B. Un nouveau morceau de ville pour la métropole
?
Au croisement des volontés de l'État et de la
ville, Euroméditerranée est pensée comme un projet
économique d'envergure métropolitaine. L'ouvrage du POPSU,
écrit par Brigitte Bertoncello et Jérôme Dubois
titré « Marseille Euroméditerranée,
accélérateur de Métropole » nous renseigne sur
l'échelle que souhaite toucher le projet.
Cependant il convient de se pencher sur les objectifs de
l'opération, afin de voir dans quelle mesure ce projet est ou non
métropolitain. Nous étudierons aussi les moyens mis en oeuvre et
les logiques dans lesquelles s'inscrit l'opération.
Nous verrons ensuite les différentes opérations
d'Euroméditerranée, et les objectifs et problèmes qu'elles
doivent résoudre. En dernier lieu nous verrons comment le projet urbain
traite l'espace public et comment Euroméditerranée
réaménage l'interface ville-port.
A. Teneur du projet et objectifs initiaux
Compte-tenu des difficultés de la ville dans les
années 1980 / 1990, le rapport Masson préconisait une
thérapie de choc sur Marseille. Pour l'EPAEM et son actuel directeur du
projet de territoire, la base du projet a été de «
répondre à l'urgence » ; dans le milieu des
années 1990 l'urgence à Marseille était
économique.
Résultant de la situation socio-économique
critique de la ville, la programmation initiale
d'Euroméditerranée va faire la part belle aux activités
tertiaires car sur les 1 200 000 m2 de SHON prévus la
moitié est destinée à l'immobilier d'entreprises.
Reprenant l'idée des années 1970, de diriger la métropole
depuis les tours, Euroméditerranée est sensé
répondre au déficit de la ville en terme de mètres
carrés de bureaux : le but est de rattraper le retard de la ville par
rapport à d'autres grandes villes comme Lyon ou Lille.
Dès le début de l'opération la
volonté est, à travers une offre de bureaux haut de gamme, de
réimplanter des fonctions tertiaires et des emplois dits
métropolitains à Marseille. Se basant sur le fait qu'un emploi
« de col blanc générerait 1,5 emplois de services »
26, Euroméditerranée va se fixer comme objectif la
réduction du taux de chômage à Marseille et principalement
dans le quartier de la Joliette et dans le centre-ville. Avec comme objectif la
création de 20 000 emplois sur quinze ans,
Euroméditerranée est une opération qui ne cache pas ses
ambitions économiques.
Le regroupement de ses emplois métropolitains et des
fonctions décisionnelles sur le périmètre
d'Euroméditerranée est par ailleurs souhaité pour mettre
en cohérence les zones d'activités de l'aire
métropolitaine. La concentration de l'offre de bureaux haut de gamme est
pensée pour créer au sein de Marseille un quartier d'affaires
générant une nouvelle centralité pour l'aire urbaine.
Euroméditerranée trouve alors dans le regroupement des fonctions
décisionnelles un objectif majeur pouvant entre autre permettre de
fédérer le territoire métropolitain, ou du moins le
diriger.
Si par ailleurs des 40 000 nouveaux logements et 200 000
m2 de commerces sont prévus dans le périmètre,
l'opération apparait davantage comme un moteur de développement
économique, ayant pour but de faire rattraper à Marseille son
retard dans ce domaine par
26 B. Bertoncello, J.Dubois, Marseille
Euroméditerranée accélérateur de
Métropole, p.94.
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50
rapport aux autres villes françaises. La volonté
d'inscrire et de relancer la ville dans la compétition internationale
que se livrent les villes méditerranéennes a aussi motivé
la création d'un nouveau quartier sur le secteur de la Joliette.
Au final « Euromed est une opération de
reconquête qui permet la requaliÞcation et l'implantation de
nouvelles fonctions à dominante urbaine, mais qui induit aussi une
délocalisation des classes les plus pauvres dans des secteurs plus
éloignés 27» ; la justification sociale de
l'opération est bien moins évidente à trouver. Bien que
respectant la loi et un nombre minimal de logements sociaux,
Euroméditerranée n'est pas ce que l'on pourrait qualifier une
opération de référence en matière de mixité
sociale. Bien qu'économique, l'opération n'est pas
destinée à tous car « dans les premières
années de l'opération sur les 20 000 emplois crée par
Euromed, seuls 1/3 des marseillais y ont accès »28
.
Le travail sur la contextualisation du projet, comme le confie
A.Sorrentino, n'a pas été évident au début de
l'opération. Critiqué sur ce point et sur l'absence de
mixité sociale et urbaine, Euroméditerranée est depuis ses
débuts tiraillé entre des objectifs économiques et un
minimum social à assurer. Il a fallu intégrer plus de
dispositions sociales tout en montrant que Marseille a aujourd'hui besoin d'un
quartier d'affaires.
« La mixité n'est aujourd'hui pas
assurée car l'EPAEM cherche surtout à faire rentrer l'argent. La
mixité des fonctions est aussi compliquée, par exemple la ville a
du batailler pour l'implantation d'un théâtre dans l'OIN. »
29
L'un des autres grands objectifs du projet concernait aussi le
réaménagement de l'espace public, et la mise en place d'une
interface pertinente entre la ville et le port. En effet la dissociation du
port et de la ville, et la crise industrielle qu'a connue l'espace
arrièro-portuaire ont entrainé la construction d'une «
barrière » entre la ville et le port .
Au fil des ans une véritable frontière s'est
construite à Marseille. Celle-ci se perçoit à travers
l'édification de vastes terre-pleins, d'hangars d'embarquement, de silos
et d'entrepôts, de friches industrielles mais aussi avec le viaduc
autoroutier et les lignes ferroviaires. S'étirant sur une longueur 400
mètres, tous ces éléments ont participé et
accentué l'éloignement entre la ville et la mer. Dès le
début de l'opération, Euroméditerranée s'est aussi
fixé comme objectif de réaménager les espaces publics,
donc Euroméditerranée s'est engagé dans
l'amélioration du cadre de vie des habitants. Ceci s'inscrit dans une
stratégie de reconquête du front de mer au Nord. Après
avoir aménagé les plages du Prado et la Corniche, Marseille a
besoin de développer et d'aménager son front de mer vers le Nord,
bien que ceci soit limité par les emprises portuaires.
27 entretien avec S.Bassile, le 28 novembre 2014.
28 entretien avec A.Sorrentino, le 27 novembre 2014.
29 entretien avec S.Basille, le 28 novembre 2014.
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Figure 11 : Les différentes façades littorales
:
Source : Rapport MAGE
Enfin le dernier grand objectif
d'Euroméditerranée est de mettre la culture au coeur du projet.
Ceci répond et fait écho aux études du CIAT en faveur de
l'implantation d'équipements culturels dans les projets urbains. La
culture est alors perçue comme une garantie et / ou une condition
nécessaire au bon fonctionnement du projet urbain. En plein rayonnement
et présentant des caractéristiques similaires, Bilbao est
très vite prise en exemple sur ce point. La renaissance de cette ville
industrielle inspire, tout comme la programmation du projet urbain mis en
oeuvre. De plus la volonté de délocaliser le musée
national des Arts Traditionnel Populaire va coïncider avec
l'émergence du projet ; il sera donc décidé d'implanter un
musée national dans le périmètre
d'Euroméditerranée.
Ces grands objectifs que nous venons d'analyser sont de deux
ordres. Selon A.Sorrentino, Euroméditerranée est un projet qui
poursuit des objectifs d'ordre micro : ils concernent les relations ville-port,
l'urbanisme et l'aménagement de l'espace ; et d'autre part des objectifs
d'ordre macro qui s'intéressent à une grande échelle : le
territoire métropolitain et la méditerranéenne dans un
contexte de concurrence internationale des villes.
Si les attentes sont grandes, il faut aussi savoir que «
Euromed est l'opération de la dernière chance pour Marseille
» 30, car « en 1990 la situation de Marseille est
grave, ce qui lui arrive est triste, la ville a raté plusieurs virages,
elle se meurt. ». Les objectifs de l'opération sont certes non
complets au regard des problématiques sociales de la ville, mais ceux-ci
doivent permettre de redynamiser Marseille pour que la ville ne sombre pas dans
le chaos.
Ayant désormais analysé les grands objectifs
premiers d'Euroméditerranée, et ayant pu observer son envergure
métropolitaine, nous allons voir comment ces objectifs se mettent en
oeuvre à travers différentes opérations
30 entretien avec A.Sorrentino, le 27 novembre 2014.
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