C. Volonté d'État et de la ville de
redynamisation de l'espace arrière-portuaire : naissance d'un projet
L'idée d'un renouveau à Marseille est apparu
dans les années 1970 où la ville consciente de son retard
économique a souhaité engager un vaste projet de centre
directionnel dans le centre ville de Marseille. Inspiré de la
Défense et des Central Business District (CBD) qui se
multiplient en Europe et aux Etats-Unis, le projet ne verra au final aboutir
que la construction du Centre-Bourse. Cependant la dynamique est
lancée.
Dans les années 1980 si de nombreux projets n'ont pas
été réalisés, un certains nombre d'architectes se
penchent sur Marseille et plus particulièrement sur le quartier de la
Joliette pour réouvrir la ville sur la mer. C'est notamment le cas de
André Stern et de Guy Daher qui proposent de revitaliser le front de mer
par l'implantation d'activités urbaines.
« Si aucun des projets n'a été
réalisé, ils ont permis la naissance d'un autre regard sur
l'interface ville-port en levant le tabou d'un territoire portuaire
sanctuarisé » 23.
En 1987, les premières études sur une
intervention capable de redynamiser l'agglomération sont émises
par la CCIMP 24 . Cette dernière va alors proposer la
création d'un quartier d'affaires dans le secteur de la Joliette, un
secteur très prisé par les architectes qui multiplient les
exercices de style en faveur de l'aménagement d'un front de mer. Dans le
même temps l'État, par l'intermédiaire de la DATAR, va
prendre conscience des potentialités de la ville notamment dans le cadre
d'échanges et de liens avec le reste de la
Méditerranée.
Les gouvernements successifs sont séduits par une
opération de redynamisation économique et vont pousser celle-ci.
L'acquisition des Docks par la Sari en 1990, et sa reconversion en un
bâtiment tertiaire va dans ce sens. A l'instar de Londres ou Liverpool,
l'ancien bâtiment de stockage est sublimé et sa rénovation
encourage les prises de décisions en faveur d'une action tertiaire de
grande envergure sur ce site.
Cependant au début des années 1990, bien que les
réflexions, études et projets soient posés, aucun ne voit
le jour : le problème principal est l'absence de chef d'orchestre. De
plus, le maire de l'époque Robert Vigouroux ne semble pas prendre assez
rapidement les initiatives qui s'imposent. Par ailleurs les mésententes
politiques et les finances catastrophiques de la ville limitent tout projet.
Conscient du problème, décideurs locaux et
23 B. Bertoncello, J.Dubois, Marseille
Euroméditerranée accélérateur de
Métropole, p.60.
24 CCI, Marseille Provence International, une nouvelle
ambition pour l'économie de Marseille de la Provence dans la perspective
de 1992.
Source : Le moniteur
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nationaux conviennent du fait que Marseille a besoin d'une
« thérapie de choc », permettant de mobiliser les
énergies pour enclencher une dynamique sur l'ensemble de la ville.
C'est en 1992 que le devenir de la Joliette
s'accélère et que les perspectives d'un projet sur ce quartier
changent d'échelle. L'arrivée du TGV à Marseille doit
être accompagnée de la recomposition du quartier en lien avec le
secteur à vocation tertiaire de la Joliette. L'État, par
l'intermédiaire du directeur de la DAU, et la ville vont alors
réfléchir ensemble sur le devenir du quartier.
Au cours de la même année un projet de dimension
« métropolitaine » va peu à peu s'imposer pour tous les
acteurs publics ; celui-ci doit permettre de redynamiser l'économie de
la ville et de l'ensemble de l'aire urbaine, mais doit aussi s'attacher
à répondre aux problèmes sociaux et urbains que connait le
secteur St-Charles / Joliette. Les différentes collectivités, la
Communauté Urbaine, la CCI et la SNCF scelleront un accord dans un
protocole visant à faire appel à l'État.
La mission interministérielle d'aménagement du
territoire confiera donc à Alain Masson la charge d'une étude de
faisabilité d'une opération urbanistique. Cette mission
définira le périmètre, le statut et les objectifs
d'Euroméditerranée. Les résultats sont mitigés et
ne sont pas accueillis favorablement par tous ; pourtant le projet d'une grande
opération économique et urbaine se précise. Les apports de
la mission de préfiguration d'un établissement public
d'aménagement, pilotée par J-P Weiss, aboutiront aux bases sur
lesquelles l'État et les acteurs locaux s'entendront pour créer
en 1994 l'Établissement Public d'Aménagement
d'Euro-Méditerranée (l'EPAEM) en charge de l'opération
Euroméditerranée.
Figure 10 : Périmètre
d'Euroméditerranée

Décrétés Opération
d'Intérêt National en 1995, 310 hectares sont ainsi sortis du
périmètre communal au niveau juridique ; le projet
Euroméditerranée est né à la conjoncture des
volontés locales et nationales. Cependant comme le reconnait Guy Faure,
vice-président de l'EPAEM en 2000 : «
Euroméditerranée était avant tout un grand projet
politique plus qu'un programme de développement urbain » 25
.
Avantageux pour tous les acteurs publics, la création
de l'EPAEM résulte, de ce que Alain Masson qualifiait « d'union
sacrée » : il permet une adhésion des collectivités
et une forte implication de l'État. A travers la réunion des
acteurs publics, Euroméditerranée peut être qualifié
de métropolitain dans la mesure où il réunit les
différents acteurs publics autour d'une volonté d'agir pour un
projet. Cependant le projet ne propose pas de contenu lors de son lancement en
1995. La mise en place des compétences de l'EPAEM et le partage de
celles-ci avec les collectivités a fortement ralenti l'opération
; pourtant ce sont elles les vraies garantes de l'opération. Nous
traiterons plus en détail de ce point en dernière partie. Cela
explique les débuts difficiles de l'opération
Euroméditerranée et qu'en 1997, peu d'actions aient
été entreprises par l'EPAEM.
Pour résumer et ne retenir que les
éléments les plus importants nous pouvons dire
qu'Euroméditerranée prend place dans un secteur urbain
stratégique, mais aussi dans une ville en crise. Fortement
marquée par la délocalisation du port à Fos et par la
décolonisation, Marseille est depuis les années 1970 dans une
situation critique tant au niveau social, urbain et économique.
Pensée pour répondre à l'urgence, l'opération doit
permettre de régénérer la ville sur elle-même, afin
que celle-ci sorte de la spirale descendante dans laquelle elle se trouve.
Nous allons désormais nous intéresser au projet
plus en détail et voir quelles sont ses répercussions sur le
territoire arrièro-portuaire, sur la ville de Marseille et sur
l'ensemble de l'aire métropolitaine.
25 J. Dubois, M. Olive, Euroméditerranée,
négociation à tous les étages, p.4.
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