Annexes
I. L'idée d'impermanence dans l'art,
aperçu historique 100
II. Inventaire des expositions du Palais de Tokyo
105
2001 106
2002 107
2003 111
2004 113
2005 116
2006 (Directorat Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans)
119
2006 (Directorat Marc-Olivier Wahler) 121
2007 123
2008 126
2009 129
2010 132
2011 136
III. Iconographie 137
8
« The recurrent theme of art since World War II has been the
aesthetics of impermanence. » Harold Rosenberg1
Alors que le Palais de Tokyo fêtera en 2012 son
dixième anniversaire, le mémoire souhaite revenir sur son
programme d'exposition. Il escompte mettre au jour la position curatoriale
de l'institution, révéler un leitmotiv qui serait
apte à relier entre elles les différentes manifestations.
Au premier abord, la programmation du Palais de Tokyo est
marquée par la disparité. Large, des figures de la « fin de
l'art » new-yorkais, tel Steven Parrino ou Sarah Lucas, y côtoient
des personnalités d'un art contemporain africain. Des chantres de
l'esthétique relationnelle y croisent des photographes,
peintres et sculpteurs aux supports traditionnels. Ces contradictions semblent
d'ailleurs assumées, tant les intentions du site de création
contemporaine mettent en exergue une certaine indisposition à forger un
nouveau -isme,2 à éviter tout
écueil de dogmatisme. En énoncé sa programmation veut en
effet refléter l'ensemble de la création. Au travers
d'entretiens, les différents directeurs et commissaires insistent
d'ailleurs sur la nécessaire diversité des
expositions.3
S'il est possible de rapprocher des travaux d'artistes, les
motifs qui président à cette sélection ne peuvent
être que transversaux aux médiums, aux supports, aux courants
générationnels. Le mémoire a ainsi choisi de partir des
oeuvres exposées, afin de révéler via leurs champs
sémantiques, les liens pouvant permettre de les rassembler. Comme pour
un commissariat d'exposition, ce travail souhaite inscrire
1 « Thoughts in an Off-Season » in Art on the
Edge : Creators and Situations, Secker & Warburg, 1976
2 Marc-Olivier Wahler in « Dynasty, regard sur
une génération », Richard Leydier, Art Press 369, juillet
2010
3 « La programmation est aussi significative de
l'extrême souplesse et de la diversité qu'il m'a semblé
nécessaire d'imprimer au lieu ouverture à toutes les tendances
comme à toutes les cultures, attentive à la diversité des
courants esthétiques et sensible aux multiples questionnements du monde
contemporain. » Catherine Tasca, Dossier de presse d'ouverture,
Novembre 2001
« Un espace pour un débat esthétique
ouvert. » Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, Dossier de presse
d'ouverture, Novembre 2001
« Les principes directeurs de la programmation sont (...)
susceptibles de se voir contredits par un projet ou un autre... C'est au prix
de cette extrême flexibilité que le Palais de Tokyo, joue son
rôle de laboratoire vivant de la création contemporaine. »
Nicolas Bourriaud, Catalogue de l'exposition Notre Histoire, 2006
9
dans un même lieu, des oeuvres qui en se rassemblant,
émane plus identifiable un concept général. Il veut
articuler des expositions aux approches, idées et thèmes
indépendants, montrer, sous un prisme sensible permettant de les
englober, leur complémentarité. Et quand bien même
l'institution se dit miroir réfléchissant de la création,
la sélection qu'impose une programmation sous-entend une vision claire
de l'idée de contemporanéité. C'est cette idée que
le mémoire vise à éclairer. 4
« Ce qui pemet d'agréger au sein d'un même
lieu des artistes poursuivant des buts et employant des méthodes si
hétérogènes, c'est le fait qu'ils travaillent à
partir d'une similaire intuition de l'espace mental contemporain.5
»
Invités à organiser la Biennale de Lyon de 2005,
les co-directeurs du Palais de Tokyo, Nicolas Bourriaud et Jérôme
Sans, montaient leur commissariat autour de l'idée de
temporalité. Nommée L'expérience de la
durée, la Biennale rassemblait des oeuvres ayant en commun, des
modes opératoires usant du temps comme matériau de construction.
Présentée à Lyon, l'installation de Kader Attia,
Flying Rats, incarne ce processus. L'artiste place dans une volière
des sculptures anthropomorphes construites à partir de graines. S'en
nourrissant, les oiseaux donnent une dynamique à l'installation, qui se
désagrége dans le temps. Comme une sorte de banc de montage sur
lequel l'artiste recomposait la réalité, l'oeuvre évoluait
en fonction des fluctuations inhérentes à la temporalité.
Et en l'automatisant, Kader Attia arrivait à figurer l'impermanence.
N'étant à aucun moment tout à fait la même,
Flying Rats contestait la beauté accomplie et l'ordre
éternel.
Depuis longtemps, la création contemporaine tente de
restituer le mouvement, le flux et l'écoulement du temps. Et dans son
imprescriptibilité à pouvoir être pèle mêle
restituer, elle use de divers stratagèmes plastiques pour exprimer cette
fugacité. À la suite d'une réflexion entamée par
les artistes conceptuels des années 1960-1975,
4 « Comment en effet traduire le bouillonnement
créatif de notre époque sans prendre des risques, sans affirmer
des visions singulières de l'art actuel plutôt que se conformer au
commerce et aux conventions ? » Nicolas Bourriaud et Jérôme
Sans, Dossier de presse, 2002
« Notre principe de départ était de
réunir des tendances éparses qui coexistent à
l'état gazeux et de les rendre plus visibles. » Nicolas Bourriaud,
Notre Histoire, 2006
5 GNS, catalogue de l'exposition, 2003
10
notamment Daniel Buren, « la maîtrise de la
durée et des protocoles temporels devient un enjeu esthétique
majeur, au même titre que la maîtrise de l'espace.6
» Aborder l'impermanence du temps sera ainsi l'occasion, par la
programmation du Palais de Tokyo, de faire un inventaire de la création
contemporaine.
Le caractère continuellement changeant de l'oeuvre
d'art, l'incorporation dans celle-ci du facteur temps, la quatrième
dimension, traduisent l'abolition des principes artistiques traditionnels. Dans
le champ sémantique des oeuvres exposées au Palais de Tokyo,
l'idée d'impermanence peut permettre d'aborder une frange importante de
son programme d'exposition.7 Transversale aux écoles, aux
époques et aux mouvements, cette notion À qui recoupe les
recherches sur le temps de l'oeuvre À peut servir d'outil pour lire
transversalement son programme d'exposition. Les thèmes-phares de
l'institution, l'invisible et le visible, le rapport avec la science À
la physique quantique À avec l'occulte, peuvent être
traversé par cette notion. Tandis que le problème de l'espace et
sa représentation dans l'art a occupé l'attention des critiques
d'art, le problème correspondant du temps et de la représentation
du mouvement a été étrangement
négligé.8 Les deux directorats ont cherché
à combler ce déficit :
Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans (2002-2006) :
« Si les artistes de ces deux dernières
décennies ont autant problématisé le temps, c'est parce
qu'il représente un plan sur lequel il est encore possible de tracer des
signes. 9 »
Marc-Olivier Wahler (2006-2011) :
« L'idée de transformation fait partie de la
réflexion globale qui préside depuis Cinq milliards
d'années. S'il n'y a pas de point fixes
6 Nicolas Bourriaud, « Time Specific », op.
cit.
7 Cf annexe 2 pour une vue d'ensemble de la programmation
8 E.H. Gombrich, Movement and Movement in art,
Journal of the Warburg and Courtauld Institute, vol. 27, 1964
9 Nicolas Bourriaud, « Time Specific »
in Expérience de la durée, Paris musées, 2005
11
dans l'espace, il n'y a pas de point fixes dans les
expositions.10 »
L'idée d'impermanence ne s'oppose pas
diamétralement à celle de permanence. Fonctionnant en relation et
non en attribut, ces deux notions ne sont pas monolithiques. Compte tenu de la
diversité des formes et des intentions sous lesquelles l'idée
d'impermanence s'est présentée au Palais de Tokyo, il
apparaît pertinent de parler de motif plutôt que de genre. Ainsi
cette notion peut aussi bien désigner le fugitif, le contingent,
l'éphémère, le fragile que le déséquilibre.
Considéré sous l'angle du transitoire, l'impermanence peut
être l'infime, le négligeable, le dérisoire, le disparu,
l'abandonné.
Marc-Olivier Wahler, interrogé sur son programme
d'exposition, définit cette impermanence en invoquant la notion de
passage :
« Alors que depuis la renaissance, notre culture, nos
cerveaux, notre manière de voir, a été formatée par
la notion de point fixe, les artistes s'intéressent aujourd'hui à
la dynamique du passage, de la transformation, à toutes les variations
possibles des chemins qui peuvent mener d'un point à un
autre.11 »
Dans ses différents essais, Nicolas Bourriaud souligne
l'importance de l'idée d'impermanence dans le programme artistique du
)()(e siècle12. Dans Esthétique
Relationnelle, il réintroduit la notion d' « espace-temps
». Dans le catalogue de la biennale de Lyon, il introduit celle de «
Time Specific ». Dans Formes de vie, il dresse un historique de
l'idée d'éphémère, mettant en parallèle les
penseurs grecs rétifs à la trace, Socrate, Diogène, et les
figures marquantes de la modernité.
Les oeuvres présentées dans ce mémoire
auront ainsi toutes en commun, comme défini par les deux directorats de
l'institution, d'ouvrir à une compréhension de la matière
fluide du temps, non en la figurant, mais en la rendant sensible.
Différent
10 Veronica Da Costa, « Marc-Olivier
Wahler. L'art contemporain dans son champ élargi » in Revue
Mouvement, Juillet À Septembre 2009
11 Anni Puolakka & Jenna Sutela « The art
and science of the invisible À OK Do met Marc-Olivier Wahler of Palais
de Tokyo » in OK Do, décembre 2009
12 Un aperçu historique de l'idée d'impermanence
dans l'art peut être trouvé en annexe 1
12
d'un sujet d'histoire de l'art, l'objectif du mémoire
n'est pas seulement de montrer la persistance de la marque de son impermanence
dans la création contemporaine. Il s'agit aussi de s'interroger sur
l'idée d'une programmation, et de mettre à jour les liens qui
peuvent la conglomérer.
Problématique :
Quelles sont les modalités de représentation des
différents aspects de l'impermanence au sein de la programmation du
Palais de Tokyo ?
13
I. Contre le monument : précarité,
fragilité et destruction sculpturale
Formé à partir du latin moneo, se
remémorer, le monument célèbre traditionnellement une
personne, un événement. Sa fonction est mémorielle et
édifiante. De large dimension À monumental - il appelle
le passant dans sa conscience historique, lui rappelle son devoir de
révérence. La pensée occidentale s'organise
hiérarchiquement autour de ce monument, non seulement en architecture,
mais aussi en art, littérature et philosophie. Dans ce système
intellectuel, une idée ne peut acquérir une réelle
résonance qu'en se matérialisant, qu'en étant transformer
en un objet solide capable de la commémorer durablement. Au sommet, le
monument est la pierre d'ancrage qui permet au protagoniste de communiquer.
À ce titre, il peut être considéré comme une mise en
ordre, une mémoire implacable qui incarnerait la figure de
l'autorité. Pour George Bataille, le monument est « l'expression de
l'être même des sociétés :
Les grands monuments s'élèvent comme des digues,
opposant la logique de la majesté et de l'autorité à tous
les éléments troubles : c'est sous la forme des
cathédrales et des palais que l'Eglise ou l'Etat s'adressent et imposent
silence aux multitudes. Chaque fois que la composition architecturale
se retrouve ailleurs que dans les monuments (...) peut on inférer
un goût prédominant de l'autorité humaine. 13 »
Les conceptions normées qu'imposent les canons
esthétiques et les règles du voir, incarnées ici par la
figure du monument, brident l'expression profonde de l'être. La
symétrie des villes et le rationalisme qui la sous-entend sont autant de
barrières dressées contre la nature impulsive, le spontané
de l'homme. George Bataille lie dès lors la lutte contre le monument et
la modernité. Dans tous les domaines des arts, la disparition de la
« composition architecturale » que sous-entendait l'académisme
est selon l'écrivain, « la voie ouverte à l'expression, par
là même à l'exaltation. » Le déclin du
monumentale peut être ainsi perçu comme un symptôme de nos
sociétés
13 Georges Bataille, « Architecture » in
Dictionnaire critique, L'écarlate, 1993
14
modernes, celui du défi lancé à tous ceux
qui voudraient affirmer une position d'autorité. Par lassitude et
irrévérence devant les grands symboles, des artistes comme
Karsten Födinger, Michel Blazy, Florian Pugnaire, Romain Signer, Robert
Gober, répugnent à servir la mise en scène de
stabilité qui s'extrapole traditionnellement de la figure du monument.
Ces artistes refusent de servir de décorateur, de servir un grandiose en
quête d'esthétisation. Cette première partie sera
l'occasion d'analyser À à partir de la programmation du Palais de
Tokyo À le déclin de l'autorité sculpturale, entendu ici
comme profondément lié à « l'apparition d'un art
prodigue d'anti-monuments.14 » Dans ses choix
curatoriaux, l'institution valorisait des pratiques artistiques mettant en
valeur le fragile et l'éphémère, le
déséquilibre et l'auto destruction. Et si les oeuvres usent de
procédés divers pour désacraliser le désir
d'éternité, lié à la fonction traditionnelle du
monument, un rapprochement peut être ici opéré dans les
visées que ces oeuvres sous-entendent. Lorsque Michael Elmgreen et
Sébastien Vonier exposent des matériaux de chantiers bruts, ils
opèrent la mise en vestige de l'institution. Comme des ruines
suggèrent en symbolique le transitoire, leurs installations donnaient
surtout à voir la fuite du temps. (chap. 1) Plus en prise avec le
réel, les oeuvres de Michel Blazy montrent le processus de dilatement du
temps en s'entachant de sa marche. Quant à Florian Pugnaire & David
Raffini, ils usent de la mécanique pour montrer ce lent
anéantissement. (chap. 2) A ce corpus d'oeuvre peut être
rattaché des travaux proposant l'illusion d'espace temps annexe. Etienne
Bossut, Ryan Gander, Vincent Lamoureux présentaient des trappes pour se
soustraire du réel, pour disparaître dans une temporalité
autre. (chap. 3)
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