Chapitre 2 : L'erreur et son mode de traitement
dans les pratiques enseignantes
On se propose dans ce chapitre de décrire et d'analyser
le statut de l'erreur et les modalités de sa gestion dans quelques
pratiques d'enseignement du français langue étrangère
(FLE) en contexte scolaire marocain, dans des écoles publiques,
et à partir d'un questionnaire adressé à des enseignants
du primaire et du collège.
Pendant la période de confinement due à la
pandémie du Coronavirus, nous n'avions pas la possibilité
d'accéder à des observations directes de séances de cours
en classe. Le Maroc a en effet fermé ses frontières et a
procédé à la suspension des cours dès le
début du mois de mars dernier. Aussi, avions-nous été
amenée à :
ü Chercher sur le net des séances de cours
réalisées par des enseignants dans des écoles publiques.
Nous en avons trouvé quelques-unes mises en ligne dans des chaînes
Youtube. Au total, quatre séances ont été décrites
et analysées.
ü Faire la passation du questionnaire via le net.
2.1. Description et analyse de quelques séances
de cours de FLE dans des écoles publiques marocaines
Au lieu d'utiliser une grille d'observation, comme c'est
l'habitude pour une telle tâche, nous préférons le faire
à partir d'un ensemble de questions précises, en relation avec la
problématique de notre recherche. L'ensemble de ces questions se
répartissent en quatre catégories :
a. Les conditions de travail et contenus
d'apprentissage : l'effectif de la classe, les outils
didactiques utilisés, les contenus d'apprentissage.
b. La démarche pédagogique
adoptée par l'enseignant : Nous avons vu dans le
cadre théorique que le modèle pédagogique adopté
est généralement un bon indicateur du statut didactique
accordée à l'erreur. Les questions se rapportant à cette
catégorie sont les suivantes :
- Quelle est la nature des interactions verbales entre
l'enseignant et le(s) élève(s) et/ou
élève/élève ?
- Quelle part d'autonomie est accordée à
l'élève dans ses interventions ? est-il trop encadré et
guidé ou lui accorde-t-on un champ de liberté dans ses
interventions ?
- Participation des élèves : l'enseignant
sollicite-t-il la participation de tous les élèves de la classe
ou seulement quelques-uns ?
- Comment les contenus d'apprentissage sont-ils
présentés aux élèves ? Sont-ils
présentés de manière prescriptive (c'est à dire que
la règle ou la norme prime sur la description des faits de langue afin
d'en construire le sens chez l'élève) ou suscitent-ils
plutôt la curiosité et la réflexion des
élèves (démarche descriptive où les contenus de
savoir sont présentés de manière problématiques
afin d'induire chez l'élève la construction du sens) ?
c. Attitude de l'enseignant vis-à-vis de
l'erreur et modalités de sa gestion :
- Quelle attitude l'enseignant développe-t-il
vis-à-vis des erreurs de ses élèves ?
- Si le professeur marque des pauses et s'arrête sur les
erreurs de ses élèves, comment il y remédie ?
- Nature des erreurs : erreurs interlinguales
(interférences ou transferts) ou erreurs intralinguales ? La langue
mère est-elle tolérée ou bannie par l'enseignant ?
- Performances des apprenants ?
d. Place accordée à l'écrit
pendant la séance : Dans le cas éventuel
où des activités de lecture/écriture sont
proposées, quelle est leur nature ? Et comment sont-elles
gérées avec les élèves ?
Au total, quatre séances de coursont été
sélectionnées. Ces quatre séances se sont
déroulées dans des écoles publiques situées dans
différentes régions du Maroc. L'objectif principal visé
à travers la description et l'analyse de ces pratiques est de faire
ressortir le statut de l'erreur et les modalités de sa gestion dans les
pratiques enseignantes.
La transcription des quatre séances de cours
réalisées dans ces écoles publiques, et
dénommées respectivement Séance A,..., Séance
D, sont mises en annexe (l'annexe 1). On trouvera également dans
cette annexe des informations complémentaires sur le lieu et la date de
leur déroulement. Dans la suite,nous procédons à leur
analyse en fonction des questions formulées préalablement
ci-haut.
A) Description et analyse de la séance de
la séance A : Les conditions de travail sont
globalement assez bonnes : l'effectif de la classe est de 36
élèves et le minimum d'outils didactiques nécessaire est
disponible (tableau noir, craie, punaises, stylo feutre, des affiches avec des
noms ou des images).
La séance comprend trois épisodes dont le
premier vise la conscience phonologique et la discrimination auditive
(dénombrement de syllabes, identification d'une syllabe, recherche d'un
mot contenant une syllabe donnée, ...). Le deuxième
épisode a pour objectif l'identification du son [?] dans une liste de
mots écrits et la reconnaissance visuelle des différents
graphèmes qui lui sont associés (un, in, ein, ain, ...). Enfin,
le troisième épisode la vise l'entrainement des
élèves à la lecture/écriture des mots se terminant
par le son [?] dans des situations variées.
Démarche pédagogique
adoptée : Le modèle pédagogique
adoptée s'inscrit dans le cadre de la P.P.O. Bien que Le professeur
sollicite la participation de tous les élèves via des
séries de questions-réponses, la nature des interactions se fait
de manière verticale, du professeur vers l'élève.
Statut de l'erreur et modalités de son
traitement : Le professeur réagit négativement
vis-à-vis des erreurs de ses élèves. Les
élèves qui commettent des erreurs sont souvent
pénalisés par un « Non » et le professeur
cherche la réponse auprès d'un autre élève.
Parfois, il réexplique pour induire chez l'élève la
réponse correcte. L'élève qui répond correctement
est valorisé : le professeur demande aux élèves de
l'applaudir.
Place accordée à l'écrit
pendant la séance : le professeur construit les
assises de la lecture/écriture via des activités variées.
Les activités proposées sont bien conçues et
programmées pour atteindre les objectifs visés par la
séance.
B) Description et analyse de la séance de
la séance B : Les conditions de travail sont
globalement assez bonnes : l'effectif de la classe est de 29
élèves et le minimum d'outils didactiques nécessaire est
disponible (tableau noir, la craie et les manuels scolaires). La séance
est composéede deux épisodes, dont le premier est consacré
à la conjugaison (rappel sur les trois groupes de verbes, le
présent du verbe « aller » et le futur proche). Le
second épisode est dédié à la
lecture/compréhension d'un texte du manuel scolaire et à la
réflexion sur la langue (grammaire surtout).
Démarche pédagogique adoptée
: les interactions verbales dans cette séance se font
uniquement entre le professeur et les élèves, le plus souvent par
questions isolées et de manière verticale : du
Professeurvers l'élève (ou le groupe classe).
Il y a donc absence totale des interactions entre élèves. Quand
l'un des élèves est invité à répondre
à une question posée par le professeur, et pendant qu'il y
répond, un certain nombre d'élèves veulent
également participer en levant le doigt et en
criant « maîtresse » (plusieurs fois). Ainsi, le
professeur n'apprend pas aux élèves de s'écouter les uns
aux autres. Ils sont le plus souvent mis en situation de concurrence et non en
situation de coopération. Le modèle pédagogique
adopté est donc essentiellement transmissif. Le professeur ne sollicite
par la participation de l'ensemble de la classe. En effet, une bonne dizaine
d'élèves assis derrière n'ont pas participé.
La présentation des contenus
d'apprentissage: La démarche préconisée par
l'enseignante au niveau de la présentation des savoirs est
essentiellement prescriptive. Par exemple, pour présenter le futur
proche, elle demande dans un premier temps aux élèves de
conjuguer le verbe « aller » au présent. Ensuite,
elle leur demande de choisir un verbe quelconque à l'infinitif et de
conjuguer le verbe « aller » au présent plus un
verbe à l'infinitif. C'est donc la structure « verbe aller
au présent+verbe à l'infinitif »qui prime au
détriment du sens du futur proche. D'ailleurs, l'élève qui
a donné les exemples : « Je vais à l'école
pour apprendre à lire et écrire. » et « Je
vais à la poste pour acheter des timbres. » a
été approuvé par le professeur. Ainsi, le sens du futur
proche, en tant qu'action dans un avenir immédiat, n'est pas mis en
avant. Elle aurait pu simuler un exemple devant les élèves pour
qu'ils en appréhendent le sens. Par exemple, « demander
à un élève de sortir de la classe », et avant
qu'il sorte, interroger un élève ce que va faire son camarade.
L'Attitude vis-à-vis des erreurs de ses
élèves: L'erreur n'est pas tolérée
par l'enseignante, son attitude vis-à-vis des erreurs de ses
élèves est très frappante. À chaque fois qu'un
élève répond incorrectement, il y a un
« Non » lâché, parfois de manière un
peu brutale, sans que l'élève comprenne le pourquoi de son
erreur. En effet, à un certain moment, elle dit aux élèves
que les verbes du 2ème groupe se terminent par
"ir" sans pour autant préciser qu'il y a des
verbes du 3ème groupe qui se terminent par
"ir". Ainsi, certains élèves vont
déduire que « tout verbe qui se termine par
"ir" est un verbe du 2ème
groupe. » Et c'est ce qui s'est produit lorsque certains
élèves ont proposé les verbes : partir, courir, venir et
se sont vu recevoir un « Non » rude à leurs
réponses. Elle ne donne pas aux élèves les moyens qui leur
permettent de distinguer parmi les verbes qui se terminent par
« ir » ceux qui sont du 2ème groupe et
ceux du 3ème groupe. Et les moyens ne manquent pas : par
exemple, demander aux élèves de conjuguer le verbe à la
1ère personne du pluriel, ou former le participe
présent, ou encore former le gérondif.
Place accordée à l'écrit
pendant la séance : le professeur consacre toute la
seconde partie à la lecture/compréhension d'un texte et à
des questions réflexives sur la langue (grammaire surtout). Elle invite
plusieurs élèves à lire, tour à tour, des extraits
d'un texte du manuel scolaire. Elle corrige les mal prononciations des
élèves
C) Description et analyse de la séance de
la séance C : Les conditions de travail sont
globalement satisfaisantes : l'effectif de la classe est de 28
élèves.Le minimum d'outils didactiques nécessaire est
disponible : tableau noir, craie, manuels scolaires et un PC.Le professeur
a annoncé au début l'objet de la séance : il s'agit
d'une séance de grammaire sur le groupe nominal sujet (GNS). Le cours
est déjà écrit à l'avance au tableau et
caché par le professeur.
Démarche pédagogique adoptée
: les interactions verbales dans cette séance se font
à sens unique, du professeur vers l'élève ou les
élèves : le professeur interroge et l'élève
(ou les élèves) répond (répondent). Il y a donc
absence totale des interactions entre élèves. Le taux de
participation des élèves au cours de la séance est
raisonnable.
La présentation des contenus
d'apprentissage: La démarche préconisée par
l'enseignant au niveau de la présentation des savoirs est prescriptive.
Les exemples donnés sont tous sous la forme : GNS + Verbe +
Complément. Cela risque, comme on l'a vu dans le cadre théorique,
d'engendrer des obstacles didactiques. Par ailleurs, pour l'exemple
« Je ramasse les livres », le professeur n'a
interrogé l'élève qu'après avoir ramassé
tous les livres. Sa réponse (correcte) aurait dû être
« Je viens de ramasser les livres. » ou « J'ai
ramassé les livres. » Le professeur aurait dû, en
principe, interroger l'élève au cours du ramassage des livres,
c'est-à-dire dans l'action.
Le statut de l'erreur et le mode de son
traitement : L'attitude de l'enseignant vis-à-vis des
erreurs de ses élèves est également négative.
Par exemple, dans la 2ème question de l'exercice :
« Karim et son frère regardent la
télé. » où il est demandé aux
élèves d'écrire sur leurs ardoises la nature du GNS
(déjà souligné) en choisissant l'une des trois
réponses : N pour Nom, P pour Pronom et G.M pour Groupe de Mots, un
élève a répondu dans son ardoise « N »
Le professeur a répliqué « Ce n'est pas un
nom ! » et il réexplique : « Regardez, il
y a Karim, il y a son et il y a
frère. » et il donne la réponse
« C'est un groupe de mots ! » En principe, le
professeur devait sonder l'élève via une entrevue pour
dévoiler la cause de son erreur. On peut avancer l'hypothèse
suivante : « la présence d'un nom propre, en l'occurrence
Karim pourrait être la cause de l'erreur de
l'élève. » Signalons également une
imprécision au sujet des pronoms
personnels « je, tu, ..., ils, elles »
sont qualifiés par le professeur juste de pronoms. Il fallait
préciser qu'il s'agit de pronoms personnels, puisqu'il y a plusieurs
types de pronoms (pronoms compléments, ...).
Place accordée à l'écrit
pendant la séance : Le professeur a proposé
pendant cette séance de grammaire des activités de
lecture/écriture de différentes manières : il invite
plusieurs élèves à lire les phrases écrites au
tableau, à corriger au tableau et à faire par écrit sur
leurs ardoises, les exercices proposés. Le niveau de performance des
élèves est satisfaisant.
D) Description et analyse de la séance de
la séance D : Les conditions de travail sont
assezsatisfaisantes : l'effectif de la classe est de 38
élèves.Le minimum d'outils didactiques nécessaire est
disponible : tableau noir, craie, des affiches où il y a des
images. C'est une séance de réception/production de l'oral.
Le modèle pédagogique
adopté : Modèle essentiellement transmissif,
fondée sur une pédagogie de la mémorisation et de la
récitation. Les interactions entre le professeur et les
élèves se fait à sens unique. Aucune autonomie n'est
accordée à l'apprenant : le professeur interroge et
l'élève répond.
Le statut de l'erreur et le mode de son
traitement : L'attitude de l'enseignant vis-à-vis des
erreurs de ses élèves est négative. Par exemple,
l'élève qui a répondu : « C'est un stylo
bleu. »pour un stylo de couleur rouge, est pénalisé par
un « Non » et le professeur est allé chercher la
bonne réponse chez un autre élève. Le niveau de
performance des élèves est satisfaisant. Le professeur a bien
entrainé les élèves à bien prononcer. Il sollicite
également la participation de l'ensemble de la classe.
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