Les podcasts dans le monde du livre en France.par Camille CAPRON Université de la Sorbonne Paris Nord - Master Commercialisation du livre 2020 |
IV) Les podcasts littéraires dans le monde du livreLe domaine de l'édition ne cesse de se renouveler. Il y a plus de dix ans, l'édition numérique a fait son entrée accompagnée des ebooks et des liseuses. Désormais, l'audio est au coeur des conversations et séduit plus d'un éditeur. Depuis trois années environ, le livre audio a fait son apparition en France, amenant avec lui un engouement pour l'audio en général. Une arrivée tardive, comparée à d'autres pays, anglosaxons et nordiques, et poussée par l'usage des smartphones et l'arrivée de la 3G en France. a) Groupes et maisons à la conquête du podcast et du podcasteur.rice ?Dans mon article, écrit pour le média en ligne ActuaLitté, je m'intéressais déjà à l'audio dans le monde de l'édition et plus particulièrement au livre audio. J'y parlais d'un « boom » du livre audio en me référant à plusieurs études effectuées par le SNE. En effet, ce marché avait, en mars 2020, augmenté de 50 % en une année. Et on pouvait y comptabiliser 32 % de lecteurs cibles, en prenant en compte les lecteurs actuels de livres audios et ceux qui commençaient à s'y intéresser. Pour cause, de plus en plus de titres en papier étaient publiés sous format audio, et de nombreux acteurs s'emparaient de l'audio : les revendeurs/producteurs (comme Audible, Kobo, Audiolib), les éditeurs (tels que Gallimard, Actes Sud) ou encore les regroupements d'éditeurs (ce qu'est Lizzie du groupe Editis). Ainsi, les maisons d'édition étaient et sont toujours au coeur de l'innovation pour le marché du livre. Ce qui explique leur actuelle attirance pour le podcast. Celle-ci est liée, d'une part, à cet attrait à tout contenu audio, et d'une autre part, au souci d'innover pour rendre le marché attractif et attirer de nouveaux lecteurs et nouvelles lectrices. La frontière entre le livre audio et le podcast peut être poreuse. C'est ce que démontre Antoni Fournier, dans sa thèse Le développement du livre audio, la révolution de l'édition?. Il « note une différence entre ce format original (qui se rapproche du podcast) et le format classique (un livre préalablement publié au format papier repris en audio). Une frontière poreuse qui est toutefois de plus en plus utilisée aujourd'hui pour rendre le livre audio attractif. »36 36 CAPRON Camille, « Catalogues, autopublication et objets connectés : quel avenir pour le livre audio en France ? », ActuaLitté, 24/03/2020. 38 Ainsi, en s'intéressant au livre audio et en souhaitant innover avec ce nouveau format, certains acteurs du livres ou extérieurs créaient déjà des podcasts, avant même que ce format y soit recherché. On trouve alors des formats hybrides, à la frontière du livre audio, du podcast et de la série. Comme c'est le cas du podcast original (de fiction) L'Employé, créé par Spotify. De plus, on remarque que, pour attirer de nouveaux publics, les acteurs du livre audio (on peut nommer Lizzie de chez Editis ou encore Kobo) ont cherché au-delà des frontières du livre en s'associant avec d'autres acteurs : Canal+ pour Lizzie en tentant d'attirer les auditeurs TV vers le livre audio, Uber en donnant l'occasion aux livres audios d'être écoutés par des personnes différentes. Un principe que les maisons d'édition tentent de reproduire avec le podcast littéraire, en commençant par s'associer avec des acteurs liés au monde du podcast, tels que des studios de production. La création d'un podcast demande de la technique ainsi que du temps, ce qui nécessite de l'aide pour les maisons d'édition. C'est pourquoi, la plupart des maisons d'édition s'associent avec des professionnels. Les éditions Robert Laffont ont travaillé avec Nouvelles Ecoutes pour la création du podcast Primo. Les équipes de Nouvelles Ecoutes n'étaient pas sur place tous les jours mais se sont occupées du conseil, du matériel ainsi que du montage du podcast. De leur côté, le groupe Editis s'est associé avec Le Poste Général pour leur podcast Des Livres et Moi, Vincent Malone37 y prêtant même sa voix pour les interviews. Compte tenu de ce panorama, il n'est donc pas étonnant que le podcast attire le monde du livre. Les maisons et groupes y voient à la fois une occasion de s'ancrer dans les usages mais également de trouver du contenu innovant et attractif à produire. Quelles maisons d'édition créent des podcasts ? Dans quel(s) but(s) ? En janvier 2020, quinze podcasts littéraires avaient été créés par treize maisons d'édition38. Des nombres de podcasts et de maisons d'édition qui ont, depuis, augmenté comme le prouve la création du podcast des éditions du Masque en juin 2020, en plein confinement. Le profil des éditeurs qui se lancent dans le podcast est varié. Il peut s'agir de maisons d'édition spécialisées dans la littérature générale mais également dans la littérature jeunesse. Les éditions Nathan ont, par exemple, leur podcast littéraire Parlons livres avec Nathan qui donne à écouter chaque mercredi un ou une libraire autour du livre de leur choix. Un podcast qui s'apparente davantage à des épisodes conseils qu'à des chroniques littéraires ou interviews d'auteurs. Ce qui correspond à 37 Musicien, auteur-compositeur et interprète. 38 LACOUR Cécilia, « Les éditeurs à l'assaut du podcast ? », Livres Hebdo, 10/01/2020. 39 leur cible : les parents et à leur besoin : des conseils. Ainsi, leurs cibles vont être différentes, la majorité du temps allant vers le public des livres qu'ils publient. Pour certaines maisons d'édition, la création d'un podcast leur permet de se développer davantage dans leur genre (policier, jeunesse, BD...). Et elles cherchent alors à se démarquer via la forme et/ou le contenu de leur podcast. Robert Laffont a créé un podcast qui s'apparente à une mini-série d'immersion dans le monde du livre, les éditions du Masque ont créé « Conversation dans le noir »39, un podcast hebdomadaire qui donne à écouter des conversations téléphoniques entre une éditrice et une autrice de la maison d'édition. Il s'agit d'un media en plus, qui leur confère une casquette de spécialiste. Pour d'autres, cela leur procure (ainsi qu'à leurs auteurs) davantage de visibilité. Mais on peut se demander si créer un podcast n'est pas devenu une mode, tout comme avoir un compte Instagram. Et cette question peut autant se poser pour les podcasts professionnels qu'amateurs. Le podcast étant un nouveau genre de contenu attractif, on pourrait le comparer à Instagram et au succès que ce réseau social a depuis sa création. Il s'agirait donc de « modes » auxquelles il est important d'adhérer pour correspondre aux usages et à la nouveauté. Ainsi, tout comme avec Instagram, le podcast attire les amateurs.es et professionnel.elles du livre, devenant un nouveau moyen de partage (comme l'est Bookstagram) mais également d'information et de communication (rôle qu'ont les compte Instagram des maisons d'édition). Le podcast attirant de plus en plus, sur des sujets divers, l'industrie du livre profite de cet engouement et s'en empare également. Cependant, comme nous l'avons précisé précédemment, l'appétence de cette industrie pour l'audio existait bien avant que le podcast ne soit reconnu. Et, du point de vue des maisons d'édition, le podcast n'est pas un nouveau moyen de communication et ne remplace aucun support précédent, il permet de proposer, comme l'indique Aurélie Benoit-Gonin, directrice Connaissance client chez Editis, dans un article de Livres Hebdo40, des contenus supplémentaires. Pour essayer de comprendre le souhait de ces professionnel.elles, à savoir si les podcasts sont créés dans un but commercial, comme le pensent la plupart des auditeurs et auditrices, ou comme un « contenu supplémentaire », il est nécessaire de comprendre l'usage du podcast littéraire dans le monde professionnel du livre. 39 VINCY Thomas, « Le Masque lance des »podcasts» noirs et féminins », Livres Hebdo, 16/04/2020. 40 LACOUR Cécile, « Les éditeurs à l'assaut du podcast », Livres Hebdo, 10/01/2020, https://m.livreshebdo.fr/article/les-editeurs-lassaut-du-podcast. 40 Les podcasts professionnels peuvent se présenter sous deux formes distinctes. On a d'un côté des podcasts portés par des groupes éditoriaux, et de l'autre des podcasts créés par des maisons d'édition. Dans les deux cas, un rapport direct au groupe éditorial existe mais celui-ci est plus ou moins évident pour les auditeurs et auditrices, extérieurs.es à ce monde. En effet, la plupart des podcasts littéraires vont être accessibles uniquement via le site web du groupe ou de la maison d'édition. Certains groupes, tel que Editis, ont même une page de leur site consacrée uniquement à l'audio et un onglet pour les podcasts du groupe. On y retrouve ainsi Des Livres et moi, mais également Parlons livres avec Nathan. Cependant, certaines maisons d'édition ont tout de même choisi de rendre leurs podcasts accessibles sur les plateformes d'écoute. C'est le cas pour Robert Laffont, avec son podcast Primo. Les podcasts portés par des groupes éditoriaux réfèrent au groupe, dans son ensemble. Ils ne vont pas se spécialiser en une thématique. Ils ne font aucune différence entre un livre ou un auteur/une autrice de telle ou telle maison d'édition. Ils parlent au nom du groupe et constitue une vitrine de celui-ci. C'est le cas pour le podcast Des livres et moi créé par le groupe Editis. Celui-ci donne à écouter des interviews d'auteurs de best-sellers présents dans le groupe. On peut alors écouter une interview de Michel Bussi publiée chez Les Presses de la Cité, à la suite d'une interview de Franck Thilliez publié chez 12 21, un autre éditeur du groupe. Le cas d'Editis est très intéressant puisque le groupe possède à son actif six podcasts littéraires différents de par leurs formes et contenus. Il s'agit de podcast tantôt à temporalité longue tantôt à temporalité courte, qui sont pensés pour être continuellement animés et écoutés, ou pour ne paraître que sur une période courte. Le podcast Primo des éditions Robert Laffont a été alimenté pendant quatre mois (à partir de mars 2019), lors de l'année 2019. Il comprend douze épisodes mis à disposition d'écoute plusieurs fois par semaine, donnant à suivre ces trois aventures éditoriales. Celui-ci a d'emblée été réfléchi pour ne durer que sur cette période donnée. Parallèlement à cela, Des livres et moi, autre podcast porté par le groupe, a été mis en ligne à période identique que Primo, alimenté de manière identique mais avec un rythme dépendant des sorties éditoriales. Ainsi, il compte à ce jour vingt-cinq épisodes et il est toujours animé, le dernier épisode datant de mars 2020. Editis a alors des podcasts en son nom de groupe mais également sous le nom d'une des maisons d'édition qui en font partie. Et chacun de ceux-ci sont consultables sur le site Lisez.com du groupe, sur une page dédiée à leurs contenus audios. En effet, depuis deux ans, le groupe fait son ascension dans le domaine de l'audio, de par la création de podcasts mais également par la production de livres audios. On remarque alors que le groupe considère ce format comme une branche de l'audio, à même échelle que le livre audio, dans lequel il s'investit de plus en plus. 41 Parallèlement à cela, des maisons comme Flammarion n'utilisent le podcast littéraire qu'à événement exceptionnel pour les aider dans leur communication. En effet, avec le podcast sur la rentrée littéraire 2019, l'éditeur a ainsi pu proposer du contenu à tous professionnels.elles et passionnés.ées du livre sur une période donnée. Ce podcast a temporalité courte est encore consommable mais n'est plus actualisé. Selon les auditeurs et auditrices de podcasts littéraires, un podcasts créé par un groupe ou une maison d'édition aurait davantage un but marketing et promotionnel. Une remarque que rejettent la plupart des professionnels.elles. Mais qu'en est-il réellement ? Y-a-t-il une réelle différence dans le contenu et/ou dans la communication d'un podcast professionnel ? Tous les podcasts littéraires professionnels sont-ils identiques ? Comme nous l'avons vu précédemment, les podcasts professionnels tentent de se différencier entre eux mais également des podcasts amateurs. Pour ne peut être seulement reliés au service marketing de la maison d'édition, ils se doivent d'être innovants. Ainsi, temporalité, forme et contenu vont être réfléchis. Alors que certains podcasts ont une temporalité longue dans le temps, d'autres sont assignés à une période donnée plus ou moins longue41. Cette caractéristique se retrouve davantage chez les podcasts professionnels où les événements nécessitant une communication particulière sont présents. Le podcast Primo des éditions Robert Laffont a duré pendant plusieurs mois, le temps du travail et de la publication des trois romans. Et le podcast de la rentrée littéraire 2019 de Flammarion n'a duré qu'une journée, pour l'événement littéraire. Concernant la forme, les maisons d'édition adaptent celle-ci à leurs publications et spécialisations. Comme nous l'avons vu, les éditions du Masque ont choisi la forme de la conversation téléphonique alors que les éditions Robert Laffont se sont rapprochés du reportage. Deux formes différentes qui s'harmonisent avec le sujet choisi : converser avec des autrices ou suivre trois primo romancières. Alors que l'on a précédemment vu la présence des podcasts amateurs sur les réseaux sociaux et notamment Instagram pour se faire connaître et fidéliser leur auditoire, il n'en est pas de même pour les podcasts professionnels. Dans un article pour Livres Hebdo, Quentin Gauthier de chez Nathan affirme que « la difficulté majeure est de les faire connaître ». Propos appuyé par Leslie 41 Cependant, lorsque l'on parle de durée, on évoque la mise à disposition de l'épisode ou des épisodes. Ceux-ci sont encore disponibles aujourd'hui, un an après, et pourront être écoutés à tous moments par la suite. 42 Meyzer de chez Bayard : « Nous n'avons pas encore trouvé le moyen idéal de communiquer sur Histoires de jeunesse en dehors des réseaux traditionnels ».42 En effet, les maisons d'édition ont déjà toutes leurs comptes sur les réseaux sociaux. Serait-il alors intéressant pour elles d'y inclure une communication ciblée sur leurs podcasts ? Ou ce nouveau format nécessite-t-il un nouveau moyen de communication ? Certains podcasts professionnels ont leurs propres comptes sur les réseaux sociaux. On peut prendre l'exemple du podcast Primo qui est présent sur Instagram sous le nom de Primo Podcast. Un compte qui a permis durant la mise en ligne des épisodes une promotion de l'écoute, et en aval un suivi des avis des auditeurs et auditrices mais également des lecteurs et lectrices des trois livres dont il est question dans le podcast. Désormais, le compte partage les avis de lectures. Parallèlement à cela, certains podcasts professionnels sont présents dans les comptes réservés à la maison d'édition. On peut nommer le podcast récent des éditions JC Lattés. La community-manager de la maison n'hésite donc pas à créer des posts spécifiques aux podcasts, posts qui sont ensuite partager via les comptes personnels mais publics des employés.ées de la maison. Un dernier cas de figure est la non présence des podcasts sur les réseaux sociaux. Certaines maisons ou groupes ne font aucune promotion de leurs podcasts, ceux-ci ayant tout de même une place privilégiée sur le site web du groupe ou de la maison. Cependant, et comme nous l'avons déjà mentionné, les podcasts professionnels sont liés à leurs maisons d'édition. Cela s'observe également sur les réseaux sociaux. Le compte Instagram de Primo renvoie, dans sa bio, au compte Instagram des éditions Robert Laffont, et inversement. Un lien que podcast et maison d'édition mettent en avant. De nos jours, les maisons d'édition se doivent d'être présentes sur les réseaux sociaux pour communiquer, informer et créer des relations avec leurs lecteurs et lectrices. Depuis près de dix ans, leurs services de communication et marketing se renouvellent, s'ouvrant au digital et nouvelles pratiques. Plus que d'autres secteurs, celui du livre a dû s'approprier les nouveaux outils en s'y créant une présence et en utilisant cette dernière à bon escient. Après l'entrée dans YouTube face à la montée des Youtubeurs, et celle récente dans Instagram avec la création d'une communauté de lecteurs et lectrices connue sous le nom de Bookstagrameurs, l'édition fait face à un nouvel outil : le podcast. À la frontière du réseau social et de l'outil de communication, celui- 42 A noter qu'il s'agit là de deux podcasts ciblés jeunesse. 43 ci est désormais le centre des préoccupations. Les maisons d'édition et groupes lui cherchent une place, une utilisation et tentent parfois d'innover. Un processus que l'on a vu récemment, par exemple sur Instagram, avec le mise en place de rendez-vous littéraires sous forme de partages de photos ou encore de hashtags. Lors d'un entretien avec le journal ActuaLitté, Stéphanie Vecchione, consultante en médias sociaux et promotion digitale, affirme que « les éditeurs ont [...] compris l'impact de la recommandation » qui s'exerce sur les réseaux sociaux. Pour elle, cette présence à trois objectifs. Le premier est d'être là où est présente et s'est construite une communauté de lecteurs et lectrices. Le deuxième est de se créer une visibilité et une e-réputation positive. Et, le troisième, concerne la possibilité d'entretenir un réseau professionnel puisqu'y sont présents également les libraires, les journalistes, les bloggeurs... Elle ajoute également que l'importance est de ne pas oublier de véhiculer l'identité et la valeur de la maison d'édition, sans se perdre sur les codes des réseaux sociaux. Avec l'arrivée du podcast dans l'édition, de nouvelles compétences se développent et des associations se créent. La plupart des podcasts dits professionnels sont nés de partenariats avec des boîtes de production spécialisées dans le podcast. Dans ce cas, soit celles-ci se chargent entièrement de la conception du podcast professionnel, comme c'est le cas pour Des livres et moi du groupe Editis, produit par Le Poste Général. Soit, les boîtes de production aident à la mise en pratique de compétences telle que la prise de son pour l'enregistrement de Primo, laissant la boîte de production s'occuper du montage en accord avec la maison d'édition pour correspondre avec l'image de marque. Et, parfois, ces partenariats permettent de créer des podcasts où le livre n'est qu'une source d'inspiration, laissant place à une conversation non littéraire. C'est ce que fait Editis avec son podcast Keep It Simple, une série de podcasts produite par My Little Paris qui aborde les thèmes de la méditation, l'éducation ou encore le sommeil. Le livre devenant alors un accompagnateur dans la création des épisodes. |
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