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La marque de l'impermanence dans les expositions du palais de Tokyo

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par Thomas Bizien
Université Paris III - Sorbonne Nouvelle - Master 1 de médiation culturelle 2010
  

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IV.2.b - L'oeuvre exposition

Au Palais de Tokyo, Katharina Grosse occupait tout l'espace lumineux de la grande nef. D'importantes quantités de terre y étaient rassemblées, alliant du sombre, du humus, du claire, de l'argile. Ces formes géoglyphes étaient ensuite recouvertes par l'artiste par de la peinture acrylique en utilisant un pistolet vaporisateur. Débordant sur le mur, l'espace d'exposition principal était transformé en un paysage total, en une immense peinture qui englobait le spectateur en son sein. Intitulé Construction à

152 Daniel Buren, « Entretien avec Suzanne Pagé » in Daniel Buren, les écrits, CAPC, 1991

153 Entretien avec Jérôme Sans, Michael Lin, Palais de Tokyo, 2003

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cru154, construction sans fondation, l'oeuvre se liée à l'exposition et l'exposition devenait l'oeuvre.

Le programme moderniste, tel que définit par Clément Greenberg, tente de donner une indépendance à l'oeuvre. Autoréférentielle, celle-ci doit pouvoir exister pour elle-même, en dehors de tous contexte. À partir des années 1960, en réponse à la doxa moderniste de l'autonomie de l'art, les artistes cherchent à dépasser l'enveloppe du tableau, sa surface englobante. Le tableau n'est plus perçu comme la frontière ontologique de la peinture, comme la « limite du corps enveloppant.155 » L'autonomisation de l'oeuvre perd ainsi de son actualité156. Le travail de Katharina Grosse au Palais de Tokyo montrait ce processus. Installation in situ, la peinture occupait tout l'espace de la verrière, l'oeuvre devenant l'espace d'exposition, l'exposition devenant l'oeuvre. Conçue pour le temps de l'exposition, l'oeuvre était de par nature éphémère. En lien avec son environnement, la peinture perdait de son automatisation. L'oeuvre n'existait pas en dehors de l'exposition. Et si l'exposition est l'oeuvre et l'oeuvre l'exposition, on peut d'une certaine manière y voir une certaine forme de résistance à l'objet. Construction à cru était une oeuvre d'art totale qui ne pouvait laisser échapper des objets, au risque de voir leur « aura » s'annuler. Comme lorsqu'Yves Klein réalise L'exposition du vide, il n'expose pas une oeuvre intitulée Le Vide, mais une exposition présentant le vide, Katharina Grosse produisait une exposition dont les objets ne pouvaient être isolés. Le caractère éphémère de l'oeuvre instituait une tension, donnait à l'ensemble un gage d'authenticité.

IV.3 ... à un art in socius

Au tournant des années 60, l'art commence à s'étendre, d'abord hors des sculptures, hors du tableau, puis occupe l'espace d'exposition en son entier. L'art va même jusqu'à se retrouver au-dehors de ces espaces, notamment dans la pratique du land art. En s'externalisant, les oeuvres accordent une importance grandissante au

154 Fig. #53

155 Aristote, Physique IV

156 « La forme exposition prime désormais sur la forme-tableau ou la forme-sculpture. » Nicolas Bourriaud, Formes de vie, Op. cit.

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contexte où elles prennent place, aux caractéristiques physiques, culturelles et politiques du lieu. Pensée en fonction de l'ensemble des circonstances mises en jeu par l'actualité du site, l'oeuvre s'en inspire et dès lors les reflète. Mais alors que l'art in situ se passionnait pour le lieu de l'oeuvre, les pratiques artistiques contemporaines orientent désormais leur réflexion vers l'idée de réseau, de communauté. Un phénomène que Nicolas Bourriaud identifie en parlant du « passage de l'in situ à l'in socius157 ».

En continuité idéologique avec l'art de la performance, où l'artiste considérait son corps comme un matériau, son ossature comme sculpture, les pratiques in socius prolongent le dédain pour l'objet d'art. Dans ce contexte de la dématérialisation de l'oeuvre, les artistes expérimentent des pratiques qualifiées de relationnelles en raison de leur inscription dans la « sphère des interactions humaines et son contexte social.158 » Bien que visible, comme l'happening, l'acte créatif est ici intangible. Explorant les relations entre art et vie, il ne laisse aucune trace et ne peut être ni acheté ni vendu. Ces événements sont déplaçables. Interagissant dans le milieu où elle prend place, l'oeuvre est incompatible avec l'immobilité pérenne habituellement observée dans la tradition du monument. L'art in socius consacre ainsi l'émergence d'un nouveau rapport aux lieux de l'art dans des oeuvres mettant en formes des ambiances. Comme pour le land art, l'ambition n'est plus de fonder une totalité plus ou moins autonome mais de s'insérer dans un monde éclaté et de tenter d'y faire lien :

« L'artiste des années 80 défie les qualités de permanence, d'immobilité et de non-répétition qui étaient intrinsèquement liées à la sculpture, notamment en la recréant en tant que pratique nomade.159 »

157 Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Op. cit.

158 Nicolas Bourriaud, Op. cit.

159 Hélène Doyon, Hétérotopie : de l'in situ à l'in socius, Université du Quebec, 2007

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