissement public. En s'engageant fortement pour des
aménagements urbains, l'EPAEM a permis d'impulser les investissements
privés. Car ce sont eux qui réalisent les immeubles de bureaux,
les logements et les grands projets d'investissements comme les Terrasses du
port ou l'Euromed Center.
Entre 2004-1995, les pouvoirs publics ont investi 244 millions
d'euros ; ceci a été suivi d'environ 600 millions d'euros
d'investissements pour le privé principalement pour les immeubles de
bureaux de la Joliette. Les principaux investisseurs privés sont Axa
Reim, Difa, Oppenheim, Vassale, BNP Paribas, Starwood, ING, la Caisse
d'épargne et le Crédit Agricole 49 . Salué par
la presse spécialisé, ce montant d'investissement public ne prend
néanmoins pas en considération les projets entrepris par les
collectivités. Le prolongement du tramway 2, traversant
Euroméditerranée, le futur hôpital Paré-Desbief dans
le périmètre et d'autres investissements publics comme les
équipements de proximité ne sont pas comptabilisés dans
les 244 millions d'euros. Il convient donc de relativiser le ratio
avancé par l'EPAEM d'un euro public investi entrainant 3 euros
d'investissements privés. Cependant l'investissement privé est
très important sur ce périmètre réduit. La
classification en OIN a joué un rôle important pour rassurer les
investisseurs privés.
Par ailleurs il faut relever qu'aucune ZAC
d'Euroméditerranée ne s'équilibre financièrement en
raison des montants de travaux d'infrastructures publiques à construire.
L'intervention publique de l'EPAEM s'est donc attachée à
équilibrer les différentes opérations avec des subventions
publiques. Cela a été réalisé afin de pouvoir
vendre des droits à bâtir à un coût raisonnable ;
sans cela aucun privé n'aurait investi dans le projet.
L'investissement privé dans le projet montre un
intérêt, ou un regain d'intérêt, pour la cité
phocéenne et lui confère une place de métropole où
il faut investir. Là encore le changement d'image est important, et
celui-ci a été permis par l'EPAEM et par la fiabilité que
la structure présente.
48 entretien avec A.Sorrentino, le 27 novembre 2014.
49 B. Bertoncello, J.Dubois, Marseille
Euroméditerranée accélérateur de
Métropole, p.182.
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Nous l'avons vu Euroméditerranée est un
énorme projet de redynamisation économique et urbain d'un
territoire arriéro-portuaire en forte crise. Impulsé par
l'État dans les années 1995, les premières
retombées sont aujourd'hui visibles et une vie commence à
s'installer dans ce nouveau quartier.
En réaménagement différents espaces,
autrefois sous l'emprise du port, le projet urbain a réinventé
les relations ville-port et les usages du territoire. Le récent prix
d'urbanisme, décerné par l'École d'Urbanisme de Londres
pour les aménagements réalisés sur le front de mer, montre
qu'aujourd'hui le projet est reconnu et approuvé par une majorité
d'acteurs de l'urbanisme.
S'appuyant sur un marketing urbain soigneusement
étudié, Euroméditerranée met en valeur le littoral
et s'inscrit dans une stratégie de reconquête du front de mer au
Nord. Cette stratégie s'appuie tout principalement sur
l'attractivité et le rayonnement du nouveau quartier. Composé
d'objet architecturaux remarquables, Euroméditerranée
réinvente la maritimité en vendant une image très
flatteuse de Marseille, mais qui correspond plus au modèle de la ville
nord-européenne qu'à la ville méditerranéenne. Le
projet s'inscrit par ailleurs pleinement dans les opérations de
waterfront que connait l'Europe méditerranéenne ces
dernières années.
Se vendant comme un accélérateur de
métropole, le projet urbain est aujourd'hui au coeur du système
métropolitain de l'aire urbaine de Marseille. Situé sur une seule
commune, Euroméditerranée est néanmoins un projet
d'envergure métropolitaine. En réunissant les différentes
collectivités autour de la table, en répondant à des
problèmes de transport au coeur de métropole et en installant un
quartier d'affaires permettant de diriger l'ensemble d'un territoire
métropolitain, le projet montre qu'il peut être qualifié de
métropolitain. La deuxième ville de France avait besoin d'un
projet de cette envergure pour changer et sortir de son statut de ville
portuaire. Pourtant de nombreuses questions, comme la place des habitants,
où la mixité sociale et fonctionnelle n'est pas encore
résolue.
Bien que non parfait, Euroméditerranée a
cependant une belle réussite à afficher : la réunion des
acteurs publics. En effet dans une ville qui était dans les
années 1980/90 en proie à une profonde crise sociale,
économique et urbaine et tétanisée par un immobilisme des
politiques locales, le projet les a réunis et a permis de montrer que
Marseille était une ville dynamique. Avec un territoire marqué
par la présence de l'État et par une OIN, l'EPAEM a réussi
à mettre autour de la table les différentes collectivités
pour que celles-ci se saisissent du projet, instaurant ainsi un nouveau
modèle à Marseille, un modèle basé sur le
partenariat et qui pourrait servir pour la gouvernance de la future institution
métropolitaine.
Néanmoins si le projet permet une modification
structurelle du territoire, il convient de ne pas le glorifier au vu des
nombreuses problématiques qu'il soulèvent et auxquelles il n'a
pas répondu. La comparaison avec les autres villes
étudiées nous montre cependant que ce genre de projet peut faire
émerger une métropole, comme ce fut le cas pour Bilbao, ou faire
plonger un territoire, comme pour Valence.
Les prochaines années nous diront si
Euroméditerranée est réellement de dimension
métropolitaine, et si celui-ci a encouragé la métropole.
La réussite d'Euroméditerranée se jugera aussi sur
l'élargissement du périmètre et de la prise en compte des
habitants. Si le quartier devient vivant et pratiqué par les habitants
du territoire métropolitain, celui-ci aura alors réussi son pari,
tout comme si le dynamisme issu du projet dépasse les limites du
périmètre.
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