b) Une entrée dans l'édition : entre
coulisses et publications
Plus qu'une simple interview entre deux individus sur un
roman, son intrigue et ses personnages, le podcast est devenu un réel
moment d'échange dans lequel l'auteur.rice peut être
invité.e à s'ouvrir. En effet, l'aspect amical voire familier de
l'échange créé lors de
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l'enregistrement d'un podcast donne à écouter
des échanges plus sincères mais également dans l'ordre
privé. Y est donc souvent abordée la question du processus de
l'écriture, des coulisses du monde de l'édition, des secrets de
la vie d'écrivain.e... Et, à défaut d'un aspect purement
promotionnel, c'est généralement cet aspect-là qui
séduit les auteurs.rices et les font participer à ce nouveau
format.
Moi j'aime bien quand les choses sont sincères et
spontanées et c'est exactement le ton du podcast. [...] J'aime bien,
de façon générale, quand on donne l'opportunité
à l'auteur de parler des secrets d'écriture, des choses qu'on
ne peut pas lire dans le livre et qu'on a à coeur de savoir une fois
qu'on a lu le livre [...] Typiquement, pour Même les
méchants rêvent d'amour qui est le roman sur lequel elle
m'avait interviewée, ce qui est intéressant est qu'il
est inspiré d'une histoire vraie, et donc : comment on passe de la
réalité à la fiction ? comment on gère aussi la
pudeur ? comment on gère le secret de famille ? C'est des sujets
intéressants mais j'avoue je ne me souviens plus si c'est ce dont on
a parlé. ».43
Certaines maisons d'édition ayant compris l'importance
de ce critère, en ont fait leur coeur de cible. C'est le cas de
Primo qui, en collaboration avec la maison de production Nouvelles
Ecoutes, a créé le podcast Pile. Celui-ci a retranscrit
trois aventures littéraires de primo romanciers. Il a suivi leurs
parcours, surtout celui de leurs oeuvres, en allant de l'idée au
manuscrit, jusqu'à la parution finale, le tout en passant par les
coulisses des éditeurs. Pour Margaux Rol, cheffe de produits des
éditions Robert Laffont, « il était important [...]
de ne pas faire un podcast qui soit un pur produit marketing de promotion.
[...] Le marketing est là pour aider à raconter des histoires
afin d'attirer vers le livre. De fait, il était important pour nous de
raconter une histoire, et il est vite devenu évident que ce qui
passionnait souvent les gens hors de la profession était ce qu'il se
passait en coulisses et comment faisait-on pour publier un premier roman.
». Ainsi, en s'appropriant le format du podcast, les éditeurs
peuvent créer du contenu original, à la frontière de la
promotion marketing et d'échange de vie.
Et c'est ce que recherche la plupart des auditeurs et
auditrices en écoutant un podcast littéraire. Que celui-ci ne
soit pas qu'une simple interview, mais que l'échange aille plus loin.
Ils et elles
43 Entretien avec Anne-Gaëlle Huon.
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souhaitent avoir accès à des « informations
plus techniques » et des « anecdotes » sur l'écriture et
la vie de l'auteur.rice interrogé.ée. Et c'est en ce sens qu'une
présence d'auteur.rice peut être privilégiée, pour
« parler de la genèse » de leur livre et de leurs pratiques
d'écriture.
Les maisons d'édition s'adaptent réellement
à ce nouveau format. Comme nous l'avons vu, celles-ci n'hésitent
plus à se mettre aux codes du podcast soit en créant leurs
propres podcasts, soit en sollicitant les podcasteurs et leur proposer des
partenariats. Certaines vont même plus loin, en utilisant ce format comme
nouvelle source éditoriale. En effet, depuis le début de
l'année 2020, certaines maisons d'édition annoncent dans leurs
catalogues la publication des livres issus de podcasts existants. C'est le cas
de Marabout et des Arènes. (Un article de Livres
Hebdo du 21 juillet 2020 annonce l'adaptation en livres de plusieurs
podcasts Louie Media. Ceci, quelques moins après la publication
d'un premier article annonçant l'adaptation par Marabout en
livre de podcasts Nouvelles Écoute)s. Deux maisons qui,
à défaut d'avoir créé leurs propres podcasts, ont
vu en ce marché de nouvelles sources de création. Marabout
a signé avec Nouvelles Écoutes un contrat
d'exclusivité pour l'adaptation en livres des podcasts phares du studio.
Ainsi, trois podcasts reconnus seront prochainement disponibles sur papier :
Émotions (par Les Arènes), La Poudre
et Mortel (par Marabout). Ce phénomène est
intéressant si on analyse le lien entre le podcast et le monde du livre
puisqu'il s'agit là de deux podcasts non littéraires qui le
deviennent en passant par le format papier. Deux livres qui seront
classés dans la catégorie vie pratique/essais. Ainsi, alors que
certaines maisons et certains groupes voient dans le podcast un simple outil de
prescription, d'autres lui trouvent une nouvelle forme. Le podcasts ne cesse
donc d'évoluer dans le monde du livre.
En s'associant avec des boîtes de production de podcasts
récentes et modernes qui cherchent à dynamiser le marché
du podcast, elles utilisent ce format d'une manière innovante. Un
principe original puisque le lien entre l'audio et le papier se trouve souvent
dans l'autre sens : du papier à l'audio, comme le prouve le format du
livre audio. Ce qui est intéressant à observer dans ce cas est
que le projet de livre est déjà créé et que la
maison d'édition a comme objectif de transformer un format audio,
parlé et authentique, en un format papier. Ainsi, travailler une forme
orale et originale tel que le podcast mérite d'aboutir à une
forme écrite originale.
C'est pourquoi, on peut se poser la question du choix des
podcasts pour ce genre de projets. En adaptant les podcasts de Nouvelles
Écoutes, Marabout aura dans son catalogue un best-seller
du podcast : La Poudre, le podcast féministe de Lauren Bastide.
De son côté, la maison Les Arènes
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aura dans son catalogue le podcasts Emotions produit
par Louie Media. Des best-sellers du podcasts, promis best-sellers en
livres ?
Il s'agit là de deux projets similaires, cependant
entrepris dans deux groupes éditoriaux différents : Hachette
et Editis. De plus, il est intéressant de mettre en avant
que les deux maisons choisies sont de l'ordre de l'édition pratique/
essais documentaire. Ce qui correspond davantage à la forme du podcast
par rapport à une maison purement littéraire. Un critère
de ligne éditoriale qu'il est important de prendre en compte et de ne
pas négliger. En vient alors une question concernant la frontière
du livre audio et du podcast. Le podcast de non fiction ne serait-il pas une
forme de livre audio (forme spécifique compte tenu du format interview,
de plusieurs voix etc.) spécialisé dans le life style ?
Le podcast a donc un rôle différent selon
l'utilisation qu'en fait la maison d'édition ou le groupe. Comme nous
l'avons vu, certaines maisons d'édition créent des podcasts
littéraires. Elles s'organisent en interne en développant de
nouvelles connaissances et/ou avec un partenariat extérieur, en faisant
pour la plupart appel à des boîtes de production
spécialisées dans le podcast. D'autres maisons d'édition
ne deviennent pas créatrices de podcasts mais les relaient lorsque
ceux-ci mentionnent leurs livres. Pour elles, les podcastrices
littéraires sont bénéfiques puisqu'elles participent, de
manière indirecte, à la promotion de leurs livres. Certaines
relations se créent donc entre les podcastrices et les maisons
d'édition, notamment pour la mise en place de partenariats, à
l'image de celles existantes avec les journalistes et influenceurs/
influenceuses littéraires. Cela prouve alors bien le pouvoir de
prescription qu'à le podcast littéraire. D'autres maisons
d'édition trouvent dans le podcast une nouvelle forme de création
éditoriale. Ces maisons, généralement tournées vers
une ligne éditoriale sur l'actualité et la société,
adaptent des podcasts non littéraires (c'est à dire dont le sujet
n'est pas en lien avec le monde du livre et de la littérature) en
livres. Les podcasts deviennent alors une source de littérature, ce qui
amène une nouvelle façon de consommer le format podcast, via une
transformation, qu'est l'écoute.
En somme, on pourrait avancer l'idée que toute maison
d'édition peut être liée au podcast littéraire.
Certaines créent des podcasts littéraires de manière
professionnelle alors que d'autres, sans en avoir, ont la chance d'entendre
leurs auteurs.rices dans les podcasts littéraires amateurs. Pour
d'autres, cela va plus loin puisqu'elles voient à travers le podcast
littéraire une nouvelle stratégie d'influence. Ainsi, les
podcasteurs et podcatrices deviennent des influenceurs et
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influenceuses, à l'image de ce que sont
également les blogueurs et blogueuses. Ceux-ci et celles-ci sont donc
approchés.ées par les maisons d'édition, en
reçoivent les services de presse et sont invités.ées aux
événements. En contrepartie, les maisons s'attendent à un
retour via le podcast et ses réseaux sociaux. Mais, envoyer un service
de presse, induit-il forcément un retour via la création de
contenu ? En vient également la question que l'on se pose avec les
blogueuses / les blogueurs et instagrameuses / instagrameurs, et que l'on
pourrait analyser dans le futur pour les podcastrices / podcasteurs : y-a-t-il
de l'impartialité dans leurs propos ?
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