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Raisonnement et méthodologie


par Hassan SMELIOUI
UPEC - M2 MEEF Mathématiques  2020
  

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Institut Catholique de Paris

Faculté d'Education - ISFEC Île-de-France

Mémoire de Master 2

Métiers de l'Enseignement, de l'Education et de la

Formation

Mention : second degré

Parcours « Mathématiques »

Raisonnement et méthodologie

Présenté par : Hassan SMELIOUI
Sous la direction de : Nicole LALLEMAND

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Session de juin 2020

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Remerciements

Je remercie :

- ma directrice Anne-Christine COMBEUIL, directrice générale de l'établissement Françoise Cabrini à Noisy le Grand et Marie-Hélène GRANGE, directrice adjointe de ce même établissement, pour leur soutien permanent tout au long de cette année de stage.

- toute l'équipe pédagogique et surtout l'équipe mathématique, notamment Abdelmajid MOUNZIL, pour leurs conseils précieux qui m'ont aidé à surmonter mes problèmes d'adaptation face aux profils d'élèves différents de ceux dont j'avais l'habitude en tant que professeur contractuel.

- ma directrice de mémoire Nicole LALLEMAND pour sa bienveillance et ses conseils qui m'ont permis de progresser dans ma réflexion et dans ma rédaction du mémoire.

- Florence FLEURY pour son suivi et ses visites dans mes classes, ce qui m'a permis d'avoir davantage de recul sur ma pratique.

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Table des matières

Introduction 4

I. Le raisonnement : éléments de vocabulaire, cadre théorique 9

1. L'art de définir 9

2. Définir le raisonnement 9

3. Où réside le raisonnement ? 12

4. Raisonnement, enquête, vérité 13

5. Chercher la vérité 16

6. Décantation - image - erreur 17

7. Les lois du raisonnement - la déduction 21

8. Est-il facile de raisonner ? 25

9. La recherche obstinée de la preuve logique : une spécificité française ? 27

II. Constats - hypothèses 29

1. Difficultés de l'élève, du professeur 29

2. Chacun a son histoire. 29

3. Raisonnement = rigueur + connaissance de son cours ? 30

4. Et l'induction ? 31

5. Être attentif au réel 34

6. Induire pour déduire : le rôle des images 35

7. La simplicité enfantine 37

III. Expérimentation et tentatives de remédiation 38

1. Point d'arrivée - point de départ 38

2. Observation du terrain 40

3. Rappel du vocabulaire communément admis 42

4. Observations en classe : cinquième C 43

a. Premières observations, premiers questionnements, premières adaptations 43

b. Une troisième observation : « Gros Dédé » 46

c. Quatrième observation : un classique : démonstration avec les angles

alternes-internes 47

d. Cinquième observation : démontrer que la médiane coupe un triangle en deux

triangles de mêmes aires 49

e. Sixième observation : un élève a proposé une énigme à la classe 51

Conclusion 52

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Introduction

Dans la période dramatique que nous traversons en ce printemps 2020, l'habitude a été prise, comme un élan spontané, naturel et unanime que, chaque soir, à 20 heures, les citoyens, par des applaudissements, des chansons, des feux d'artifice, célèbrent, encouragent et rendent hommage aux soignants, c'est-à-dire ces femmes et ces hommes, qui, transcendant leur peur et leur fatigue, mettent leur énergie et leur génie, au service de la civilisation humaine en s'efforçant de repousser la mort de de sauver des vies.

Les soignants soignent, c'est-à-dire guérissent. Il y est question de vie ou de mort. Et l'enseignant, quel est son rôle ?

Dans l'exercice du métier d'enseignant, il n'est pas question de vie ou de mort. Nous ne sommes pas dans la même temporalité. Il n'y a pas la même urgence. Mais les enjeux sont cependant comparables.

Au niveau collectif, une société qui n'aurait plus d'école viendrait à s'abêtir et, inéluctablement à sombrer dans la barbarie : sa civilisation en viendrait à s'éteindre. Au niveau individuel, l'enseignant ne sauve pas des vies, mais il sème. Il sème des graines, qui, pour certaines donneront lieu instantanément, sur le mode du « printemps québécois », à un jaillissement spectaculaire et rapide de mille feuilles et fleurs. Mais d'autres graines ne germeront jamais. La plupart, cependant, germeront plus tard, donnant des plantes, plus ou moins vigoureuses, plus ou moins robustes, plus ou moins gracieuses, mais, qui, toutes ensemble, contribueront, avec l'éducation parentale, et tant d'autres facteurs, à forger la texture intellectuelle, sensible et morale, de l'individu.

Le médecin et l'enseignant ne font pas le même métier, mais ces métiers ne sont pas si différents que cela. Il y a davantage de similitudes que d'antagonismes. Par exemple, un bon médecin adopte une approche clinique : avant de se pencher sur son ordinateur, ses livres ou des appareils, il commence par observer, écouter le patient, qu'il s'agisse de « dire » par des mots, des silences, des mimiques. Il croise ensuite cette observation avec son savoir académique sans cesse renouvelé, il va émettre des hypothèses de diagnostic desquelles découleront le traitement, avec, tout au long de processus, un feed-back permanent, c'est-à-dire la mise en place des éventuelles adaptations. Un bon médecin n'est donc pas un dogmatique, il n'est pas un automate s'adressant à un automate, mais un humain en relation, en empathie, avec la juste distance, avec

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un autre humain. Ainsi en va-t-il de l'enseignant. Ce dernier possède un savoir qu'il lui revient de transmettre - il est payé pour cela par son employeur ainsi que cela est mentionné par le tout premier article L111 du code de l'éducation - à des plus jeunes, qui, précisément en raison de leur jeunesse ignorent ledit savoir. Enoncer cela est une banalité. Et pourtant, enseigner est un art, car cette transmission n'est pas un remplissage. L'enseignant, pas plus que le médecin n'est un automate s'adressant à des automates. Lui-même, est un humain, avec son histoire, et il s'adresse à des jeunes, qui, eux-mêmes sont des humains, tous différents, et tous avec une histoire différente, des individualités, irréductiblement distinctes les unes des autres.

Ainsi, le paysage se complexifie. Il ne s'agit plus de transmettre un savoir d'un point A à un point B, mais d'opérer cette transmission en tenant compte que le point B est en fait constitué, quand on y regarde de plus près, d'une multitude de petits points « bi » (où 1= i = n ; n étant l'effectif de la classe) et que ces « points bi » sont tous différents les uns des autres. Et ce n'est pas tout, car notre système constitué de A et de la famille des (bi) n'est pas en apesanteur. Il y a un espace, un temps, une société, c'est-à-dire des conditions matérielles et morale déterminantes : la salle de classe, l'heure de la journée, la saison pluvieuse ou ensoleillée, la température, la fatigue, la luminosité, la couleur des craies, le degré de modernité de l'ordinateur ou de la connexion internet, le bruit dans le couloir, ou dans la salle de classe voisine, le menu de la cantine, les parents, la direction de l'établissement, la santé, les tourments internes et externes, bref, tout ce qui constitue l'épaisseur de la vie individuelle et sociale. Et, à ce paysage déjà bien chargé, nous oublierions un élément essentiel si nous ne mentionnions pas la contrainte incontournable fixée par notre employeur, constituée par les programmes scolaires et toutes les autres instructions apportées par l'institution.

Dans un tel contexte, le professeur doit pouvoir, comme le bon médecin précité, adopter une approche clinique, c'est-à-dire partir « d'en bas » : regarder ses élèves. Le professeur jette un regard à gauche et voit le niveau de chaque élève ; puis il jette un regard à droite et voit à atteindre. Ensuite, il adapte. Enseigner, c'est réaliser de l'optimisation sous contrainte. Nous évoquions le médecin, mais nous aurions pu également mentionner le marin. Il sait d'où il part, il sait où il doit arriver, et, pour tracer sa route, il tiendra compte des éléments matériels, en ayant toujours la main posée sur sa barre fermement et souplement. Fermement, car le navire ne doit pas se laisser porter par les flots, les vents, les courants, les marées. Souplement, car il faut savoir, à tout moment, rectifier, réviser, réadapter. C'est l'adaptation dans l'adaptation, mais sans jamais perdre de vue l'objectif, qui, in fine sera bien atteint.

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Il est encore un autre point de comparaison entre le médecin et le professeur.

Chacun s'accorde à dire que ce qui fait la qualité de la médecine française, c'est la qualité de la formation. Cette formation allie en effet, un haut niveau théorique, croisé avec une pratique régulière et précoce. Dès leur troisième année, certains étudiants en médecine vont observer dans les hôpitaux. L'aller-retour entre théorie et pratique/observation, cette dialectique où chacun des pôles éclaire l'autre et débouche sur un niveau de compétence plus élevé, porte un nom : la formation en alternance. Pour ma part, ayant été d'abord étudiant de mathématiques, puis professeur contractuel, je n'avais jamais pu, jusqu'à ce jour, bénéficier d'une telle formation. Cela est arrivé cette année alors que je ne m'y attendais pas, puisque l'inspection m'avait assuré que, possédant déjà dix-huit mois d'expérience professionnelle, je serais affecté directement à temps complet. Cela est donc arrivé comme un fruit qui tombe alors que l'on ne s'y attendait plus. J'ai choisi de mettre à profit cette année imprévue pour entamer une réflexion sur l'acte d'enseigner, perçu comme étant distinct du remplissage de l'élève par un savoir détenu par le maître, mais comme étant cette savante et délicate alchimie à réaliser dans un contexte aussi délicat que ce que j'ai décrit précédemment.

Ayant toujours été attiré par le raisonnement, et ayant, dès mes premiers pas dans le métier, constaté les difficultés qu'éprouvaient les élèves à mettre en oeuvre efficacement cette compétence, c'est tout naturellement que mon travail de recherche s'est porté sur la problématique suivante : comment rendre le raisonnement accessible à tous. Pour cela, j'ai adopté une démarche pragmatique, que je qualifiais précédemment d'approche clinique. Je me suis rendu compte, que si, je voulais me déprendre de ce mythe de l'apprentissage conçu comme un simple remplissage, il allait falloir que j'accepte certains renoncements, que j'accepte de « lâcher », que j'accepte de ne pas craindre l'erreur, (les miennes, celles de mes élèves), que j'accepte de ne pas contraindre un élève à une unique procédure particulière prédéfinie (et qui serait la mienne). Mon métier n'est pas tant d'apporter un poisson à un élève que de lui apprendre à pêcher par lui-même, et pour lui-même, et, peut-être plus tard - qui sait - pour les autres, afin que cette flamme que m'avaient transmise mes enseignants continue à se propager, comme elle le fait depuis des siècles.

Les travaux sur lesquels s'appuie mon mémoire sont issus de mon expérience en 2019/2020 comme professeur de mathématiques en classe de cinquième à l'ensemble scolaire

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Françoise Cabrini, établissement privé sous contrat situé à Noisy le Grand (93). J'y ai été très bien accueilli, conseillé, parfois réconforté, non seulement pas ma tutrice, mais par tous mes autres collègues et la direction. Les élèves sont principalement issus de ce que l'on appelle communément la classe moyenne. Tous ont témoigné, notamment en cette période de confinement, d'une remarquable assiduité ainsi que d'une confiance bienveillante envers le professeur stagiaire que je suis. Il en fut de même des parents. Que tous soient ici chaleureusement remerciés.

Le corpus théorique sur lequel je me suis fondé est constitué, outre des cours enrichissants qui m'ont été dispensés à l'IFSEC, de textes, conférences, interviews visibles sur internet, de quatre mathématiciens tous lauréats de la médaille Fields : Alexandre Grothendieck, Alain Connes, Laurent Lafforgue et Cidrec Vilani. Ces personnes ont atteint et repoussé les cimes des mathématiques. On pourrait penser qu'elles se désintéressent des jeunes élèves qui apprennent, mais il n'en est rien.

Tous ces grands mathématiciens ont su, et savent encore - pour ceux qui sont encore de ce monde - exprimer, en des termes très simples, accessibles à tous, ce que, pour eux, signifie l'activité mathématique et le raisonnement en particulier. C'est pourquoi ils m'ont fourni des éléments théoriques précieux pour répondre à la problématique que je me suis posé : « Comment aider les élèves à raisonner, comment leur faire prendre conscience qu'un raisonnement est en jeu ? »

La flamme qui anime ces grands hommes, ils parviennent à la transmettre à tous, même aux plus jeunes, même aux personnes qui pensent être éloignées des mathématiques. Leur parole, toute de rigueur et de poésie, chaque mot étant pesé - c'est là une caractéristique du mathématicien : il dit tout ce qui est utile, rien que ce qui est utile - peut ainsi grandement aider celui qui a fait profession de transmettre les mathématiques. Ces grands savants, par la lumineuse sobriété de leur propos, viennent corroborer la maxime selon laquelle le vrai savant est capable d'expliquer en des termes simples des choses compliquées, tandis que le faux savant - le trissotin de Molière, lui, se perdra en mots compliqués pour décrire une réalité enfantine.

Je me suis aussi appuyé sur les écrits d'un psychologue cognitiviste, qui, dès les années 1980 s'est intéressé à la déconstruction des processus d'apprentissage : Jean Julo. On notera d'ailleurs

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que son souci d'aider l'élève à se forger ses propres images rejoint celui formulé par Alexandre Grothendieck.

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I. Le raisonnement : éléments de vocabulaire, cadre théorique

1. L'art de définir

En mathématiques, comme ailleurs, il convient de commencer par définir les termes. Notons d'ailleurs que l'art de définir peut constituer, en mathématiques, une compétence en elle-même, sur laquelle repose ensuite tout le reste de l'activité mathématique. Une bonne définition est une définition énoncée non pas comme un ensemble sacralisé de mots vides de sens, et dépourvus de relation entre eux, mais comme un corpus simple qui porte en germe la notion elle-même, qui concentre son sens, peut parfois suffire à donner l'impulsion initiale à un cours.

Ainsi, avec les élèves de collège, lorsque j'évoque le triangle, je commence par les faire réfléchir sur l'étymologie du mot. Chacun convient vite que « tri-angle » signifie que notre figure possède trois angles. Passons à la figure à quatre angles. Il serait logique qu'elle s'appelle un quadri-angle. Mais voilà qu'elle s'appelle « quadri-latère ». On réfléchit au sens du mot « latère ». Au football, celui que les journalistes désignent fréquemment comme un « joueur de couloir », s'appelait encore il y a peu, un arrière latéral, car il était positionné sur le côté. Notre quadrilatère possède donc quatre cotés. Voilà qui est indiscutable. Cependant, il possède aussi quatre angles. Une figure possède donc toujours le même nombre d'angles que de côtés ? Y a-t-il toujours autant de piquets de clôture que de segments de grillage ? Et nous voici partis dans une réflexion autour de la notion de figure fermée. Passons ensuite à n=5. La figure sera-t-elle un « quinqua-angle », ou un « quinqua-latère » ? Ni l'un ni l'autre : c'est un « penta-gone ». Et nous voici cette fois partis sur le terrain de l'étymologie grecque et peut-être aussi celui des institutions étatsuniennes. En mathématiques, tout ce qui fait réfléchir est utile, surtout dans les petites classes, là où la contrainte du programme est moins pressante.

2. Définir le raisonnement

Revenons-en à la définition du mot « raisonnement ». Sans surprise, le Larousse nous apprend qu'il s'agit de l'action de raisonner, donc de mobiliser notre raison. Mais, convaincus, comme déjà les philosophes de l'antiquité grecque -tel le dialogue de Socrate et de l'esclave- que tout être humain est doté de raison, et que celle-ci se manifeste à tout moment, sauf dans les actes

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réflexes (retirer sa main d'une surface brûlante) ou de nature végétative (battement du coeur, respiration), cela signifie-t-il que, dans la vie, tout serait raisonnement ?

Il s'agit là d'un débat de nature philosophique que nous n'avons pas compétence à conduire, et qui, de surcroît, nous éloignerait des apprentissages mathématiques. Toutefois, cette question interroge : si raisonner signifie faire usage de sa raison, cela implique-t-il qu'en mathématiques, discipline où il est vivement conseillé de se montrer raisonnable, toute action se rapporte-t-elle au raisonnement ? Nous n'avons pas, là non plus, compétence pour répondre, et, pour lancer efficacement notre réflexion, il nous faut consulter les documents institutionnels, produits par le groupe mathématique des inspecteurs généraux, et relatifs aux différentes compétences travaillées en mathématiques.

On y lit que la compétence « raisonner » peut prendre les formes suivantes :

« - Résoudre des problèmes impliquant des grandeurs variées (géométriques, physiques, économiques) : mobiliser les connaissances nécessaires, analyser et exploiter ses erreurs, mettre à l'essai plusieurs solutions.

- Mener collectivement une investigation en sachant prendre en compte le point de vue d'autrui.

- Démontrer : utiliser un raisonnement logique et des règles établies (propriétés, théorèmes, formules) pour parvenir à une conclusion.

- Fonder et défendre ses jugements en s'appuyant sur des résultats établis et sur sa maîtrise de l'argumentation. »

Il est précisé que cette compétence peut se rattacher aux domaines 2 (des méthodes et outils pour apprendre), 3 (la formation de la personne et du citoyen) et 4 (des systèmes naturels et des systèmes techniques) du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, défini par le décret 2015-372 du 31 mars 2015 et ensuite intégré à la partie réglementaire du code de l'éducation.

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Cette référence institutionnelle est intéressante car elle établit que, si le raisonnement n'est certes pas « partout et nulle part », il est tout de même présent dans bien davantage de domaines de l'activité mathématique que l'on pourrait le penser. Ainsi, pour moi, initialement, le raisonnement se réduisait à la démonstration, et plus particulièrement à la démonstration géométrique, comme celle, par exemple, qui consiste à montrer que le centre de gravité, l'orthocentre, et le centre du cercle circonscrit sont alignés.

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3. Où réside le raisonnement ?

Toutefois, si la compétence raisonner ne se limite pas aux seules démonstrations précitées, cette compétence n'est pas cependant présente partout. Elle possède un périmètre, une frontière séparant un intérieur d'un extérieur.

Lorsque l'on demande à un élève de calculer « 7 + 5 », il ne s'agit pas d'un raisonnement. Certes, on pourra, non sans raison, faire valoir qu'un calcul aussi élémentaire, mobilise, notamment chez les très jeunes élèves, de nombreuses fonctions cognitives se rapportant au raisonnement. Mais, nous admettrons que, pour des élèves de cinquième qui ont constitué le groupe sur lequel je me suis appuyé, un tel calcul est extérieur à la compétence « raisonner ».

Cependant, lorsque l'on demande à un élève « 7 + combien = 12 », là, il en va différemment. En effet, cette fois on connaît le résultat, et il nous faut retrouver la cause. Ce « retour en arrière » constitue pour nous un acte éminemment lié à la compétence « raisonner ». Il s'agit là d'une difficulté fréquente :

- Quel est le double de 6 ? Tout élève saura répondre.

- De qui 6 est-il le double ? Là encore, il y a matière à raisonnement.

- Quel est le père de Paul ? De qui Paul est-il le père ?

C'est un phénomène que l'on rencontre partout : il est facile de calculer une image, il est bien plus dur de retrouver l'antécédent. Et, l'on perçoit bien comment le raisonnement est lié, en substance, à la notion de langage. Lorsque je cherche le nombre dont le cube est égal à 125, le mot « dont » est un pronom relatif dont l'antécédent est « le nombre ».

Il est toujours plus facile de détruire que de construire. Ceci nous rapproche du second principe de thermodynamique, matérialisé par la formule « äQ = TdS », et qui donne naissance à l'entropie. Le penchant naturel va vers la création d'entropie, de chaleur, de désordre, de chaos. Le rôle du mathématicien, sa mission, son bonheur ou sa malédiction, est de remonter la pente de ce cours naturel et de produire de la néguentropie. N'est-ce pas ce qui fit Galois qui, par sa théorie, put nous aider quant à la « refactorisation » des polynômes ?

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4. Raisonnement, enquête, vérité

Revenons à notre exemple : référence 7 + ? = 12.

Cette fois, il va falloir raisonner. On connaît le résultat, mais on cherche qui l'a produit. Nous sommes dans la situation du détective de roman policier. Il constate le délit, il cherche son auteur.

Cédric Villani formule les choses ainsi :

« Une preuve est un mot qui revient souvent dans les débats, les enquêtes policières, les procès. « Vous avez la preuve de ce que vous avancez ? ». Preuve, cela peut être un indice compromettant retrouvé sur le lieu du crime ou dans la poche de l'accusé, ou une confession ... »

Si nous sommes devenus détective, il va nous falloir mener l'enquête. Enquête à la recherche de la vérité.

Le mathématicien - et nous posons que tout élève faisant des mathématiques, est à son niveau un mathématicien - est donc un chercheur de vérité, comme il y a des chercheurs d'or, ou, actuellement, des chercheurs de vaccins et de remèdes.

Le chercheur d'or n'est pas certain de trouver de l'or. Et il n'est même pas certain qu'il y ait de l'or.

Pour notre mathématicien, c'est-à-dire pour notre chercheur de vérité, il en va différemment. Il n'est certes pas certain de découvrir la vérité. Mais, il sait une chose, c'est que celle-ci existe : s'il y a eu crime, c'est bien qu'il existe un criminel, si, passant de 7, nous sommes parvenus à 12, c'est bien que l'on ajouté quelque chose, mais quoi ?

Qu'est-ce qui est le plus dur : chercher de l'or sans savoir s'il y en a, ou chercher la vérité en sachant que celle-ci existe ? Cela se discute. Le chercher d'or en échec pourra toujours se consoler en se disant que, s'il rentre bredouille, c'est que, si cela se trouve, il n'y avait nul gisement, nulle pépite. Notre mathématicien, notre chercheur de vérité, lui, ne pourra pas invoquer une telle excuse ! Et, de même, lequel du chercheur d'or ou de vérité connaîtra la joie

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la plus intense lorsqu'il trouvera ce qu'il cherche ? Ce sont là d'autres questions pour d'autres sujets de recherche.

La question de la recherche de la vérité est donc centrale pour un mathématicien. Laurent Lafforgue formule les choses en ces termes :

« D'une certaine manière, c'est ce qu'il y a de plus positif dans l'attitude du mathématicien, d'être, à ce moment, complètement obnubilé par la Vérité, de s'oublier soi-même pour ne plus penser qu'à la Vérité. C'est le caractère positif de la communauté mathématique, malgré toute sa compétitivité : quand des mathématiciens parlent d'un sujet mathématique entre eux, ils se réfèrent tous à quelque chose qui n'est pas eux-mêmes. Ce n'est pas nous qui décidons de la Vérité : nous pouvons seulement la chercher, la servir, lui obéir, mais nous ne pouvons pas la changer.

Dans les périodes de concentration comme dans les débats entre mathématiciens, on s'oublie soi-même pour s'intéresser à quelque chose qui n'est l'avis d'aucun de nous, qui n'est pas notre vie, qui n'est pas nous-même, qui n'est pas notre personne : ce sont des objets de pensée qui ne nous concernent que dans la mesure où ils participent de la Vérité ».

Ce mathématicien va donc jusqu'à donner à la Vérité le statut d'un objet transcendantal, comme si pour lui cette quête s'apparentait jusqu'à la recherche de Dieu. Ne dissimulant pas son état de croyant, il indique que cela l'aide dans cette recherche de la Vérité, qui pour lui est naturellement liée à la notion de beauté, du fait que toutes les vertus convergent en un seul concept. Cependant, avec modestie et honnêteté, il reconnait que ses collègues non croyants vivent, sans doute d'une autre manière, la même expérience que lui. Il y aurait donc, comme une confrérie (une fraternité) des chercheurs de la Vérité.

« Les mathématiques sont également une expérience de la richesse de la création, une expérience de la beauté. Ce sont évidemment des aliments de la foi pour moi, mais je suis obligé de constater que la plupart de mes collègues ne sont pas croyants et qu'ils font cette même expérience ou des expériences semblables ».

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D'une toute autre école philosophique, mais membre lui aussi de cette fraternité des chercheurs de vérité, Cédric Villani se pose à son tour la question de l'intervention de Dieu, en lien avec la recherche de la Vérité.

La question qu'on lui pose : « Dans votre ouvrage, vous évoquez « le coup de fil du dieu de la mathématique », le « miracle » dans la résolution d'un problème. Existe-t-il quelque chose de l'ordre de l'inspiration divine dans l'avancée de la recherche à un moment donné ? »

Ce qu'il répond : « Quand vous êtes occupé à un problème scientifique, le processus cognitif est une alternance entre des phases de réflexion intense, méthodique, où l'on explore tous les possibles, où l'on fait appel à tout son savoir, et des périodes que l'on appellera des phases d'illumination : quelque part se met en place dans votre cerveau l'idée qu'il faut chercher plutôt ici que là. Il y en a de grandes, il y en a de petites. J'adhère à la théorie classique selon laquelle il faut voir là le résultat d'un travail inconscient de mise en ordre, de recherche de connexions, par analogie, en partie pendant le sommeil, et non celui d'un processus extérieur. »

Cette fois-ci, le mathématicien n'invoque plus Dieu, mais des mécanismes en lien avec l'inconscient, comme si, par de profonds remaniements internes, la Vérité en venait à émerger du tréfonds de notre être.

Quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse de Dieu ou d'un inconscient profondément enfoui, on voit bien que les chercheurs de Vérité invoquent des instances très puissantes, qui sont sans doute en rapport avec les masses d'énergie que le chercheur de vérité met en mouvement pour tenter de trouver la vérité.

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5. Chercher la vérité

Chercher la Vérité peut donc sembler être une épreuve terrifiante, une croix à porter, un calvaire, une sorte d'épreuve herculéenne et initiatique. S'il y a tant de souffrance, pourquoi donc faire des mathématiques ? Est-ce alors bien raisonnable de proposer de telles tâches à de jeunes élèves ?

Sur cette question de la souffrance, mêlée au bonheur et à la beauté, les mathématiciens ont tous leur idée, ce qui est bien la preuve que la question s'est posée à eux !

Laurent Lafforgue présente les choses ainsi :

« J'appartiens à la famille de ceux qui aiment bien travailler sur des problèmes très difficiles et essaient de l'attaquer de manière directe en se cassant la tête dessus, avec une grande force de volonté, en faisant feu de tout bois ».

Il ne nie pas la violence du combat, puisqu'il s'agit ni plus ni moins de se casser la tête sur la dureté du problème. Ainsi, il n'esquive pas, il fonce tête baissée et tente d'affaiblir les résistances de l'ennemi, car il semble établi que si cette recherche de vérité est aussi dure, c'est qu'il y a un ennemi qui résiste, comme le coupable du crime qui ferait tout pour empêcher le détective de déterrer la vérité.

Toutefois, le même Laurent Lafforgue nous rassure : le combat peut parfois être moins frontal :

« Il y a des manières de faire des mathématiques qui sont beaucoup moins combatives. Par exemple, lorsque vous développez une théorie nouvelle, l'attitude va être complètement différente, parce qu'il va s'agir de percevoir et de suivre les pentes naturelles, de se laisser porter et de descendre les rivières ».

Nous voici quelque peu rassurés. La recherche de la vérité peut parfois être aussi paisible qu'une descente de rivière. Ainsi, il semble dans cette recherche qu'il y ait une alternance de côtes abruptes, de descentes paisibles, de zones arides, et de plaines verdoyantes ; de vaches grasses et de vaches maigres.

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Telle semble être aussi la conception de Cédric Villani.

« Le cycle de la recherche mathématique est comme un tunnel noir qui caractérise le début d'un projet de recherche ; après le noir vient une petite lueur fragile et puis, si tout va bien, on démêle le fil et c'est l'arrivée au grand jour. Souvent cette phase survient d'un seul coup, mais parfois c'est une autre histoire »

Ainsi, après le tunnel, vient la lumière : le noeud finit par se dénouer. Mais, avertit-il, prudemment, « parfois, c'est une autre histoire ». On veut bien le croire....

6. Décantation - image - erreur

L'immense mathématicien Alexandre Grothendieck, père de la géométrie algébrique, qui, après avoir défriché d'immenses territoires nouveaux de Vérité, a soudain décidé de vivre jusqu'à son décès en 2014, reclus, jusqu'à la fin de sa vie, privé de tout. Il a développé une approche intéressante au sujet de sa manière à lui de rechercher la Vérité. Il appliquait la méthode « décantation - image - erreur.

« Cette intuition peu à peu va se décanter d'une gangue toute aussi informe d'abord d'idées fausses ou inadéquates, elle va sortir peu à peu des limbes de l'incompris qui ne demande qu'à être compris, de l'inconnu qui ne demande qu'à se laisser connaître, pour prendre une forme qui n'est qu'à elle, affiner et aviver ses contours, au fur et à mesure que les questions que je pose à ces choses devant moi se font plus précises ou plus pertinentes, pour les cerner de plus en plus près.

Mais il arrive aussi que par cette démarche, les coups de sonde répétés convergent vers une certaine image de la situation, sortant des brumes avec des traits assez marqués pour entraîner un début de conviction que cette image-là exprime bien la réalité - alors qu'il n'en est rien pourtant, quand cette image est entachée d'une erreur de taille, de nature à la fausser profondément. Le travail, parfois laborieux, qui conduit au dépistage d'une telle idée fausse, à partir des premiers « décollages » constatés entre l'image obtenue et certains faits patents, ou entre cette image et d'autres qui avaient également notre confiance - ce travail est

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souvent marqué par une tension croissante, au fur et à mesure qu'on approche du noeud de la contradiction, qui de vague d'abord se fait de plus en plus criante - jusqu'au moment où enfin elle éclate, avec la découverte de l'erreur et l'écroulement d'une certaine vision des choses, survenant comme un soulagement immense, comme une libération.

La découverte de l'erreur est un des moments cruciaux, un moment créateur entre tous, dans tout travail de découverte, qu'il s'agisse d'un travail mathématique, ou d'un travail de découverte de soi. C'est un moment où notre connaissance de la chose sondée soudain se renouvelle. »

Ces lignes magnifiques méritent que l'on s'y arrête quelques instants.

Au premier abord, c'est-à-dire à la lecture du premier paragraphe, on pourrait penser que Alexandre Grothendieck a mis au point une méthode « non violente » de la recherche de la vérité. En effet, tout se passe comme si, par dialogue et douceur, par apprivoisement, la vérité sortait d'elle-même de sa gangue comme le papillon de sa chrysalide, lorsque l'heure est venue.

Cependant, à la lecture du deuxième paragraphe, nous déchantons : ce que nous croyions être la silhouette de la vérité, s'avère être une fausse vérité. Un peu comme, dans un puzzle, un morceau semble être le bon, mais, que - et il faut bien se rendre à l'évidence - ce n'est pas le bon. La paisible décantation du premier paragraphe a accouché, non pas de la vérité mais de l'erreur.

Mais c'est ensuite que les choses deviennent lumineuses. Résumons-nous :

- Nous avons trouvé une coque (une gangue).

- Par délicates petites touches, nous avons extrait de cette coque un minerai que nous pensions

être de l'or.

- Néanmoins ce minerai n'est pas de l'or.

Nous pourrions penser que, suite à cette déconvenue, il y aurait comme un affaissement, comme un « krach » et qu'il nous faudrait tout reconstruire.

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Eh bien non, car le mathématicien, ce chercheur de vérité n'est pas un faussaire. Lorsqu'est apparu le minerai, il ne s'est pas précipité pour aller le revendre à un bijoutier. Il a entrepris une expertise minutieuse, pas à pas : une sorte de seconde décantation. Peu à peu, il est apparu que ce minerai n'était pas de l'or, c'est-à-dire que ce minerai s'est détaché, s'est décollé du concept d'or. Or, cela, ce n'est pas un effondrement, loin de là. Car, sitôt ce minerai extrait de la gangue, nous pressentons - comme si nous avions des capteurs en nous qui nous alertaient sur le fait que quelque chose « clochait » - qu'il y a comme une dysharmonie intérieure profonde : non, cela ne peut pas être de l'or. Lorsque nous prouvons ensuite que ce n'est pas de l'or, nous jubilons, car nous avons trouvé une vérité. Certes, ce n'est pas la vérité que nous cherchions ; c'en est une autre, sans doute moins élevée. Cependant, à nos yeux toute vérité étant de l'or, nous avons trouvé notre or.

En d'autres termes, celui qui parvient au résultat selon lequel le résultat trouvé n'est pas le résultat cherché n'a aucune raison de s'affliger, car il a tout de même trouvé un résultat.

En d'autres termes encore : démontrer qu'une erreur est une erreur, n'est pas une erreur.

Voilà pourquoi Alexandre Grothendieck indique que l'écroulement est en fait un soulagement, une libération. Tout ceci est très profond, et ramène à de nombreux contes à forte portée symbolique, comme celui, naïf, et qui fut aimé des enfants de Kirikou. La méchante sorcière était puissante, mais sa puissance provenait d'une épine qui la faisait souffrir, et sa souffrance interne la poussait à une toute puissante tyrannique. Par la suite, par le biais de Kirikou, adepte de la méthode de décantation, la voilà libérée de son épine. Aussitôt, elle perd sa puissance, mais devient une belle femme qui épouse Kirikou. On retrouve ainsi la notion d'écroulement et de libération.

Ce n'est qu'après cette explication de texte préalable que l'on peut mieux comprendre et savourer la citation suivante de Alexandre Grothendieck, citation dont un autre immense mathématicien Alain Connes dit qu'elle atteint les sommets :

« Craindre l'erreur et craindre la vérité est une seule et même chose. Celui qui craint de se tromper est impuissant à découvrir. C'est quand nous craignons de nous tromper que l'erreur qui est en nous se fait immuable comme un roc. Car dans notre peur, nous nous accrochons à ce que nous avons décrété « vrai » un jour, ou

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à ce qui depuis toujours nous a été présenté comme tel. Quand nous sommes mûs, non par la peur de voir s'évanouir une illusoire sécurité, mais par une soif de connaître, alors l'erreur, comme la souffrance ou la tristesse, nous traverse sans se figer jamais, et la trace de son passage est une connaissance renouvelée. »

Mal comprise, cette citation très connue, a parfois été interprétée de la façon suivante : « En maths, se tromper, ce n'est pas grave, l'important c'est d'essayer. ».

Ce genre de propos mérite quelques précisions :

- Certes, se tromper en mathématiques n'est pas grave, au sens où, par exemple, ce n'est pas une erreur morale. En se trompant, on ne lèse personne, on ne blesse personne, ni soi-même, ni autrui. Une erreur mathématique ne relève donc ni du SAMU, ni de la police. Ces propos peuvent paraître évidents, mais en réalité, ils ne le sont pas tant que cela. Sur un plan éducatif, on ne répètera jamais assez qu'une erreur n'est pas une faute. Car le terme « faute » employée couramment dans notre système scolaire possède un sens ambigu. Une faute est souvent entendue, sur un plan religieux et moral comme un péché, et, sur un plan juridique comme un délit. Cette désastreuse ambiguïté conduit souvent des élèves à être tétanisés de peur de commettre une « faute ». Il est nécessaire, et c'est là une vaste et importante question, de rappeler sans cesse à nos élèves qu'une erreur n'est pas une faute. Une faute peut conduire à une sanction éducative, mais une erreur, jamais.

- Certes il est important que les élèves essayent. Cela est d'ailleurs rappelé en première page de tout sujet d'examen : toute trace de recherche, même infructueuse, sera prise en compte. Là encore, cela est important sur le plan pédagogique. Oser est une bonne chose.

Mais, celui qui réduirait la portée de la situation de Alexandre Grothendieck au fait que « En maths, se tromper, ce n'est pas grave, l'important c'est d'essayer. » passerait à côté du sens profond de ces lignes.

Les propos de Alexandre Grothendieck ne font rien d'autre que de dépeindre le sort du mathématicien - et, rappelons-le, nous avons posé que tout élève faisant des mathématiques devait être considéré comme un mathématicien - en expliquant que ce pauvre chercheur de vérité est condamné à jamais à aller d'erreur en erreur, de désillusion en désillusion, comme les

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nombreuses situations mythologiques où un être est condamné à ne jamais trouver le repos, c'est-à-dire le havre de paix, la verte prairie, la terre promise.

Néanmoins, ce qu'il y a d'extraordinaire dans cette citation, c'est que l'auteur, loin de plaindre le mathématicien victime de cette malédiction, estime que finalement c'est là le chemin de la vie. N'a-t-il pas raison ? N'est-ce pas, depuis tout temps, le sort de l'humain, qui, cherchant la vérité, ne va non pas de prétendue vérité en prétendue vérité, mais plutôt en fait d'erreur en erreur ? C'est ce procédé qui le fait avancer, rencontrer du monde, acquérir des connaissances, des compétences, et finalement gagner en intelligence et en civilisation.

Cette phrase d'une portée philosophique inouïe porte également en elle des indications pratiques pour l'enseignant s'adressant à ses élèves.

Alexandre Grothendieck, finalement, ne s'inscrit pas en faux contre ses « collègues » Cédric Villani et Laurent Lafforgue, lesquels pouvaient a priori donner l'impression que la recherche de la vérité n'était que souffrance et tracas, et que seule l'intervention d'une puissance quasi-miraculeuse (un dieu, un songe) pouvait dénouer l'issue. Alexandre Grothendieck ne prétend pas qu'il y aurait une méthode douce de parvenir à la vérité, mais il dédramatise. Nous n'irons, de toute façon, que d'erreur en erreur.

7. Les lois du raisonnement - la déduction

Mais que ce soit pour Grothendieck, Villani, ou Lafforgue, les règles du jeu sont les mêmes : il faut chercher, chercher, chercher, et ce n'est pas facile.

C'est le cas notamment car les mathématiques possèdent leurs propres règles. Rappelons-le, chercher la vérité, chercher l'inconnue de l'équation « 7 + ? = 12 », chercher qui est l'auteur du crime, exige de suivre des règles bien précises. Aucun jury n'accepterait de condamner - et avec raison - un accusé pour lequel la preuve de sa culpabilité n'aurait pas été établie selon les règles de l'art. Il y a un art. Il y a des règles.

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Les règles du raisonnement mathématique sont très bien rappelées dans le document d'accompagnement « cycle 4 » rédigé par le groupe mathématique de l'enseignement général, dont voici quelques extraits dont certains mots ont été soulignés volontairement :

« Chacune des étapes de résolution d'un problème (compréhension de l'énoncé et de la consigne, recherche, production et rédaction d'une solution) fait appel au

raisonnement, processus mental permettant d'effectuer des inférences.

Rappelons qu'une inférence est une opération mentale par laquelle on accepte qu'une proposition soit vraie en vertu de sa liaison avec d'autres propositions.

Les phases de recherche, de production et de rédaction de preuve font appel à des raisonnements de différentes natures.

Les raisonnements inductifs et abductifs, essentiellement mis en oeuvre dans la phase de recherche, permettent d'aboutir à l'émission de conjectures qu'il s'agira ensuite de valider ou d'invalider. Si la production d'un contre-exemple suffit à invalider une conjecture, sa validation repose sur une démonstration, moyen mathématique d'accès à la vérité.

On rappelle que « démontrer », c'est « donner à voir » les différentes étapes d'une preuve par la présentation, rédigée sous forme déductive, des liens logiques qui la sous-tendent.

Le raisonnement inductif consiste à généraliser une propriété observée sur des cas particuliers. Il fonctionne selon le schéma suivant : constatant sur des exemples que, lorsque A est vraie, alors B est vraie, on émet la conjecture que (A implique B) est vraie.

Le raisonnement abductif consiste à présumer une cause plausible d'un résultat observé. Il fonctionne selon le schéma suivant : pour démontrer que B est vraie, sachant que (A implique B) est vraie, on va démontrer que A est vraie. Le raisonnement abductif est notamment utilisé sous forme d'une analyse remontante, encore appelé chaînage arrière, qui consiste, à partir du résultat que l'on veut

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démontrer, à repérer une ou plusieurs propriétés (conditions suffisantes) qui, si elle(s) étaient établie(s), permettrai(en)t d'atteindre le résultat par application d'un théorème identifié. On substitue alors momentanément au problème de départ un (ou plusieurs) nouveau(x) problème(s) consistant à établir ces conditions intermédiaires.

[La démonstration] fait appel au raisonnement déductif qui (entre autres) s'appuie sur :

- la déduction proprement dite (ou règle de détachement ou modus ponens), qui fonctionne selon le schéma suivant : sachant que (A implique B) est vraie et que A est vraie, on conclut que B est vraie. Le premier pas d'une déduction consiste à reconnaître une situation de référence A (une configuration géométrique, une situation de proportionnalité, une propriété de nombres, etc.) ,
· le second consiste à appliquer le théorème qui stipule que (A implique B) ,
·

- la disjonction de cas, qui fonctionne selon le schéma suivant : pour montrer que (A implique B), on sépare l'hypothèse A de départ en différents cas recouvrant toutes les possibilités et on montre que l'implication est vraie dans chacun des cas

,
·

- Le raisonnement par l'absurde (reductio ad absurbum) qui fonctionne selon le schéma suivant : pour montrer que A est vraie, on suppose qu'elle est fausse et par déduction on aboutit à une absurdité. »

Telles sont, ci-dessous, les règles universelles et éternelles du raisonnement. Aucun des mathématiciens précités n'entend s'en émanciper.

Lors de ses conférences, Cédric Villani commence d'ailleurs souvent par évoquer le cas célèbre des zéros alignés de la fonction zêta de Riemann.

Il s'agit d'une fonction holomorphe dont la variable est souvent notée s, avec Ré(s) >1 (pour

assurer la convergence) et définie par ò(s) = ? 1

??=1 ????

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À son sujet, Cédric Villani rappelle la chose suivante :

« (...) Un physicien qui vérifie une théorie mille fois dans mille situations différentes considérera qu'il a là une preuve de sa théorie. Pour un mathématicien, ce n'est pas une preuve, c'est un faisceau d'indices. On aura beau accumuler les indices, la preuve ne pourra être considérée comme telle que si elle se ramène à un raisonnement déductif, fondé uniquement sur la logique.

Pour illustrer cette singularité de notre discipline, je cite souvent le cas du plus célèbre de tous les problèmes mathématiques non résolus : l'hypothèse de Riemann. Elle dit que, dans un plan, une certaine fonction - appelée fonction zêta de Riemann - s'annule une infinité de fois en des points qui sont tous alignés sur la même droite verticale ; quiconque parviendra à démontrer cette hypothèse, qui a d'importantes conséquences dans différents domaines des sciences, deviendra instantanément le mathématicien, ou la mathématicienne, le plus révéré du siècle. Cette hypothèse, on l'a vérifiée expérimentalement par des calculs informatiques de centaines de milliards de points d'annulation. Et ils sont tous alignés ! Pourtant, pour un matheux, ce n'est toujours pas une preuve, juste un faisceau d'indices ».

Ainsi, le seul raisonnement valable est bel et bien le raisonnement déductif. Il n'y a pas de raccourci possible, pas de magie.

Et, comme si cela n'était pas suffisamment clair, Cédric Villani aime à préciser :

« Il existe cette partie expérimentale en physique mais également une partie théorique. Pour autant, on la distingue de ce que font les mathématiciens. Ceux-ci ont une rigueur que n'ont pas les physiciens, parce qu'ils vont jusqu'au bout du raisonnement, parfois à l'extrême ».

Ainsi, nous voilà prévenus. Le raisonnement mathématique est déductif et rien d'autre, et cela nous oblige à une « rigueur extrême ». Les mathématiques seraient donc la discipline des

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« extrémistes » ! Fort heureusement, il ne s'agit que de manier des concepts, le mathématicien ne travaillant pas sur le réel, mais sur des objets qui ne sont que des constructions intellectuelles.

Cette rigueur extrême avait d'ailleurs été rappelée à Alexandre Grothendieck par son maître Jean Dieudonné, lors de leur rencontre. Alexandre Grothendieck étant d'un naturel solitaire, il avait démontré un résultat sans s'apercevoir que celui-ci avait déjà été démontré auparavant.

« La rencontre commence par une mise au point : on ne refait pas ce qui a été fait. En maths, c'est stupide. »

Les propos sont durs, mais ils sont logiquement imparables.

8. Est-il facile de raisonner ?

Pour nourrir encore cette image des mathématiques comme étant une discipline austère régie par des normes logiques immuables et implacables, il est intéressant de prendre connaissance de ces propose de Cédric Villani :

« Question : Vous avez un jour opposé les mathématiques et la littérature, en affirmant que celle-ci faisait l'objet d'une préférence a priori parce qu'elle était plus naturelle que les mathématiques. Ne peut-on pas supposer qu'il y ait quelque chose qui, en nous, soit naturellement sensible aux objets mathématiques ?

Réponse : L'idée que l'on a, dès la naissance, des connaissances, même techniques, sans le savoir et que l'éducation vise à les révéler est très ancienne : on la retrouve chez Socrate ou Platon. Personnellement, je n'y crois guère. Il y a certes un fond de réalité derrière, à savoir que l'on peut être plus ou moins sensible à certaines symétries, à certains ordres, à l'abstrait. Mais je maintiens qu'il y a une différence majeure entre ce qui est fondé sur la parole, que tout le monde apprend à maîtriser, et ce qui repose sur un savoir-faire mathématique. Parler est une activité naturelle depuis des dizaines voire des centaines de milliers d'années. La mathématique, au contraire, a longtemps été réservée à une élite et ce n'est que

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depuis deux cents ans que tout le monde est exposé au raisonnement abstrait ; cela n'a pas eu le temps de se mettre en place dans nos gènes et notre culture. »

Ces propos ont une portée qui ne peut laisser indifférent un enseignant.

Un terme est fréquemment apparu dans notre système scolaire : celui d'exposition. On parlait jusqu'à présent d'exposition au soleil, d'exposition à des risques. On évoque à présent, notamment dans l'enseignement des langues étrangères, la nécessité d'exposer les élèves à ces langues. C'est ainsi que, désormais, un cours d'anglais se déroule intégralement en anglais, de l'entrée en classe jusqu'à la sortie. Ainsi exposés à cette langue, les élèves acquerront des compétences. Il semble bien qu'une telle pratique porte ses fruits. Autrefois, une telle exposition était réduite à la venue de l'assistant de langues durant le cours. Le reste du temps, le cours se déroulait alternativement en français et en anglais. L'exposition se rapproche ainsi de l'immersion. Une telle pédagogie se pratique également dans l'enseignement de l'informatique, notamment dans les écoles d'ingénieur. Les premières semaines sont souvent baptisées la « piscine » au sens où les étudiants sont directement plongés dans un problème à résoudre, sans cours théorique préalable, sans aide, exceptée celle que peut leur procurer leurs camarades. Et, in fine, ils s'en sortent et savent, peu ou prou, nager. Ce n'est qu'ensuite que les savoirs théoriques seront posés. Tout ceci se rapproche également des méthodes pédagogiques dites de « classe inversée », qui suscitent actuellement une controverse dans les milieux pédagogiques, controverse portant sur leur caractère éventuellement discriminant sur le plan social.

Ce tableau étant brossé, analysons ce que dit Villani. Pour lui, la méthode de l'exposition ne s'applique pas aux mathématiques. Ceux-ci sont « contre nature », ils ne sont pas « dans nos gènes ». Dès lors, s'exposer aux mathématiques comme on humerait un parfum ne produirait aucun effet. Seul l'enseignement explicite des mathématiques, et du raisonnement déductif, avec ses règles strictes, peut conduire un élève à acquérir des compétences en mathématiques.

Laurent Lafforgue n'est guère plus optimiste :

« Quand on fait des mathématiques, on oublie le monde et on s'oublie soi-même. Il est vrai que c'est une expérience assez profonde, ce qui explique peut-être pourquoi beaucoup de personnes sont réfractaires aux mathématiques. Des personnes peuvent répugner ou refuser complètement ce type d'expérience, même

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au niveau le plus élémentaire, à l'école primaire. Si on nous demande de réfléchir à quelque chose, brusquement nous ne pensons plus qu'au problème qui est devant nous, et nous oublions tout le reste. Nous sommes habitués à cela, mais ça n'est pas du tout une expérience anodine. »

Nous voici prévenus. Non seulement (cf Villani), les mathématiques ne s'acquièrent pas par simple exposition, mais en outre (cf Lafforgue) il ne faut pas se cacher que beaucoup de gens sont hermétiques aux mathématiques !

Pour ma part, je nuancerais cette dernière affirmation, et je la reformulerais d'une autre façon. Il est exact que rares sont les personnes qui spontanément sont attirées, aspirées vers cet univers si particulier qu'est le monde des mathématiques. Ces personnes-là, on les reconnaît, ce sont les futurs mathématiciens. C'est vrai qu'ils ne sont pas nombreux. En revanche je postule, et même, je soutiens, que toute personne, quelle que soit son âge, son origine, son sexe, son niveau socio-culturel, peut avoir accès aux mathématiques et y éprouver un certain plaisir.

9. La recherche obstinée de la preuve logique : une spécificité française ?

À ce stade de notre raisonnement, on pourrait s'interroger si cette manière de présenter les mathématiques d'une façon quasi-sacralisée ne serait pas une spécificité française.

Chaque pays possède son histoire.

En Angleterre, sont apparus très tôt (vers le 17ème siècle) des contre-pouvoirs, qui ont conduit à une gouvernance « balancée », équilibrée, entre d'un côté, un parlement au départ composé d'aristocrates et de bourgeois, et, d'autre part, un roi, qui régnait mais ne gouvernait pas : « a king in parliament »

Au même moment, en France, c'est un cheminement inverse qui était suivi. Dans un souci d'efficacité, de rationalité (et l'on y revient : rationnel = raison = raisonnement), les rois se sont efforcés (avec succès) de faire disparaître tout contre-pouvoir aristocratique, en créant une monarchie absolue, c'est-à-dire une monarchie administrative, qui avait pour but de créer un Etat uniforme, où partout, selon un système bien organisé (bien « cartésien », pourrions-nous

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dire), et à l'intérieur d'un périmètre matérialisé par les constructions de Vauban, les règles étaient les mêmes. Par la suite, la révolution, puis l'empire napoléonien (qui a fondé l'ossature de notre pays actuel) ont poursuivi cette oeuvre conduisant à un Etat indivisible.

Ceci a une conséquence pour notre problème de raisonnement. Nous avons commencé par poser le fait qu'un raisonnement naissait d'une énigme qu'il s'agirait de percer. Cela signifie qu'il fallait, pour trouver la Vérité, naturellement unique, mener une enquête. Il s'agit là d'une démarche inquisitoire (inquisitoire, enquête).

En France, en application directe de la construction administrative d'un Etat avec ses fonctionnaires, notre système de justice repose sur la procédure inquisitoire. Un crime est commis, un juge est nommé, et il doit conduire une enquête, à charge, comme à décharge. Il doit s'efforcer, sans se faire influencer par aucune partie, par aucun avocat, par aucun contexte, de trouver la Vérité. C'est cela la procédure inquisitoire.

Dans les pays anglo-saxons, en raison de leur histoire (autrefois, c'était au parlement de rendre la justice en entendant les arguments des protagonistes), la justice fonctionne sur le mode du contradictoire. Ce n'est pas du tout pareil. Un tel système - et cela est d'ailleurs visible dans les séries américaines - fonctionne de la manière suivante. Le juge entend les avocats de chacune des parties, puis il tranche. Cela reproduit exactement le système anglais du 17ème siècle, avec le parlement souverain en matière de justice. Dès lors, ce qui compte, ce n'est pas tant la vérité que la qualité de l'argumentation. Dans le système du contradictoire, la vérité apparaît comme désacralisée, comme dépendant de la qualité des avocats, ou de l'humeur du juge. Bref, la liberté apparait comme dépendante des hommes.

Les mathématiques sont naturellement universelles, et les règles du raisonnement également. Toutefois, il serait intéressant de se demander si des mathématiciens anglais valideraient les propos de Villani et Lafforgue, c'est-à-dire qu'il serait intéressant de se pencher sur leur rapport à cette discipline.

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