IV.2. D'un art in situ...
Les pratiques in situ se développent à
partir des années 1960. Continuant les voies ouvertes par la
dématérialisation de l'art, des artistes remettent en cause
l'objet et de sa présence. Victor Burgin parle alors
d'esthétique situationnelle. Prenant acte de la
généralisation des moyens de reproduction technique qui
enlève désormais à l'oeuvre son « aura », les
pratiques in situ prennent forme dans l'ici et maintenant.
Éphémère l'oeuvre in situ ne pourra se produire
qu'une seule fois, n'existe qu'à l'endroit où elle se montre.
Sans autonomie spatiale ni permanence temporelle, les pratiques in situ
ne sont rendus accessibles que par l'archive, support à
visée documentaire qui permet le référencement de
l'oeuvre.
IV.2.a - Temporalité de l'oeuvre en site
spécifique
En 2007, le Palais de Tokyo présentait deux oeuvres de
Robert Smithson. Sous la verrière était montré Mirror
vortex (1964), une sculpture en miroir aux perspectives
kaléidoscopiques. Utilisé comme matériau, le miroir
impliquait l'intégration dans l'oeuvre de l'image du regardant, ainsi
que des parties de l'espace de la travée où elle se situait. De
cette façon, l'oeuvre renvoyait toujours à autre chose,
intégrait en son sein le réel environnant. Le miroir agissait
comme un révélateur d'image à jamais actif, à la
différence d'une peinture, d'une sculpture, à jamais figé
dans un ensemble immuable. À côté était
projeté Rundown (1969). Sur cette célèbre
vidéo, une benne déverse une coulée d'asphalte le long
d'une colline des hauteurs de Rome. L'oeuvre
81
est cette coulure fugitive, capté avant de
disparaître. Rundown rappelait les processus d'érosion
déjà exploité dans Spiral Jetty. Pour cette
pièce Robert Smithson déplaçait six milles tonnes de
terres pour former une spirale dans un lac isolé de l'Utah.
Fasciné par les processus d'échange, de mobilité, et de
transformation, l'artiste choisissait le site pour sa forte concentration en
sel, étant sûr que la dégradation viendrait faire patiner
d'une couche blanchâtre la terre déplacée. Dans le de
descriptif de l'oeuvre, il inscrivait d'ailleurs le sel - à
côté de la terre, de l'eau et de la pierre À comme l'un de
ses composants. Aujourd'hui c'est lorsque le niveau du lac est bas
qu'émerge de l'eau Spiral Jetty. Comme l'envisager Smithson,
les blocs ont blanchi. Le sel s'y est enraciné et sert d'indice à
la marque du passage du temps. Partant autonome à « l'exploration
de la structure cristalline du temps150 », comme une immense
fluidité réfléchissante, le sel incorpore dans l'oeuvre
les marques du ressac incessant. Comme du miroir, l'artiste use avec le sel de
matériaux de transparence afin de créer des lieus
réflexifs du temps et de son impermanence.
En formalisant l'oeuvre en fonction du site où elle
viendra prendre place, les pratiques in situ jouent sur la
temporalité. Anti-monuments de la précarité et de la
fragilité, ces installations poussent à accepter les limites,
à reconnaître que la durée n'est pas synonyme de
qualité. Invité à intervenir dans les espaces du Palais de
Tokyo, Daniel Buren présentait Quatre fois moins ou quatre fois
plus151. Première exposition « historique »
dans un lieu consacré à la création émergente,
Nicolas Bourriaud insistait pour rendre hommage à l'investigateur du
terme in situ à l'un des premiers artistes français
à avoir consacré de l'importance au contexte de l'oeuvre. Tout au
long de son activité artistique, Daniel Buren intervient en espace
public, le plus souvent au moyen d'installation éphémère.
La durée des oeuvres qu'il conçoit est toujours fonction
d'adéquation avec le site et de son usage. Prenant en compte la
dimension active du lieu - dimension qui imprimera sa temporalité sur
l'oeuvre - Buren remplit de sens cette désagrégation progressive
:
150 Robert Smithson, « Towards the Development of an Air
Terminale Site » in Writings, 1953
151 Fig. #52
82
« L'éphémérité de l'art,
c'est sa grandeur et sa dignité. Toutes les oeuvres devraient avoir
l'ambition d'être éphémères.152 »
En créant des environnements qui ne vivent que le temps
de l'exposition, les oeuvres de Michael Lin sont aussi conditionnées par
les lieux dans lesquelles elles s'insèrent. Créés pour un
lieu et pour un temps spécifique, ces travaux dépendent des
contraintes propres à leur élaboration. En 2003, l'artiste
présentait Spring, une composition florale peinte à la
main sur le sol du Palais de Tokyo. Mettant le visiteur dans une position
d'iconoclaste, il invitait le public à marcher sur l'oeuvre sans
précaution particulière. Au fur et à mesure, les
piétinements détérioraient inéluctablement les
surfaces peintes.
« Quand on considère la durée de
l'exposition comme un élément à part entière de
l'oeuvre, on envisage déjà l'exposition comme un
événement, et non comme une collection d'objet
exposé.153 »
En changeant notre rapport à l'oeuvre, Michael Lin
interrogeait l'attitude du spectateur, renversait les dispositifs de
création et d'exposition. Plus que de la contemplation, il attendait que
son travail fournisse un cadre à d'autre scénario. Par la mise en
contexte de l'oeuvre, Michael Lin montre bien que la signification de tout lieu
tient aux activités qui s'y déroulent, que l'oeuvre n'est rien de
plus que le théâtre de l'échange social, bref de par
nature.
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