L'erreur dans les réalisations écrites d'élèves marocains. état des lieux de leurs performances écrites, interrogations sur son statut et sur les modalités de sa gestion dans les documents officiels et dans les pratiques d'enseignement.par Sarah TAMIMI Université du Maine - Master 2 Didactique des Langues et l’enseignement du FLE 2019 |
2. L'état actuel des performances écrites des apprenants marocains en FLEPar ailleurs, bien qu'une part importante des programmes de l'enseignement du français soit accordéeà l'oral, le code écrit revêt une importance capitale. En effet, dans les examens scolaires, les élèves ne sont pas interrogés sur leurs performances verbales, mais plutôt sur leurs performances écrites. En outre, le fonctionnement des secteurs modernes de l'économie ainsi que celui de plusieurs administrations marocaines se fait essentiellement en français écrit. Aussi, les élèves sont-ils dans la nécessité pratique de mieux travailler l'écrit, clé de la réussite aux examens. Cela signifie également pour eux la possibilité d'accéder, sur le marché du travail, à des postes bien rémunérés. Cependant, si l'on se fie au discours ambiant des acteurs éducatifs, des instances officielles5(*) ou des spécialistes de l'éducation, la situation de l'enseignement/apprentissage du français dénote une carence malgré les réformes entreprises pour sa promotion, et ce depuis les années 90 du siècle dernier. Cette situation semble perdurer et les résultats attendus de son apprentissage sont insatisfaisants, voire catastrophiques dans certains cas (le milieu rural notamment). Ce constat unanime et partagé soulève un autre caractère paradoxal de cette langue : « C'est une langue de plus en plus présente, de plus en plus importante, mais aussi de moins en moins maîtrisé, comme si son extension dans le temps et l'espace devait se payer par une insuffisance de sa maîtrise. » (Mgharfaoui Khalil, 2016, p 4). 3. ProblématiqueSuite à des travaux analytiques des programmes et des orientations pédagogiques de l'enseignement du FLE au collège et au lycée6(*), A.Kharchoufi (2011, p 91) conclut que les orientations pédagogiques de 2009 pour l'enseignement du français au collège sont marquées par un certain nombre de confusions conceptuelles : « Elles prônent le modèle de l'approche par les compétences, mais adoptent des entrées didactiques relatives à la pédagogie par objectifs, au behaviourisme et aux approches communicatives (...) Elles déclarent sans équivoque que les enseignements de la langue française se font sur la base du statut officiel qui lui est accordé comme première langue étrangère. Mais les entrées méthodologiques et les objectifs assignés aux différents domaines d'apprentissage sont puisés dans les références curriculaires françaises. Les O.P vont même jusqu'à emprunter le profil d'entrée du collégien français sans tenir compte des spécificités de l'élève marocain. » De cefait, il s'interroge sur le modèle poursuivi par ces O.P : « Défendent-elles un français langue étrangère, un français langue maternelle ou seconde ? » Le même constat est confirmé par Chloé Pellegrini (C. Pellegrini, 2020)7(*), mais cette fois-ci dans les pratiques enseignantes. À partir des observations qu'elle a faites dans les classes, elle dit que : « La langue française est encore enseignée comme une langue seconde, voire maternelle, comme si les élèves marocains pratiquaient déjà le français à l'extérieur de l'école publique, ce qui n'est pas du tout le cas, du moins dans les établissements où j'ai pu être.» De son côté, et suite à son étude des orientations pédagogiques de l'enseignement du FLE au lycée8(*), Aimade Nadia (2012 a, pp 92-93) confirme qu'il y a effectivement adoption de l'approche communicative et de l'approche par les compétences dans ces documents, puis elle se demande « pourquoi le niveau des élèves ne s'est-il pas amélioré alors que ces nouvelles approches le permettent fortement ? » Puis elle ajoute : « Nous sommes en droit de douter qu'il y a application des recommandations et des orientations pédagogiques et donc des nouvelles approches puisque le niveau des élèves ne s'améliore pas.»Puis elle conclut : « Donc, nous pouvons dire que, soit les enseignants n'appliquent pas la réforme dans leur pratique de classe, soit qu'ils l'appliquent mais pas efficacement et comme il se doit. En effet, le milieu familial et social, le programme en vigueur qui ne prend pas en considération le profil des apprenants, leurs motivations, leurs attentes et leurs projets ; enfin l'enseignant et sa formation, sont au banc des accusés puisqu'ils sont peut-être responsables de tous les problèmes dont souffre l'enseignement du français, à savoir la non-amélioration du niveau des élèves. » De notre côté, d'après les deux stages que nous avons effectués au Maroc dans des collèges publiques9(*), et à travers les classes observées ou les classes qui nous ont été confiées pour donner des séances de cours ou de soutien scolaire, nous avons pu constater, que très peu d'élèves sont en mesure de suivre le cours et beaucoup d'entre eux ont des difficultés au niveau de la lecture/écriture. Pire encore, nous avons rencontré des élèves en fin de collège qui ne savent ni lire ni écrire en français ! Par ailleurs, dans un questionnaire que nous avons soumis à 41 enseignants exerçant dans plusieurs collèges des villes de Casa, Rabat et Kenitra, 30 d'entre eux (soit environ 73%) affirment que beaucoup d'élèves à leur entrée au collège ont de grandes lacunes, 9 d'entre eux (soit 22%) disent que les élèves ont certes des lacunes mais qu'ils arrivent à les combler au cours de l'année. Deux seulement (environ 5%) déclarent que leurs élèves ont les connaissances de base, mais ces deux enseignants exercent en fait dans des collèges privés. Les différents éléments des curricula pour l'enseignement du français proposent une progression de l'apprentissage allant de l'initiation à la langue et aux apprentissages fondamentaux en primaire, à la consolidation des acquis du primaire et leur approfondissement au collège, et à la maitrise au lycée. En outre, la réflexion qui a présidé l'élaboration du curriculum du collège a tenu compte de quatre impératifs, dont le profil de sortie du cycle primaire : à l'issue de ce cycle, « l'apprenant doit être capable de communiquer en français à un degré élémentaire suffisant; de lire à haute voix avec une articulation phonétique correcte et en saisissant la portée du texte; de produire un texte répondant à des consignes et de posséder suffisamment des techniques de travail (recherche documentaire, mobilisation d'idées, ...).»10(*) Donc, si plusieurs élèves à leur entrée au collège n'ont pas les connaissances de base qui leur permettent de suivre le cursus de ce cycle, et si l'enseignant du collège, de par sa responsabilité devant l'institution, doit se conformer aux programmes, alors les difficultés ne peuvent que s'accumuler pour beaucoup d'entre eux. Aussi, soupçonne-t-on que les problèmes de l'enseignement/apprentissage du français se situent probablement au niveau du primaire, peut-être au niveau des pratiques d'enseignement ou peut-être au niveau des contenus. Hormis les quelques travaux de recherche qui ont abordé les problèmes de l'enseignement du FLE en contexte marocain dans une perspective sociolinguistique, la plupart se sont focalisés sur l'apprenant, en particulier sur ses performances écrites11(*). On se propose dans ce travail d'étendre le prisme d'analyse en englobant les deux pôles « enseignant » et « contenus » du système didactique. On s'interroge en particulier sur le statut de l'erreur et sur son mode de gestion dans les pratiques enseignantes et dans les documents officiels (les programmes, les orientations pédagogiques et les manuels scolaires), notamment dans le cycle primaire. En effet, si les erreurs des élèves ne sont pas prises en charge et gérées comme il se doit dès les premiers apprentissages, les difficultés ne peuvent que s'accumuler jusqu'à atteindre un seuil où le retour en arrière devient une tâche très délicate, d'autant plus que les progressions curriculaires sont généralement conçues de manière que les contenus d'apprentissage d'un niveau scolaire donné sont supposés acquis pour entamer ceux du niveau qui le suit. Dans ce sens, nous nous souscrivons au point de vue de Philippe Meirieu selon lequel « la prise en compte de l'erreur est en réalité, en pédagogie, la meilleure manière de combattre l'échec (...) Car il n'est de pédagogie de la réussite que celle des erreurs rectifiées. »12(*) Par ailleurs, la correction des copies des élèves est une activité qui exige beaucoup d'efforts et d'attention de la part des enseignants. Elle pourrait être fastidieuse pour certains dans la mesure où ils ont à leur charge beaucoup d'élèves et donc perçue par eux comme « une corvée, quelque chose qui vient s'ajouter au vrai travail, l'enseignement, et qui est la plus ingrate du métier. » (B. Delforce, 1986, p. 4) Elle pourrait être aussi une activité démoralisante pour d'autres dans la mesure où elle met en évidence des décalages entre leurs attentes et les résultats qu'ils constatent. En dépit de ces considérations, nous pensons que la correction des copies est une occasion qui s'offre aux enseignants pour exploiter les erreurs de leurs élèves et les faire progresser. Il serait donc intéressant de s'interroger surla manière dont les enseignants apportent les corrections aux erreurs dans les copies de leurs élèves. Au niveau des contenus, puisque l'on s'intéresse aux erreurs dans les productions écrites des élèves, et puisque l'écrit demeure l'objet et la norme privilégiée de l'évaluation des connaissances reçues, on aimerait savoir comment le français écrit est abordé dans le primaire, en particulier dès les premiers enseignements de cette discipline. En dehors de l'école, le français écrit est rarement utilisé dans l'entourage familier de l'apprenant marocain. De plus, contrairement au système graphique de l'arabe enseigné dès le préscolaire13(*), celui du français n'est pas transparent puisque les non-correspondances phonème-graphème sont fréquentes. Par conséquent, l'apprentissage du français écrit exige des opérations cognitives complexes : « Ceux qui apprennent le français écrit ne peuvent donc se contenter d'apprendre les correspondances entre phonèmes et graphèmes. Cet apprentissage est nécessaire mais insuffisant. Il leur faut également acquérir des connaissances orthographiques générales, des connaissances lexicales et des connaissances morphologiques. » (M.Fayol, 2009, p.128). Quand on parle de l'écriture, la lecture est également prise en compte, puisque les deux compétences forment la monnaie de l'écrit et les capacités développées à l'une imprègnent la prestation faite à l'autre : « L'expression est différenciée de la compréhension, mais lesdeux compétences sont en étroite corrélation et les dissocier est bien artificiel (...) mieux lire, c'est mieux écrire. »(J-P.Cuq, 2002, p. 183). * 5 Les rapports des programmes nationaux d'évaluation des acquis (P.N.E.A de 2008 et P.N.EA 2016), les résultats de l'enquête PIRLS (Progress in international Reading Literacy Study) de 2011 et 2016. Nous y reviendrons plus loin avec plus de détails sur les résultats de ces enquêtes. * 6 Kharchoufi Abdelhaq (2011) pour les programmes du collège et Aimade Nadia (2012) pour les programmes du lycée. * 7 D'après Cortier Claude (2019, p 153), l'enquête menée par C. Pellegrini, étalée sur une durée de deux ans, est constituée d'observations longues dans neuf établissements publiques (3 écoles primaires, 3 collèges et 3 lycées) en milieux urbains et périurbains dans trois localités différentes de deux régions du royaume. * 8 Les Recommandations pédagogiques 1994, les Orientations Pédagogiques 2002 puis celles de 2007. * 9 Le stage de licence effectué à Rabat en 2017 et celui de Master 1 effectué à Casablanca en 2018. * 10 Le livre blanc, M.E.N 2002 * 11 Mis à part l'enquête nationale réalisée par le C.S.E.F.R.S en 2008 et les enquêtes PIRLS qui ont englobé les élèves du primaire, la plupart de ces travaux, du moins ceux auxquels nous avons pu y accéder, s'étaient centrés sur la catégorisation des erreurs de collégiens ou de lycéens et sur leur interprétation sur la base de traces écrites. * 12 Cité par Baderot Christophe, 2004, p 3. * 13 Le système graphique de la langue arabe est essentiellement consonantique et phonologique avec une relation quasi transparente entre le phonème et le graphème : à quelques rares exceptions, à un seul phonème correspond un seul graphème. |
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