Importance de la de centralisation pour le développement des collectivités territoriales en Haïti. Cas de la commune de l'Acul-du-nord de 2010 à 2018.par Ilrick Gabriel Fils-Aime Universite d'Etat d'Haiti (Faculté d'Ethnologie) - Maitrise 2020 |
1.6-Cadre théorique et conceptuelLa théorie est une étape importante dans un travail scientifique, c'est l'étape par laquelle le chercheur construit tout un canevas explicatif sur le phénomène ou l'objet qu'il étudie à l'aide des approches et des paradigmes. Dans le cadre de ce chapitre, d'abord nous précisons les théories utilisées pour donner des explications sur les variables comme décentralisation, collectivités territoriales et développement local, puis nous présentons le rapport qui existe entre les théories et le domaine traité, c'est-à-dire la corrélation entre la décentralisation et le développement.. 1.6.1- Approches théoriquesDe nos jours, au coeur de la modernisation des politiques publiques, la décentralisation des collectivités territoriales est une stratégie importante pour la bonne gouvernance, elle est le modèle de développement où se trouve un niveau de participation élevé, surtout dans les collectivités territoriales. Parfois, les uns prônent la disparition des départements, et les autres louent l'intercommunalité en reprochant de laisser subsister les petites communes. En effet, la nouvelle ère du développement, amorcée depuis les années 90, privilégie une approche participative de l'aide dans l'idée du faire avec plutôt que de faire pour. Il s'agit maintenant de partir de l'expression locale des besoins et sur un mode de partenariat avec les populations afin de garantir une évolution sociale positive. Donc, cela ne sous-entend que la prise en compte de divers facteurs culturels, économiques, techniques, psychologiques, sociaux et écologiques propres à la zone d'intervention. Ainsi, dans le cadre de ce travail, deux approches théoriques vont être utilisées pour comprendre l'importance de la décentralisation pour le développement de la commune de l'Acul-du-Nord, la première c'est l'approche de gestion par interaction et la deuxième c'est l'approche fonctionnaliste. L'approche de gestion par interaction semble être plus appropriée à notre étude. Il s'agit d'une approche capitale qui trouve son originalité dans le relativisme de la rupture que les démarches participatives prétendent réaliser avec les démarches classiques d'intervention. Parce que, trop souvent, la méthode participative se réduit à de simples dialogues, en des échanges où les acteurs ne font qu'alimenter les choix par les agents extérieurs. C'est pourquoi, le philosophe Nguinguiri JEAN CLAUDE considère que : « La planification participative, même si elle était à ses débuts est considérée comme un processus évolutif dépourvu de toute ambition exhaustive comme c'était le cas dans les démarches précédentes, elle a toutefois perdu ses principes fondateurs qui ont été vite évacués par la plupart des intervenants avides de produits et à la recherche de diagnostics correspondants à leur propre perception des enjeux de développement. [....17(*)].» En effet, dans l'approche par la gestion de l'interaction, quatre (4) dimensions sont élaborées pour saisir les rapports entre paysans et organismes étatiques d'intervention. La première dimension constitue celle qu'il nomme l'identification par les organismes d'appui, des espaces naturels de participation pour s'y inscrire. En d'autres termes, il s'agit principalement d'une approche qui se réfère à l'identification des espaces naturels de négociations et de décision, donc des stratifications ou des découpages que les acteurs populaires opèrent dans leur environnement social et affectif. Selon cette approche, l'intervenant est amené à s'inscrire dans la mouvance des différents réseaux du milieu, à y prendre une place tout en sachant qu'elle ne sera jamais neutre puisque travailler avec les paysans revient souvent à travailler avec certains paysans aux dépens d'autres18(*). Par contre, nier une telle réalité revient du côté de l'intervenant, à vouloir à tout prix introduire dans les structures décisionnelles, un certain dualisme qui pourrait compromettre son action. Deuxièmement, dans cette visée, tous les acteurs sont amenés progressivement à intégrer des éléments nouveaux dans leurs systèmes de pensée. Et, ceci non pour renier ce qui les fonde, mais plutôt pour les enrichir, les actualiser et les rendre encore plus efficaces dans la logique de leurs dynamismes. Une telle ouverture se réalise à travers la prise de conscience de la globalité du cadre de vie et du contexte de l'action qui constitue : le passage d'une motivation parcellaire à une sensibilité élargie qui localise chaque aspect ou chaque composante dans ces relations avec les autres19(*). Troisièmement, c'est à travers un mouvement de balancier selon cet Emmanuel Seyni NDIONE, c'est-à-dire du sectoriel au global et du global au sectoriel que chaque domaine acquiert du sens. Ainsi, développer les compétences des producteurs signifie alors accroître leurs capacités à établir des relations entre des éléments apparemment disparates et leur permettre de réaliser une synthèse opérationnelle efficace. C'est ainsi que l'interaction paraît la plus féconde pour les acteurs et de la même manière qu'elle peut l'être pour l'organisme d'appui. Autrement dit, ce n'est pas par rapport aux issues de l'action que l'intervenant doit se positionner ou se justifier, mais plutôt par rapport à ses effets en termes d'apprentissage. En fait, quand l'intervenant identifie la réussite de son intervention à celle de l'action dans laquelle il est impliqué, c'est-à-dire à la matérialisation des résultats attendus, il devient prisonnier de la situation, et il est tenté de se substituer aux acteurs qu'il appuie pour éviter les déviations. Alors, pour cela, il est forcé de normaliser le déroulement de l'action, puis contraint les paysans dans son fonctionnement20(*). Quatrièmement, le principal obstacle que rencontrent les intervenants lorsqu'ils veulent agir en milieu rural, réside dans le regard qu'ils portent sur les hommes et les choses. Ce qu'ils voient n'est pas ce que les paysans voient, au contraire, ses derniers perçoivent la vie et ses formes avec une autre sensibilité. En d'autres termes, la population est organisée à sa manière, avec des valeurs, des concepts, des codes différents, parfois tellement différents qu'ils deviennent invisibles, insoupçonnables pour ce qui ne vivent pas dans la même sphère. Alors, c'est tout simplement dire que pour faire bénéficier les paysans de leurs connaissances, il faudrait que les agents des structures d'appui respectent l'expérience pratique des producteurs et discutent avec eux d'égal à égal.21(*). Pour montrer la manière dont nous connaissons l'importance des acteurs de base, Emmanuel Seyni NDIONE s'appuie sur trois domaines: d'abord dans le domaine technique, porter les lunettes des paysans, c'est partir des situations, des pratiques et des compétences déjà existantes. Ensuite, en matière d'organisation, il s'agit de s'appuyer sur les groupes naturels et se brancher sur les réseaux relationnels de la société. Et enfin, pour l'appui économique, il s'agit aussi de s'intégrer dans les circuits déjà en place et utiliser leur rationalité comme une ressource. Mais, cela exige un important travail de redéfinition de la réalité qui n'est possible qu'à travers une interaction ouverte. Donc, l'action devient alors l'occasion par laquelle les agents de l'organisme d'appui ont la possibilité de confronter leur vision des choses avec celles des acteurs locaux. Mais cela n'est possible que si l'organisme d'appui construit son intervention sur ce que les populations font déjà elles-mêmes et, si elles utilisent le même langage et adoptent la même analyse.22(*) La deuxième approche théorique utilisée dans le cadre de ce travail est celle du fonctionnaliste. La théorie fonctionnaliste s'est développée dans le but d'expliquer le fonctionnement global de la société. Elle partait d'une question fondamentale : Comment une société fait-elle pour se maintenir en place malgré les forces (violences des individus et des groupes, révolutions, guerres...) qui pourraient la détruire ? L'initiateur de cette théorie est l'anthropologue Bronislaw MALINOWSKI, le premier constat qu'il avait fait, c'est que les institutions comme l'État, la famille, la religion et autres doivent répondre à des besoins collectifs précis, sinon elles n'existeraient pas. Alors, c'est pourquoi toute l'épistémologie de la théorie fonctionnaliste vise à expliquer le fonctionnement des institutions, puis comment celle-ci doit intégrer ses membres dans la société et contribuer au maintien de l'ordre social23(*). Plus loin, des sociologues comme Kluckhohn CLYDE et Talcott PARSONS ont précisé la contribution des institutions à la société. Pour eux, toute société fonctionne à quatre niveaux. Premièrement, la société fonctionne comme un tout cohérent, avec des structures et des groupes sociaux biens coordonnés. Deuxièmement, elle possède sa propre structure qui tend vers un ordre social. Troisièmement, elle possède des institutions qui ont leur utilité. Et enfin quatrièmement, pour que la société tende vers un ordre social, ses membres doivent partager les mêmes valeurs fondamentales24(*). Mis à part de ses sociologues, la théorie fonctionnaliste va être revitalisée par le sociologue Émile DURKHEIM. En effet, tous les points essentiels de la réflexion de DURKHEIM sur la société sont centrés dans trois ouvrages : « De la division du travail social », publié en 1895, « Le suicide », qui est daté de 1897 et enfin « Les formes élémentaires de la vie religieuse », paru en 1912. Sa réflexion sur la société s'assoit sur le rapport existant entre la conscience collective et la conscience individuelle pour comprendre l'intégration des citoyens dans la société. Ainsi, il arrive à définir la conscience collective comme : « C'est l'ensemble des idées communes à tous les membres de la société. Elle est le résultat du brassage des pratiques et des idées mises en oeuvre par les membres d'une société depuis de nombreuses générations et offre une richesse et une complexité infiniment supérieure à celles des représentations d'un seul individu25(*) ». Pour DURKHEIM, il faut que les individus intègrent la société, partagent les normes sociales et intériorisent tout ce que la société possède comme valeur, comme rythme et comme symbole. C'est la société qui doit assurer la « socialisation26(*) » de l'individu, donc elle est le pivot même de la réussite de tout citoyen et de toute collectivité. En réalité, ces deux approches théoriques ont été retenues dans le cadre de ce travail pour les raisons suivantes : · Elles nous permettent de montrer comment les paysans ainsi que les autres personnalités qui vivent dans la commune de l'Acul-du-Nord ne font pas partie intégrantes des projets de développement pris par l'Etat central; · Elles tirent notre attention sur l'importance qu'on doit accorder à la Commune de l'Acul-du-Nord dans les politiques publiques de développement de l'État central; · Elles soulèvent en quelque sorte le problème de décentralisation de la Commune de l'Acul-du-Nord ; · Elles présentent la faiblesse de l'État haïtien dans la mise en place des projets de développement dans les sections communales et les quartiers qui font de la Commune de l'Acul-du-Nord ; · Elles attirent notre attention sur l'échec de l'État haïtien dans la réalisation de sa mission qui est de maintenir l'ordre social et d'assurer le développement socio-économique dans les quartiers, les sections communales, les communes et les départements ; · Ces deux approches théoriques présentent en quelque sorte la nécessité de l'État haïtien pour prendre en compte les acteurs locaux ou du moins les ressources disponibles dans la Commune de l'Acul-du-Nord ; · Et enfin, elles montrent le rapport existant entre la décentralisation de la Commune de l'Acul-du-Nord et son développement socio-économique. * 17 Nginguiri JEAN CLAUDE, Communautés locales et utilisation de la faune en Afrique, éd. CIRAD et le CIFOR, Gabon, 2001, p.44. * 18 Emmanuel Seyni NDIONE et Philippe DE LEENE, Changement politique et social : éléments pour la pensée et l'action, éd. PUF, Paris, 2016, p.77. * 19 Ibid, p.78 * 20 Ibid, p.79. * 21 Ibid, p.81. * 22 Emmanuel Seyni NDIONE, Dynamique urbaine d'une société en grappe : un cas de Dakar, éd. PUF, Paris, 2006, p.77. * 23Robert CAMPEAU et al, Individu et société, éd. Gaétan Morin, Québec, 1993, pp.44-45. * 24 Ibid, p.45. * 25Marc MONTOUSSE et Gilles RENOUARD, 100 fiches pour comprendre la sociologie, Édition Bréal, Paris, 2006, p.32. * 26Selon le sociologue québécois Guy Rocher, la socialisation se définit comme « le processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise les éléments socioculturels, les intégré à la structure de la personnalité sous l'influence d'expériences et d'agents sociaux significatifs et par là s'adapte à l'environnement social où elle doit vivre. » Référence : Guy ROCHER, Introduction à la sociologie générale, éd. HMH, t.1, Montréal, 1968, p.119). |
|