D. L'EPAEM : un jeu d'acteurs complexe dans une
métropole complexe
Marseille est une ville qui suite aux délocalisations
d'une partie du port, a connu de nombreux problèmes notamment sociaux.
Aggravée en parallèle par un désengagement des politiques
sur certains territoires, la situation marseillaise est problématique au
début des années 1990. Néanmoins, l'État se
décide pour intervenir ; nous allons donc plus précisément
nous intéresser à la manière dont celui-ci intervient en
étudiant le mode de gouvernance de l'EPAEM, puis nous verrons quels sont
les autres acteurs publics et privés qui sont associés.
A. Mode de Gouvernance de l'EPAEM
Comme nous l'avons vu dans la première partie,
l'Établissement Public d'Aménagement
EuroMéditerranée fut créé le 13 octobre 1995, suite
aux rapports Masson et Weiss. Bien que le projet ne soit pas encore bien
défini, l'établissement public est tout de même mis en
place et s'appuie sur une logique partenariale, suivant un schéma
novateur.
Mobilisant très fortement sur les collectivités,
l'EPAEM associe l'État, la région PACA, le département des
Bouches-du-Rhône, MPM et la ville de Marseille. Si l'on
s'intéresse aux financements de l'établissement public, il est
prévu que l'État apporte 50 % de ceux-ci, que 25 % des
financements soient soutenus par la ville de Marseille, et que le
département et la région contribuent à hauteur de 10 %
chacun au financement de l'EPAEM. MPM complète le financement avec un
apport de 5 % du total. Bien qu'étant une opération
d'intérêt national, la répartition du capital
témoigne de la volonté d'État de ne pas assumer seul la
responsabilité financière et politique du projet.
Figure 20 : Schéma de répartition des
financements de L'EPAEM

10 %
25 %
10 %
5 %
50 %
État Ville Région Département MPM
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En associant ainsi les différentes collectivités
au projet, l'État a souhaité engager une nouvelle forme de
coopération entre acteurs locaux, en créant par là de
nouvelles dynamiques. Ainsi dans un contexte post-décentralisation,
l'État n'a pas offert un projet urbain totalement finalisé
à la ville, mais il a permis d'instaurer un cadre institutionnel pouvant
servir de bases pour une discussion entre les grands acteurs de
l'aménagement.
« L'étude du jeu des acteurs tendrait ainsi
à confirmer l'hypothèse d'une tentative de l'État de
placer aujourd'hui Marseille dans une situation de non-retour qui obligerait,
par la suite, les acteurs locaux à porter le projet à son terme
» 40.
L'État instaure donc à travers
Euroméditerranée un projet et une méthode. Tout en donnant
les grandes lignes directrices, celui-ci se pose en coordinateur à
travers l'EPAEM. Ce rôle de coordinateur est par ailleurs inscrit
à l'article 3 du protocole de partenariat
d'Euroméditerranée :
« La mission de l'EPAEM est de veiller à la
cohérence du projet en liaison avec les différents maîtres
d'ouvrage publics et privés et de réaliser sous sa propre
maîtrise d'ouvrage les opérations d'aménagements
visées dans le présent protocole » 4 1 .
Ainsi l'exemple de Marseille illustre bien les changements de
l'action publique. Il met en avant le poids des dispositifs de coordination
d'une action procédurale dans laquelle la mise en cohérence prend
beaucoup d'énergie.
« La logique de partenariat dans les
opérations d'aménagement ne modifie pas seulement les relations
entre les acteurs, mais les acteurs eux-mêmes. Désormais chacun
est centré sur la relation avec les autres avant de l'être sur sa
propre tâche » 42.
Bien que plus long à mettre en oeuvre, le projet est
cependant mieux accepté par les différents acteurs publics, car
ceux-ci vont être impliqués dans le Conseil d'Administration de
l'EPAEM. Avec une répartition proportionnelle au financement des
sièges au conseil d'administration, les collectivités sont les
vraies garantes de l'opération. Comptabilisant au total 20 membres, le
CA de l'EPAEM compte 9 représentants de l'État, relevant de 6
ministères différents, 3 représentants de la ville de
Marseille, et deux sièges pour les collectivités restantes. Un
représentant du GPMM et une personnalité qualifiée
nommée par le Premier Ministre siègent également au
Conseil d'Administration de l'EPAEM.
Outil institutionnel dans lequel se prennent les
décisions, le CA se réunit deux à trois fois par an, et
est préparé par de nombreuses réunions des services
techniques des différentes collectivités. C'est dans ces
réunions entre services techniques que sont préparées les
délibérations et décisions du Conseil d'Administration. De
fait les réunions du CA sont souvent consensuelles et enregistrent des
décisions et des accords pris en amont.
« Ainsi, théoriquement maître du
processus décisionnel, l'EPAEM est en pratique tenu de composer avec ses
partenaires locaux, tout en étant jugé seul responsable des
transformations engagées sur le site. La situation est d'autant plus
complexe que l'EPAEM est contraint, dans son fonctionnement quotidien, de
s'appuyer sur des procédures - ZPPAU, OPAH, PRIÉ - dont il n'a
pas la
40 B. Bertoncello, J.Dubois, Marseille
Euroméditerranée accélérateur de
Métropole, p.168.
41 Protocole de partenariat d'Euroméditerranée
pour la période 2006-2012, p.6.
42A. Bourdin, L'émergence d'une nouvelle
figure de l'aménagement.
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maîtrise, soit parce qu'elles échappent
à ses compétences, soit parce qu'elles débordent de son
périmètre » 43.
Les collectivités territoriales sont donc les vraies
garantes de l'opération. De plus le consensus est obligatoire pour que
l'opération suive son cours. La figure d'une maîtrise d'ouvrage
forte est aussi remise en cause car l'EPAEM doit ainsi assurer la coordination
d'une maîtrise d'ouvrage diversifiée. Il se doit de composer et de
coopérer avec les autres acteurs publics. Bien qu'il s'agisse d'une OIN,
l'État ne s'est pas comporté en « maître des lieux
», mais a favorisé le discours et le consensus. Après plus
de 20 ans, ce système a fait ses preuves : il a permis à chaque
acteur de dépasser son champ de compétences en
décloisonnant celles-ci, et a permis de monter un projet urbain
ambitieux dans la cité phocéenne.
Par ailleurs, il faut remarquer que le mode de gouvernance de
l'EPAEM a su résister aux aléas politiques. Ayant vu plusieurs
gouvernements de bords opposés se succéder, et rassemblant des
collectivités territoriales ne partageant pas toujours les mêmes
idées politiques, l'EPAEM a su rassembler.
« Le consensus est solide parce que nous sommes
partis d'une stratégie générale, fruit de longue
discussions, et que nous avons recherché ensuite des solutions
adaptées aux solutions particulières des partenaires mais
toujours en nous référant à la stratégie
définie collégialement » 44.
De plus, le projet urbain contrairement à d'autres
villes françaises n'est pas personnalisé en la présence
d'un maire ; ceci le renforce sans aucun doute. Le pilotage partenarial
droite-gauche annihile toute tentative d'un élu de s'approprier le
projet, et comme le confie A.Sorrentino : « L'EPAEM doit rester une
structure indépendante de la ville, condition pour que la région
et le département reste partenaires ». Contrairement à
d'autres villes comme Lyon ou Bordeaux, le maire ne s'est pas identifié
au projet urbain, et ne l'a jamais repris à son compte.
Cependant, si jusqu'à maintenant le consensus s'est
bien passé, une élue de la ville de Marseille avoue qu'
« aujourd'hui les financements ont changé, il faudrait aussi
que la répartition au CA change » 45 . Bien que
l'opération suive son cours, les rapports de force sont permanents au
sein de l'EPAEM. L'État et la ville se confrontent sur le sujet de
l'attribution des sièges du CA, ce qui montre aussi une volonté
de la ville de s'impliquer plus dans le projet.
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43 B. Bertoncello, J.Dubois, Marseille
Euroméditerranée accélérateur de
Métropole, p.162.
44 Marseille Euromediterranée, la consultation pour
Euromed Center,
45 entretien avec L. Caradec, le 28 novembre 2014.
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