2.4. Les travaux sur les parlers bilingues : vers
une pédagogie de l'erreur
Considérés comme la continuité des
analyses précédentes, les travaux sur les parles bilingues
apparaissent dans un contexte d'effervescence culturelle et linguistique
valorisant les situations du plurilinguisme. Le bilingue n'est plus
considéré comme un double monolingue mais comme un locuteur
disposant d'un répertoire mixte à utiliser ses langues selon les
contextes (Marquillolarruy, 2003, p 78)
En associant ethnométhodologie et interactionnisme
social, ces travaux proposent un modèle de la communication plurilingue
grâce à l'observation des conversations entre alloglottes et
natifs. Ainsi la langue première est reconnue comme facilitatrice de
l'apprentissage d'une langue étrangère.Danielle Moore (2001, p
73) considère que « des alternatives
réfléchies » entre L1 et L2 de l'apprenant peuvent
renforcer l'apprentissage.
Les marques transcodiques ne sont plus stigmatisées.
Elles sont perçues de manière neutre ; car la
compétence linguistique n'est plus définie en termes
déficitaires (MarquilloLarruy, 2003, p79). L'erreur
considérée jadis comme un manque ou une défaillanceest
désormais envisagée d'un point de vue acquisitionnel en tant
qu'indice de l'apprentissage, ainsi qu'un savoir-faire discursif d'un point de
vue interactionnel (MarquilloLarruy, 2003, p80).
L'identification des erreurs, et leur analyse nous donnent
accès à la compétence transitoire de l'apprenant. Cette
première étape comporte le relevé d'erreurs, leur
description au moyen d'un cadre grammatical de référence commun
à la langue source et à la langue cible et la vérification
au moyen de données intuitionnelles ultérieuresdes
hypothèses suscitées par la description (Perdue, 1980, p 87).
D'où l'importance d'une pratique réflexive.
Cette approche de l'erreur a démontré que
« les zones du français les plus problématique, quelles
que soit les langues sources, concernent généralement les
déterminants, les formes verbales, la morphologie du genre et du nombre
et les prépositions » (Porquier, 1977cité par
MarquilloLarruy, 2003, p 82).
Vula complexité des facteurs et la diversité des
situations d'enseignement/apprentissage d'une langue étrangère,
il n'existe pas de recettes précises et des opérations
méthodologiques permettant le traitement des erreurs des apprenants Une
pédagogie de l'erreur ne signifie pas une série
d'opérations techniques rigoureuses destinéesau traitement, mais
unchangement d'attitude vis-à-vis de l'erreur, une attitude qui permet
de l'envisager d'une manière positive, de la dédramatiser et de
la placer dans le processus de l'enseignement apprentissage.
Ainsi, Rosier parle de « l'erreur
fertile »permettant de juger de l'efficacité de
l'apprentissage, le réguler et concevoir, si besoin ilya, un
enseignement plus approprié(Rosier, 2002, p 93). Pour Porquier et
Frauenfelder, il n'existe pas de solution simple à cause de la
quantité des facteurs à prendre en considération pour
savoir s'il faut corriger, quand corriger, et comment corriger.
Après l'identification de l'erreur, il faut
décider de la traiter ou non en tenant compte de ses
caractéristiques, telles que sa fréquence, le niveau
linguistique, le degré d'écart avec les normes de la langue cible
et avec l'exposition antérieure, et son incidence sur la
communication(Porqier&Frauenfelder, 1980, p 31). Pourtant, il est
nécessaire de citer quelques pistes de traitement de l'erreur
présentées par quelques didacticiens :
Pour A lamy, qui considère le traitement des erreurs
comme une activité d'apprentissage menée à partir de
l'analyse des productions des apprenants et la prise en charge des
systèmes intermédiaires, celui-ci passe par trois étapes
cruciales :
ü La première étape consiste à
sélectionner une erreur ou un type d'erreur permanent dans le
groupe ;
ü La deuxième étape consiste à
l'identification, l'analyse et la correction de l'erreur lors d'une
activité de groupe ;
ü La troisième étape consiste à
une systématisation et à un réemploi en situation
(Porquier &Frauenfelder, 1980, p 35).
De son côté, Christine Tagliante propose des
traitements selon que les erreurs sont commises à l'oral ou à
l'écrit. En ce qui concerne les erreurs produites à l'oral, elles
feront l'objet d'une correction immédiate si l'objectif est de produire
des énoncés linguistiquement corrects, ou en
différée si l'objectif est de stimuler la parole spontanée
chez les apprenants. Le traitement varie selon le type d'erreurs
produites :
· Erreurs linguistiques : dans ce cas,
proposer des micro-dialogues ainsi que des activités de
conceptualisation.
· Erreurs phonétiques : pratiquer des
exercices de correction phonétique.
· Erreurs communicatives : faire préciser
la situation de communication et le statut des interlocuteurs.
· Erreurs discursives : effectuer des exercices
de structuration du discours.
· Erreurs stratégiques : faire
acquérir les outils dés minimaux dès le début de
l'apprentissage.
Pour les erreurs produites à l'écrit, il
faudrait pratiquer la correction collective et sélective pour identifier
les erreurs, et procéder à des activités de
conceptualisation, de systématisation et de réemploi(Tagliante,
2006, p 156)
Martine Marquillolarruy (2003, p 82) propose
une « boite à outil » ou
« des trames pour traquer les erreurs » en
s'inspirant des hypothèses théoriques traitant de l'erreur. Cette
trame est constituée des étapes suivantes :
- Repérer les écarts.
- Analyser l'écart en se servant des analyses
traitant l'erreur.
- Faire des hypothèses sur la cause de
l'erreur.
- Interroger l'apprenant.
- Demander une autocorrection.
- Correction/réflexion/prolongements
pédagogiques selon des modalités diversifiées.
En dépit méthodologies de traitement de
l'erreur, ce qui nous intéresse le plus, c'est permettre à un
enseignant pratiquant dans une classe de français
caractérisée par une
hétérogénéité, non pas de remplir des fiches
typologiques pour classer les erreurs des apprenants, mais d'adopter une
posture positive, tolérante et réflexive vis-à-vis de
l'erreur, une attitude qui lui permettra, en s'appuyant sur son
expérience, son savoir, et surtout sur les hypothèses des
approches d'analyse, de transformer les erreurs de ses apprenants en des
objectifs d'apprentissage à atteindre los des séances de soutien
et de remédiation. « La réaction idéale aux
erreurs devrait éviter deux risques extrêmes, d'une part l'absence
systématique de correction (sous prétexte de privilégier
l'intention de communication) qui aboutirait immanquablement à la
stabilisation des écarts (soit à des fossilisations), et, d'autre
part, une correction systématique (sous prétexte de
privilégier l'adéquation aux aspects formels du code) qui
aboutirait immanquablement à l'inhibition du
locuteur.»(MarquilloLarruy, 2003, p 119). Ainsi, l'enseignant doit,
dans sa pratique, pouvoir trouver un équilibre ou un dosage raisonnable
entre ces deux extrêmes. L'interprétation sera certes une pratique
risquée, car elle est généralement non définitive
et jamais totalement certaine. Elle est pourtant indispensable car
« seule une réaction réfléchie prenant en
compte les spécificités des productions de chaque
élève nous semble à même de permettre un
étayage pertinent qui accompagnera l'élève sur le chemin
de son apprentissage. » (MarquilloLarruy, 2003, p 119).
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