II. Constats - hypothèses
Après avoir expliqué dans la partie
précédente ce qu'est le raisonnement mathématique, les
perceptions que peuvent en avoir des mathématiciens de renommée
mondiale, je vais essayer de montrer quels sont les constats que j'ai
opérés lors de mes débuts dans le métier de
stagiaire (j'avais été auparavant professeur contractuel) et les
hypothèses que j'ai émises.
1. Difficultés de l'élève, du
professeur
Ainsi que je l'ai expliqué précédemment,
si les mathématiques sont une discipline qui anime des objets sans
existence réelle, l'enseignement des mathématiques est, quant
à lui, pleinement immergé dans un monde réel : de vrais
élèves, un vrai enseignant, un vrai cadre matériel, de
vraies difficultés, de vraies résistances, et aussi de vraies
dynamiques.
L'enseignement n'est donc pas un acte
désincarné. Si cela avait été le cas, ce
métier ne m'aurait pas intéressé. Les quelques
difficultés que j'ai éprouvées à initier mes
élèves au raisonnement mathématique ont formé un
écart, un espace, entre l'enseignement idéal, et l'enseignement
réel. C'est dans cet écart, dans cet espace, et avec le temps et
la chance que m'offrait cette année de formation en alternance, que j'ai
construit ma réflexion.
D'où venaient les difficultés ? Des
élèves, sans doute, mais très certainement aussi de
moi.
2. Chacun a son histoire.
Il convient donc, sans écrire ici mon autobiographie,
que je résume en quelques lignes mon parcours.
Je suis né au Maroc, berbérophone, puis
arabophone, puis, francophone durant mes études. Tout ceci a son
importance. J'ai expliqué à la fin de la partie
précédente, en quoi il était bien possible que les propos
des mathématiciens français, dans leur manière de
sacraliser le raisonnement, la vérité, et, peu ou prou, de
présenter les mathématiques comme une discipline
réservée aux initiés, étaient dûs à
l'histoire de France.
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Je suis né au Maroc, disais-je, c'est-à-dire
dans un pays qui a subi la double influence arabe et française. Tout
ceci n'est pas neutre. Ce sont les arabes - les exemples illustres abondent -
qui furent parmi les premiers à conceptualiser les mathématiques,
et, donc, (tout acte de conceptualisation conduisant inéluctablement
à un gain en prestige) à « consacrer » cette
discipline, la faisant passer d'une matière utilitaire, à un
ensemble ordonné de savoirs théoriques. Sont venus ensuite les
Français, dont je viens de montrer que leur histoire les avait conduits,
eux aussi, à sacraliser les mathématiques, mais ce n'est pas
tout. Il ne faut pas oublier que le savoir mathématique en France, tel
qu'il est apparu au milieu du moyen-âge, a puisé ses sources dans
les traductions de textes grecs et arabes, réalisés en Espagne et
en Sicile par des savants chrétiens, juifs et musulmans, qui oeuvraient
en totale intelligence.
Tout ceci a donc conduit, d'une façon tout à
fait logique et cohérente à orienter la formation que j'ai
moi-même reçue, et donc à influencer l'enseignant que je
suis devenu.
Lorsque j'avais été inspecté la
première fois en 2016, mon inspecteur, lors de l'entretien qui avait
suivi l'observation en classe, apprenant que je venais du Maroc, m'avait dit :
« Ah, vous êtes issu de la grande école mathématique
marocaine. ». Comme je lui faisais part de mon étonnement, il m'a
expliqué que, lorsqu'il était étudiant, il côtoyait
des étudiants issus des pays du Maghreb et qu'il était
impressionné par la rigueur et la pureté de leurs
mathématiques. Pour lui, il existait donc une « grande école
marocaine de mathématiques, une grande école algérienne de
mathématiques, une grande école tunisienne de
mathématiques ».
Je ne sais pas s'il avait raison mais, ce qui est certain,
c'est que, pour moi, mes professeurs de mathématiques étaient de
« grands professeurs ». Je les admirais. Tout ce qu'ils
écrivaient au tableau était pour moi comme des écrits
sacrés.
3. Raisonnement = rigueur + connaissance de son cours
?
Venons-en au raisonnement. Pour moi, les mathématiques
se réduisaient à la formule : « mathématiques =
calcul + raisonnement ». Et, des deux termes de la somme, c'était
le raisonnement qui était le plus noble. Le plus noble, mais le plus
dur. Je ne me sentais pas digne de tenter un raisonnement par moi-même
s'il ne m'avait pas été préalablement exposé par
mon enseignant. J'aurais eu l'impression d'un acte sacrilège. Oser,
tenter, se tromper, essayer de
nouveau, tâtonner, (autant de démarches qui
figurent pourtant dans le document d'accompagnement relatif à la
compétence raisonner) me semblait inconcevable. Pour moi, c'était
la perfection ou rien. La perfection, c'était mon enseignant. Mon
rôle d'élève, pour moi, se limitait à reproduire le
raisonnement écrit, parfait, pur, de mon enseignant. C'était
ainsi, c'était une autre époque. Mes professeurs étaient
excellents, bienveillants, je leur dois de m'avoir transmis de belles
mathématiques et d'avoir allumé en moi la flamme qui m'a
poussé à étudier les mathématiques après le
bac et à vouloir les enseigner. Sans doute eux-aussi avaient-ils eu de
tels enseignants. Le système se perpétuait.
C'est en rencontrant sur ma route des élèves en
difficulté que je me suis posé des questions. Oui, je savais les
maths, mais savais-je comprendre les difficultés de ceux qui ne les
comprenaient pas ? À vrai dire, j'étais en difficulté face
aux difficultés. Je ne parvenais pas à comprendre ce qu'ils ne
comprenaient pas.
C'est alors qu'il m'a fallu faire ce travail de distanciation
avec moi-même. Pour cela, mes professeurs ne m'avaient pas
nécessairement aidé. Cependant, une fois encore, je ne leur en
tiens nul grief.
À cette époque, mon raisonnement sur le
raisonnement était le suivant : - Raisonnement = déductions
logiques
- déductions logiques = savoir son cours + rigueur
logique.
Donc : savoir son cours + rigueur logique = raisonnement logique
réussi. CQFD.
4. Et l'induction ?
Cependant, chacun le sait, la réalité est plus
complexe. C'est en puisant à nouveau dans les propos des illustres
mathématiciens précités que je peux trouver quelques
pistes de solution.
Relisons Cédric Villani, qui lui-même invoque Henri
Poincaré :
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« Question : Quelle est la part des indices dans le
raisonnement ?
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Réponse : Énorme. Si le but en
mathématique est de produire une preuve au sens déductif, la
démarche est très souvent inductive. On va s'appuyer sur les
indices, sur l'expérience, sur le flair, pour avoir l'intuition de
là où il faut chercher. On passe notre temps à raisonner
par analogie, à observer des simulations numériques, à
rêver à l'existence d'une connexion élégante...
Toutes sortes de choses qui n'ont pas leur place dans le résultat final
mais qui sont capitales pour y arriver. Henri Poincaré l'a
résumé avec une formule lapidaire : « C'est par la
logique que nous prouvons et c'est par l'intuition que nous
découvrons. » »
La phrase soulignée est essentielle, car elle parvient
à concilier le mathématicien et le pédagogue, le logicien
et le clinicien.
Comme beaucoup d'élèves, j'ai été
formé à l'idée que le raisonnement inductif en
mathématiques était inopérant. Cela est logiquement exact,
c'est ce qu'explique Cédric Villani avec l'exemple de la fonction
zêta de Riemann. « Une hirondelle ne fait pas le printemps »,
dit-on, afin de se garder de généralisation hâtive, mais
les mathématiciens vont plus loin : cent, mille, et même mille
milliards d'hirondelles ne font pas et ne feront jamais le printemps. Ce sont
des indices, rien de plus. En mathématiques, un indice ne vaut rien.
Prétendre le contraire serait une hérésie. Fort
heureusement, Henri Poincaré ne dit pas le contraire, puisqu'il commence
par rappeler que « c'est par la logique que nous prouvons »,
signifiant par cela que seul le raisonnement déductif nous permet
d'accéder à la vérité.
Nous voici rassurés, pense le logicien, mais Henri
Poincaré ne s'arrête pas là. Il soutient que c'est par
l'intuition que nous découvrons. Ainsi, si le raisonnement inductif ne
vaut rien sur le plan logique, il est absolument central sur le plan cognitif.
C'est lui le moteur de notre intelligence.
Cette fois, le pédagogue clinicien acquiesce. En effet,
dans la vraie vie, la vie réelle, c'est-à-dire, en dehors de ce
monde imaginaire que sont les mathématiques, comment agissons-nous,
comment décidons-nous si ce n'est par le raisonnement inductif ?
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Le raisonnement inductif, c'est celui du médecin de
famille, qui, observant une personne, et confrontant ses perceptions, ses
relevés, avec des expériences antérieures, avec ses
savoirs livresques, va pencher pour tel ou tel diagnostic, et donc pour tel ou
tel traitement.
Mais le raisonnement inductif, c'est celui du garagiste, qui,
écoutant son client lui raconter que sa voiture possède tel
symptôme, tel bruit, telle faiblesse, pose deux ou trois questions bien
pesées et en déduit que c'est le biellette qui est
défaillante, ou tel boitier électronique qui est sans doute
oxydé.
Le médecin qui étudie les résultats
biologiques d'un patient sans le regarder, le garagiste qui pose des dizaines
de capteurs sur une voiture, sont sans aucun doute compétents, mais s'il
n'y a pas ce regard clinique, cela vaut moins. Avec leurs appareils, ils
entendent s'émanciper du raisonnement inductif. Les voici qui veulent
jouer au logicien et prétendre prouver avec la certitude du
mathématicien que la raison du dysfonctionnement provient d'un
dérèglement de tel ou tel organe, de telle ou telle pièce.
C'est une illusion : dans la vie réelle, la certitude n'existe pas. Dans
la vie réelle, le raisonnement déductif ne vaut rien ; tout comme
dans la vie mathématique où c'est le raisonnement inductif qui ne
vaut rien.
Ceci me rappelle une phrase d'un de mes enseignants à
l'université. Ne dédaignant pas aller à rebours des
opinions communément admises, il nous avait demandé quelles
étaient, selon nous, les qualités requises pour faire des
mathématiques. Certains de donner la réponse, qui, non seulement
était la « réponse attendue », mais également la
« bonne » réponse, c'est-à-dire la « vraie »
réponse, nous avons presque tous répondu que cette qualité
était la rigueur. Et c'est alors qu'il haussa les épaules :
« soyez rigoureux si vous voulez, mais cela ne vous avancera à
rien. Ce qui fait avancer un mathématicien, c'est l'intuition ».
Et c'est en lisant cette phrase de Poincaré que revient
en moi le souvenir de ce professeur d'université original. Il avait
raison : la rigueur, certes ; la rigueur, bien-sûr, mais la rigueur sans
l'intuition, à quoi bon... Ceci rappelle aussi cette phrase de Charles
Péguy : « leurs mains sont pures, mais ils n'ont pas de main
».
Et de fait, tout enseignant sait que si, sur le plan
didactique et pédagogique, il se focalise, il s'acharne, sur
l'impérieuse rigueur, il recueillera des copies sans erreur, mais des
copies presque vides, comme stériles.
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5. Être attentif au réel
Même Laurent Lafforgue, pourtant peu suspect
d'être enclin à brader la pureté mathématique,
souligne la nécessité d'adopter cette approche clinique, à
l'écoute du réel, à l'instar du médecin qui, avec
son stéthoscope, est à l'écoute du corps et de l'âme
.
« L'attention au réel.
L'attention est un des thèmes essentiels de Simone
Weil, qui justement était hyper intellectuelle et en même temps
complètement habitée par le souci du réel. Et pour elle,
il n'y avait pas de méthode générale pour saisir le
réel. C'était d'abord et avant tout une question d'attitude :
être attentif.
Elle raconte que pendant l'adolescence, le talent
extraordinaire de son frère, de trois ans son aîné, pour
qui tout était facile, la désespérait : elle en avait
conclu que la porte de la Vérité lui serait pour toujours
interdite. Cela la plongeait dans un désespoir total. Elle dit
même que la tentation du suicide l'a effleurée, parce qu'elle ne
se trouvait pas assez douée. Elle a pu sortir de son désespoir en
se rendant compte que les dons importent peu : l'essentiel est
d'être attentif. À partir de ce moment-là, la
Vérité se laisse toucher par nous. »
On notera cette description très fine de l'attitude de
Simone Weil, à partir de laquelle on peut émettre
l'hypothèse suivante.
Dans un premier temps, Simone Weil a peut-être
tenté d'aborder les problèmes en employant la méthode
« Lafforgue », énoncée précédemment, et
qui consistait à se « casser la tête » contre la
dureté du problème. Une telle méthode peut avoir ses
limites. Soit, et cela est à espérer, le problème
cède, la digue s'effondre, et l'on peut ainsi accéder à la
Vérité. Soit le problème résiste, et l'assaillant
en retire une impression d'impuissance, sans compter qu'il s'abîme. Comme
le dit la sagesse chinoise : rien ne sert de jeter un oeuf contre une pierre.
Alors Simone Weil adopte une autre attitude, en apparence plus passive, moins
offensive, plus contemplative, mais une contemplation active cependant : elle
ouvre ses sens et devient attentive, laissant la Vérité
l'approcher. Ce n'est plus elle qui part frontalement à l'assaut de la
Vérité mais c'est la
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Vérité qui vient à elle. Cela ne se
produit que parce que Simone Weil a adopté une attitude d'attente
active, d'espérance.
6. Induire pour déduire : le rôle des
images
Avec mes élèves, je me suis donc appuyé
sur la méthode « Poincaré » : utiliser l'induction pour
parvenir à la déduction. Cela implique une évolution
intérieure. S'autoriser et autoriser à se laisser aller à
l'induction. Autoriser l'induction, c'est-à-dire la mobilisation de
toute l'activité cognitive humaine, avec ses sensations, ses espoirs et
ses représentations.
C'est donc en adoptant une approche clinique avec mes
élèves - c'est-à-dire partir du problème tel qu'il
se montre à eux, tel qu'ils le ressentent - que j'en suis venu,
conforté par les grands mathématiciens eux-mêmes, à
les persuader de l'efficacité de cette approche. Agissant ainsi, j'ai
lâché la bride, lâché les rênes, permettant les
plus grands élans intuitifs et créatifs.
Les nouveaux convertis étant cependant souvent trop
fougueux, il convenait de poser quelques repères, quelques balises afin
que les forces jaillissantes de l'intuition libérée ne nous
conduisent pas n'importe où, jusqu'à l'abîme ou
jusqu'à l'errance.
Je me suis donc intéressé au fonctionnement
cognitif de l'intuition, et aux images qui sont mobilisées. Je l'ai
indiqué plusieurs fois : les mathématiques ne sont pas la
réalité. Le monde mathématique est peuplé d'objets
qui ne sont que des constructions théoriques, des concepts. Il est
dès lors théoriquement possible et logiquement incontestable de
résoudre un problème de géométrie sans avoir
recours à la moindre représentation.
Pourtant, ce n'est pas ainsi que les mathématiciens
cheminent : plus les domaines dans lesquels ils s'aventurent sont abstraits,
plus ils imaginent, plus ils symbolisent, plus ils représentent.
C'est d'ailleurs quelque chose de merveilleux. Si deux
mathématiciens parlent entre eux d'une notion, par exemple la
continuité uniforme, chacun d'eux aura en tête une image, une
sensation qui l'aidera à développer son argumentation. Il est
improbable que leurs représentations respectives soient les mêmes,
tellement ce genre de représentation est en lien avec l'intimité
de soi-même. Pourtant cela ne les gênera nullement pour
réfléchir ensemble et cheminer ensemble.
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Tous deux se promènent sur la route de la
vérité. Pour l'un, elle a le visage d'une maison, pour l'autre,
le visage d'un cerf ou l'odeur d'un parfum, mais ce n'est pas grave. Ils
avancent, ils cheminent, et font avancer la recherche mathématique.
Cette notion d'image, de représentation, de
symbolisation accompagne les mathématiciens. Nous avions
précédemment cité le passage de Alexandre Grothendieck
dans lequel il évoque « cette
image-là », pour désigner ce qu'il croit
être la vérité et qui s'avèrera être une
fausse vérité.
Laurent Lafforgue professe quant à lui que :
« Tout ce que nous voyons, tout ce que nous percevons
du monde, nous le percevons à travers des représentations
».
Quant à Villani, il déclare que :
« Bien qu'un raisonnement mathématique soit
parfaitement vérifiable, car fait d'étapes simples qui
s'enchaînent logiquement les unes après les autres, le
cerveau humain, donc celui d'un mathématicien aussi, a besoin de
comprendre en termes d'idées, d'images, d'analogies, d'émotions,
de rapports et de relations »
De cette citation on retiendra que, même s'il travaille
sur un monde non-réel, le mathématicien, lui, est un être
humain réel qui, comme tout être humain dispose d'un cerveau dont
le fonctionnement, semblable à celui de tout un chacun, fonctionne par
images, analogies, émotions, rapprochements. Ainsi, au détour
d'une phrase, on est rassuré : le mathématicien est un être
humain de réalité...
C'est en avançant sur les images que l'on avance dans
les mathématiques, comme le relate ce très beau témoignage
d'un mathématicien au sujet de Alexandre Grothendieck :
« Imaginez trente spécialistes
décortiquant, centimètre par centimètre, des tableaux dont
on sent qu'ils ont des points communs, sans pouvoir l'affirmer avec certitude.
Personne ne connaît mieux qu'eux chacune des oeuvres, mais personne ne
parvient à les mettre d'accord. Que faut-il y voir ?
Grothendieck, lui, se recule à vingt ou
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trente mètres quand les spécialistes
avaient le nez collé au tableau. Il va changer de point de vue, se
mettre à vingt mètres et découvrir que les trente tableaux
ont un seul auteur, Claude Monet, et comme modèle unique la
cathédrale de Rouen. Il a vu et montré ce que
les autres ne voyaient pas. »
Seul le bon mathématicien verra la Cathédrale...
Témoignage touchant et signifiant quand on sait que Alexandre
Grothendieck, a souvent été considéré, avec la
géométrie algébrique, comme le père d'une «
cathédrale conceptuelle ».
7. La simplicité enfantine
Pour tout mathématicien, et même pour tout «
matheux », la notion d'image est centrale. Mais peut-être est-ce
Alexandre Grothendieck qui en parle le mieux, dans ce long texte cité
par Alain Connes lors d'un débat avec le compositeur moderne,
décédé il y a peu, Pierre Boulez :
« La clarification progressive des notions de
définition, d'énoncé, de démonstration, de
théorie mathématique, a été très salutaire.
Elle nous a fait prendre conscience de toute la puissance des outils, d'une
simplicité enfantine pourtant, dont nous
disposons pour formuler avec une précision
parfaite cela même qui pouvait sembler informulable - par la
seule vertu d'un usage suffisamment rigoureux du langage courant, à peu
de choses près. S'il y a une chose qui m'a fasciné dans les
mathématiques depuis mon enfance, c'est justement cette puissance
à cerner par des mots, et à exprimer de façon parfaite,
l'essence de telles choses mathématiques qui au premier abord se
présentent sous une forme si élusive, ou si mystérieuse,
qu'elles paraissent au-delà des mots... »
Concernant cette « simplicité enfantine »,
qui peut étonner quiconque s'est déjà penché sur la
géométrie algébrique de Alexandre Grothendieck, Alain
Connes précise et prolonge :
« En effet, les concepts mathématiques, il ne
faut pas en voir peur. En général, ils ont une version enfantine
et cette version est souvent plus proche de la réalité
qu'une version plus élaborée ».
Il exprime ainsi une conviction qui me semble très
juste. Il est inutile de complexifier ce qui est simple. En
mathématiques, les mots parlent souvent d'eux-mêmes, ils ne sont
pas choisis au hasard : qu'est-ce qu'un « reste » dans une division
« euclidienne », si ce n'est ce qui reste quand on a fait tourner la
roue du quotient autant de fois qu'il était possible de le faire...
Qu'est-ce qu'un « antécédent », si ce n'est celui qui
est avant ? Qu'est-ce qu'une « image » si ce n'est l'objet que l'on
projette ?
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