L'erreur dans les réalisations écrites d'élèves marocains. état des lieux de leurs performances écrites, interrogations sur son statut et sur les modalités de sa gestion dans les documents officiels et dans les pratiques d'enseignement.par Sarah TAMIMI Université du Maine - Master 2 Didactique des Langues et l’enseignement du FLE 2019 |
1.2. L'erreur dans les pédagogies modernesDe manière générale, les approches classiques, où l'élève reste passif ou est trop encadré et guidé, sont moins efficaces que les pédagogies modernes dites « actives », où l'élève intervient, questionne, agit, essaie..., quitte à se tromper.18(*) Ces pédagogies actives, en fort développement dès les années 60 du siècle dernier, et contrairement aux approches classiques, s'efforcent de conférer à l'erreur un statut positif : « le but visé est bien toujours de parvenir à les éradiquer des productions des élèves, mais on admet que pour y parvenir, il faut les laisser apparaitre -voire même quelquefois les provoquer- si l'on veut réussir à les mieux traiter. »(J-P Astolfi, 1997, p 15). Les approches modernes de l'enseignement s'appuient sur les résultats de recherche dans plusieurs domaines, notamment les données de la psychologie cognitive et les recherches innovantes en didactique des disciplines : « La didactique étudie chacune des étapes de l'acte d'apprentissage et met en évidence l'importance du rôle de l'enseignant, comme médiateur entre l'élève et le savoir (...) De l'épistémologie des disciplines aux avancées de la psychologie cognitive, c'est l'ensemble du processus construisant le rapport au savoir qui est analysé. »19(*) Ces recherches ont donné naissance à toute une panoplie de concepts nouveaux utilisés aujourd'hui dans l'enseignement. Parmi ces concepts, on retient notamment : A) Les représentations :ellesjouent un rôle essentiel dans les apprentissages. Elles sont le lien symbolique entre le monde mental et l'environnement extérieur. « La psychologie cognitive distingue deux sens du mot représentation. L'un concerne le processus et est synonyme d'interprétation, l'autre s'applique au résultat de ce processus et signifie connaissance ou croyance. (...) Il existe trois modalités de représentations cognitives : les images mentales qui rendent compte des éléments caractéristiques de la perception visuelle, les représentations conceptuelles qui sont très liées au langage, et les représentations liées à l'action (elles concernent le savoir que nous avons au sujet de la manière de mener une activité. »20(*) Dans le domaine de l'enseignement, on admet en général que les représentations sont constituées de connaissances déclaratives (ou connaissances factuelles),c'est à dire « le savoir que » comme les définitions, les règles ; et de connaissances procédurales, c'est à dire le « savoir comment ». L'idée que les élèves n'abordent pas le savoir scolaire la tête vide mais s'en forgent des représentations est à peu près universellement admise aujourd'hui par les chercheurs en sciences de l'éducation, mais elle se répand très lentement dans le milieu enseignant. Ce qui pose encore problème, c'est l'interprétation de ces représentations et comment les gérer en contexte scolaire. Ce qui importe dans une représentation, c'est sa fonctionnalité : elle peut fonctionner comme un outil ou comme un obstacle. B) Les obstacles :la notion d'obstacle (épistémologique) fut introduite à l'origine par le philosophe Gaston Bachelard et importée en didactique par Guy Brousseau dès 1976 : « L'erreur n'est pas seulement l'effet de l'ignorance, de l'incertitude, du hasard que l'on croit dans les théories empiristes ou behavioristes de l'apprentissage, mais l'effet d'une connaissance antérieure, qui avait son intérêt, ses succès, mais qui maintenant se révèle fausse, ou simplement inadaptée. Les erreurs de ce type ne sont pas erratiques et imprévisibles, elles sont constituées en obstacles. Aussi bien dans le fonctionnement du maître que dans celui de l'élève, l'erreur est constitutive du sens de la connaissance acquise. » (Brousseau Guy,1998, p 119). Ainsi, on peut définir un obstacle par les caractéristiques suivantes : § C'est une connaissance et non une absence de connaissance. § Elle permet de produire des réponses adaptées à certaines classes de situations. § Elle conduit des réponses erronées dans d'autres types de situations. § Elle présente une résistance à toute modification ou transformation et se manifeste de manière récurrente, c'est à dire qu'elle réapparait de manière prépondérante dans certaines situations même après avoir été, en apparence, remplacée par de nouvelles connaissances. § Le rejet de cette connaissance aboutira à une nouvelle connaissance. Le contrat didactique doit non seulement accepter l'erreur (le droit) mais la solliciter pour mieux l'exploiter. Par ailleurs, on prendra garde de ne pas confondre la notion d'obstacle avec celle de difficulté. Un obstacle est plus substantiel et plus résistant qu'une difficulté : si une question vient d'être résolue par un élève en lui demandant beaucoup d'efforts sans pour autant remettre en cause les connaissances qu'il a utilisées, on dira qu'une difficulté a été vaincue. Si par contre, la question a été résolue après avoir exigé une restructuration de la connaissance et un changement important de point de vue, alors on dira qu'un obstacle a été surmonté. En recourant au triangle didactique classique E.M.S (où E=élève, M=maitre, S=savoir), on peut distinguer plusieurs types d'obstacles : ü Les obstacles épistémologiques : ils ne proviennent ni l'élève ni de l'enseignant, mais plutôt de dues à la complexité propre des contenus. Ils sont donc inhérents au savoirlui- même. On peut par exemple inclure dans ce type d'obstacles ceux dus aux exceptions occasionnées par certaines règles grammaticales ou orthographiques, ou ceux résultant de la polysémie de certains mots. Les exemples sont multiples, et l'on se contentera de donner trois exemples dont le premier concerne la règle d'accord du participe passé employée avec l'auxiliaire avoir, le deuxième a trait à la complexité du français écrit (l'inadéquation fréquente entre le système oral et le système écrit) et le troisième se rapporte au vocabulaire (le phénomène de polysémie). Exemple 1 : La règle d'accord du participe passé, employé avec l'auxiliaire avoir, avec le complément d'objet direct (COD) lorsque celui-ci est antéposé au verbe est source de difficultés non seulement pour des apprenants arabophones ou allophones, mais également pour les natifs.« Cette règle ne peut que semer le trouble, puisqu'elle va à l'encontre d'une règle fondamentale de notre langue, à savoir l'accord entre le verbe et le sujet. »21(*) Une autre difficulté de cette règle se pose lorsque le participe passé est suivi d'un infinitif. En effet dans ce cas, ce qui pose problème, ce n'est pas la double inférence que l'on doit effectuer pour faire l'accord, mais c'est plutôt l'identification du COD. Les deux exemples classiques suivants illustrent cette subtilité : « Les violonistes que j'ai entendus jouer » et « Les airs que j'ai entendu jouer. » Dans le second exemple, le COD se rapporte à l'infinitif : « j'ai entendu jouer les airs », alors que dans le premier exemple, « j'ai entendu les violonistes jouer. » Introduite par Clément Marot en 1538 et suivie un siècle plus tard, la règle d'accord du participe passé suscite aujourd'hui des débats passionnés et divise les grammairiens. Pour Jean-Louis Chiss, « on peut toucher à la langue, ce n'est pas un sacrilège ! (...) Cette règle n'a pas toujours existé. Il n'y a aucune raison pour qu'elle devienne un tabou. La langue orale évolue, pourquoi pas la langue écrite ? Si tout le monde appliquait cette règle avec facilité, il n'y aurait pas de discussion. Mais ce n'est absolument pas le cas. C'est une source de difficultés infinies et une perte de temps considérable en classe. »22(*) Alain Bentolila objecte qu'il ne s'agit pas d'histoire : «Il s'agit de voir si, aujourd'hui, cette norme est utile ou pas. Oui, elle l'est, car elle marque les relations entre certains mots de la phrase : le participe passé et le mot auquel il se rapporte. Et cela permet d'établir les liens de la pensée.»23(*)Quant à Jean-Christophe Pellat, il prend une position intermédiaire plus neutre : «Le problème, c'est qu'avec le temps, les règles vont s'accumuler, rendant les normes de plus en plus complexes. »24(*) Exemple 2 :Les élèves habitués au son [ij] correspondant à la terminaison graphique « ille » de plusieurs mots comme « fille », « bille », « gentille », ..., peuvent être conduits à écrire le mot « tranquille » avec un seul « l ». C'est ce qui s'est passé avec Yves Reuter dans son enfance : « J'ai fouillé dans mes souvenirs d'enfance et j'ai pu me remémorer les particularités qui accompagnèrent certaines fautes d'orthographe (...). Je me rappelle fort bien le mot tranquille que j'écrivis avec un seul l, et de mon étonnement d'apprendre qu'il en fallait deux sans que la prononciation fût celle de famille. » (Y. Reuter, 2013 a, pp 18-19). Exemple 3 :Le cas Jeannette face à la polysémie du terme « double » À propos du sens des mots, Stella Baruk cite dans (S. Baruk, 1985) l'histoire d'une petite fille de 8 ans nommée Jeannette, à qui l'on demande «quelest le double de 5 ?» et qui répond «6». Nous allons raconter cette anecdote véridique à notre façon pour faire ressortir la différence d'attitude vis-à-vis de l'erreur entre une approche classique et une approche moderne. Un professeur de mathématiques demande à Jeannette de lui donner le double d'un nombre entier naturel donné : Professeur: « Quel est le double de 5 ? » ; « 6 » répond Jeannette. Dans une approche classique adoptant une attitude répulsive vis-à-vis des erreurs, le professeur répondrait « Non » et passerait à un autre élève pour chercher la bonne réponse. Dans le casd'une pratique d'enseignement qui prend en compte les erreurs des élèves, et c'est ce qui s'est passé dans l'anecdote racontée par S. Baruk, on gardera Jeannette et on essaiera de la sonder à travers un questionnement pour lever le voile sur ce qui se passe dans sa tête ; ce que les psychologues appellent une entrevue clinique.25(*) Etonné, le professeur réitère ses questions en prenant plusieurs nombres entiers : Professeur : « Quel est le double de 10 ? » ; Jeannette : « 11 » ; Professeur : « Quel est le double de 3 ? » ; Jeannette : « 4 » ; ... . Une logique ou une cohérence commence à émerger à travers les réponses de Jeannette : pas de doute, cette enfant confond double et suivant, se dit le professeur. Intrigué par cette erreur pas banale, le professeur songe à poserà Jeannette une question sur ses réponses :« Pourquoi tu as dit le double de 5 c'est 6 ?». Alors là, Jeannette, de placide qu'elleétait, répond avec volubilité, et joignant le geste à la parole : « J'ai dit 6, parce que le 6, tu comprends, il double le 5, il lui passe juste devant ».Ainsi, la petite Jeannettea attribué au mot « double » (ici deux fois dans ce contexte mathématique) le sens de dépassement (comme pour celui d'un véhicule qui en dépasse un autre et se place devant). Cette petite histoire montre en outre combien l'entretien avec l'élève, en suivant sa pensée, est révélateur de sesconceptions. ü Les obstacles didactiques : Ils sont inhérents à la transposition didactique et résultent du choix d'une stratégie d'enseignement, ou de la progression des contenus des programmes. Ils sont souvent inévitables : il faut définir des étapes, des approximations, des analogies, remettre en cause une présentation primitive d'une notion ou d'une règle. Il peut être éliminé en agissant sur les situations d'enseignement proposées aux élèves. Reconnaître un obstacle didactique conduit l'enseignant à ne pas sacraliser les contenus des programmes et à les analyser et les explorer en profondeur, ce qui lui permet de définir une stratégie adaptée au profil de ses élèves. Il faut également prendre la peine d'écouter les élèves et d'observer leurs travaux en leur donnant plus d'initiative et d'autonomie. Donnons quelques exemples. Exemple 1 : Prenons le cas de l'accord du verbe avec le groupe nominal sujet (GNS). Dans des manuels scolaires ou dans des pratiques d'enseignement, après avoir énoncé la règle d'accord « le verbe s'accorde avec le groupe nominal sujet » suite à des observations de quelques exemples où le GNS est souvent placé avant le verbe, on propose à l'élève des exercices en lui indiquant la manière qui lui permet de dégager le sujet afin qu'il fasse l'accord adéquat (les fameuses questions : qui fait l'action ? ou qu'est ce qui ? ...). Cependant, le fait de donner des exemples sous forme : « GNS + GV » ou de dire aux élèves que « le sujet est souvent placé avant le verbe », risque d'induire chez l'élève, par un phénomène de généralisation, des règles erronées comme : « le sujet est toujours placé avant le verbe ! » ou que « le verbe vient toujours après le sujet ! » Pour illustrer concrètement cet obstacle didactique, nous prenons le cas de l'élève Albert, élève de CM1relaté par J-P Astolfi dans (J-P Astolfi, 1997, pp 21-22),puis celui de deux manuels scolaires marocains. § Le cas Albert : Il s'agit d'un exercice classique pour chercher le sujet des verbes et les accorder. « De l'horizon accour... de gros nuages. » Albert : Le sujet, c'est horizon ? Prof : Rappelle-moi comment tu as fait jusque-là pour trouver le sujet ? Albert : J'ai posé une question, et là je la pose aussi : Les nuages arrivent d'où ? De l'horizon. Donc le sujet c'est horizon. Prof : Comment as-tu fait ta recherche pour les autres phrases ? Albert : J'ai cherché : Qui fait... ? Ah oui, ici c'est les nuages ! Mais pourtant, d'habitude,le sujet est avant le verbe ? Prof : Eh oui ! Continue... Albert : Combien de livres possède cette bibliothèque ? Ah là, je vois bien que ce n'est pas les livres qui possèdent la bibliothèque ! Donc c'est bibliothèque le sujet. Et sinon ce serait au pluriel. « Un sac contenant des billes de toutes les couleurs étai...posé sur le bureau. » Albert : Alors là, je vois bien qu'ils ont fait cette phrase pour voir si on se laisserait prendre au piège à cause du pluriel de couleurs ! Soucieux d'intégrer l'apprentissage de la règle grammaticale, Albert semble très consciencieux et il tire bien de chaque exemple des déductions correctes et saisit même la règle didactique des « pièges » contenus dans certains exercices. Pourtant, quelques jours plus tard, il rechute devant un exercice similaire Prof : Te rappelles-tu comment tu cherches le sujet ? Albert : Oui. Je me demande : Qui fait, etc. Prof : Allons-y : Dans le grenier dort un gros chat. Albert : Où est le chat ? Dans le grenier. Alors c'est grenier. Prof : Peux-tu expliquer ce qu'est le sujet ? Albert : J'ai appris que c'est le mot qui commande le verbe. Ah, oui ! Je dois dire : Qu'est ce qui dort dans le grenier ? Alors, c'est le chat. Albert est au milieu du gué. Quand il s'exclame par « Ah, oui ! », il témoigne à la fois de sa connaissance de la règle et de la maitrise imparfaite qu'il en a. C'est encore chaque fois pour lui un travail à refaire. L'apprentissage n'est pas automatisé. Bien que J-P Aslolfi ne le dise pas dans ses commentaires, on a l'impression que le jeune Albert bute dans les exemples où le sujet est placé après le verbe ou peut-être parce qu'il ne pose pas la bonne question faute d'appréhension du sens de la phrase. § Les conceptions véhiculées à propos de cette règle d'accord dans les manuels scolaires : - Manuel Parcours (2016), Séquences d'apprentissage du français, 6ème année du primaire. Nous remarquons que dans ce manuel scolaire, bien que l'on ne le dise pas explicitement, le GNS dans tous les exemples proposés est placé avant le verbe. D'ailleurs, dans l'activité 2, la conception (erronée) « le GNS se place avant le verbe » est implicitement renforcée, puisque l'activité consiste à relier le GNS mis à gauche au groupe verbal mis à droite. On remarque également que le manuel ne fournit pas les moyens qui permettent de trouver le sujet. - Manuel scolaire Mes apprentissages français (2017) 5ème année de l'enseignement primaire. Bien que ce manuel scolaire donne les moyens qui permettent de trouver le GNS, il véhicule de manière explicite la conception, malheureusement erronée, « le GNS se trouve avant le verbe » ! Exemple2 :Des moyens mémo-techniques proposés par des enseignants ou certains manuels tels que « le s entre deux voyelles se prononce [z] comme dans : maison ou raison, ... .». Cette « règle » se heurte à la réalité des termes : vraisemblablement, parasol, contresens, aseptique, asexuel, entresol, asocial, .... De même, « l'association effectuée par certains manuels ou certains enseignants du masculin à un garçon et du féminin à une fille est susceptible de générer des confusions importantes et de brouiller la compréhension de la catégorie de genre en grammaire. » (Y. Reuter, 2013a, p 79). Exemple3 : L'enseignement des verbes n'est que trop souvent celui des terminaisons, et on ne fait pas saisir la valeur des temps par rapport à l'action et au temps qui s'écoule. Ainsi, pour l'imparfait par exemple, on a coutume de donner les règles de terminaison : ais pour je, ais pour tu, ait pour il ou elle, ions pour nous, etc. À quoi pourrait-on s'attendre si on demande à l'élève de trouver le temps de conjugaison dans les phrases suivantes « Je connais l'histoire de mes ancêtres. » ou « Il parait triste. » ou « Nous trions les lettres. », ... ? Les exemples d'obstacles didactiques sont multiples et selon J-P Aslolfi, ce type d'obstacle n'est sans doute pas entièrement évitable. « Pour une part sans doute, la prise de conscience conduit-elle à être plus vigilant quant aux exemples choisis, et à s'assurer qu'une variable didactique inopportune ne vas pas obérer la construction conceptuelle visée. Mais peut-on toujours éviter d'avoir à reprendre ce qui fait l'objet d'un premier enseignement ? » (J-P Astolfi, 1997, p 68). ü Les obstacles ontogéniques : C'est le cas où le stade de développement de la pensée de l'élève est en décalage important par rapport à ce qu'on lui demande. Quelle que soit l'explication fournie, elle reste étrangère aux capacités cognitives de l'élève. Pour prendre conscience de ce type d'obstacles, on peut recourir par exemple aux travaux de deux grands psychologues du développement : Jean Piaget et sa théorie des stades de développement, et Lev Vygotski et la notion de zone proximale de développement ou zone de développement prochain. Cette dernière est définie comme étant « l'espacede développement délimité par ce que l'enfant sait faire seul (limite inférieure) et ce que l'enfant sait faire avec l'aide de l'adulte (limite supérieure). »26(*)Cette zone s'intériorisera ultérieurement, créant ainsi un espace interne de développement. Le sens des termes utilisés dans une situation didactique peut constituer un obstacle ontogénique, comme par exemple des situations où le vocabulaire utilisé est complexe et moins familier aux élèves ou des textes comprenant une densité informationnelle énorme. Jusqu'ici, nous avons pu dégager trois types d'obstacles qui peuvent être source d'erreurs, et ce en recourant aux trois sommets du triangle didactique pris isolément. Cependant, le plus souvent, les erreurs sont susceptibles de plusieurs analyses, de plusieurs interprétations. Il importe de tenter de les valider, soit par un dialogue ou une écoute prolongée (comme dans les cas Jeannette et Albert), soit par un test adapté. Il se peut que toute analyse se révèle inexacte, l'erreur étant instable, non reproductible. Pour compléter l'éventail des obstacles décrits précédemment et les erreurs qui en découlent, on se centrera tout particulièrement sur celles en relation avec l'élève. Outre les erreurs dus aux obstacles ontogéniques, il y a : - Celles dues à des facteurs psychologiques ou émotionnels. Ces facteurs peuvent peser fortement sur l'engagement de l'élève ou sur son désengagement. Ils peuvent être inhérents à l'apprentissage dans les classes, comme l'ambiance et les conditions de travail, les méthodes et les pratiques d'enseignement, etc. Ils peuvent être aussi extérieurs à la classe comme le poids du contexte familial (l'éducation familiale entre autres), la représentation de la discipline ou de l'école dans l'inconscient de l'élève, etc. Si ces facteurs provoquent chez l'élève des émotions négatives et suscitent chez lui des stratégies d'évitement, on a alors affaire à des obstacles psychologiques. - Celles dues à une surcharge cognitive : traditionnellement, on distingue deux types de mémoire : « la mémoire à court terme » ou mémoire transitoire et « la mémoire à long terme » ou mémoire permanente. La mémoire à court terme a une capacité limitée dans le temps, c'est celle que nous utilisons par exemple pour retenir un numéro de téléphone. À l'inverse de la mémoire à court terme, la mémoire à long terme possède une capacité illimitée et l'information qui y est stockée reste disponible, même si elle ne peut pas toujours être spontanément remémorée. Des recherches effectuées dans les années 70 du siècle dernier ont souligné les limites de cette théorie dualiste de la mémoire. Ces recherches ont montré que certaines fonctions spécifiques de la mémoire à long terme sont également présentes dans la mémoire à court terme et réciproquement.27(*) Le terme de « mémoire de travail » a été alors proposé pour remplacer celui de « mémoire à court terme ». Cette modification indique qu'une activité complexe a lieu lors du processus de traitement de l'information. On utilise souvent la métaphore informatique pour distinguer ces deux registres de fonctionnement de la mémoire : la mémoire de travail est représentée par le processeur central de l'ordinateur, alors que la mémoire à long terme est apparentée au stockage sur le disque dur. Prenons un exemple qui illustre le fonctionnement de ces deux mémoires, en particulier celui de la mémoire de travail : la qualité de l'orthographe des élèves est souvent moins bonne dans une production écrite que dans une dictée. D'après J-P Astolfi28(*), ce « phénomène » constaté par les enseignants, et dont ils se plaignent, est pourtant normal. Selon lui, dans une dictée, c'est la totalité de l'espace de traitement de la mémoire de travail qui est utilisée pour rechercher les bonnes formes graphiques (le sens du texte dicté importe peu pour bon nombre d'élèves).Par ailleurs, au cours d'une dictée, l'élève est aidée puisqu'il doit transformer un matériau phonique en un matériau graphique, c'est-à-dire faire correspondre des sons (qu'il entend) et des lettres. Il s'agit donc d'un exercice très spécifique qui n'aide pas un scripteur à maitriser l'orthographe quand il est en situation de production écrite. Dans ce cas, il s'agit en effet de mettre des idées et non des sons en lettres.Par conséquent,l'activité cognitive de l'élève dans une production de texte est partagée en plusieurs tâches, car il faut, en parallèle, chercher les idées, les organiser en phrases puis en paragraphes, vérifier la syntaxe de chaque phrase, et, au milieu de tout cela, contrôler aussi l'orthographe. Bien que la mémoire permanente fonctionne dans les deux cas, l'espace de la mémoire de travail est émietté dans le second cas, d'où une faible capacité d'attention sur l'aspect orthographique du texte produit. Ainsi, des obstacles qu'on peut qualifier d'obstacles techniques peuvent surgir quand la capacité d'attention de l'élève est insuffisante (fatigue inhérente à la tâche proposée, ...) ou quand l'articulation entre les deux mémoires ne fonctionne pas comme il se doit (surcharge de la mémoire de travail, entre autres). Aussi, faut-il bien doser l'usage des deux mémoires afin d'assurer l'automatisation des procédures appropriées au moment adapté. D'autres recherches ont conduit à distinguer deux autres types de mémoire : « la mémoire lexicale » liée à l'apprentissage par coeur, et « la mémoire sémantique » portant sur le l'appropriation du sens. Ces recherches montrent que cette dernière a une capacité énorme et elle est plus importante que la mémoire lexicale. D'après Alain Lieury29(*), les procédés mnémotechniques utilisés par certains enseignants pour faciliter la mémorisation sont efficaces mais peu utiles en raison de la méconnaissance de la principale forme de mémoire qu'est la mémoire sémantique. L'usage intensif de l'apprentissage par coeur est également insuffisant pour les mêmes raisons. L'acquisition des concepts en mémoire sémantique nécessite un apprentissage du sens et des mécanismes de répétitions dans des contextes variés : « la mémoire sémantique du concept, dans sa variété et sa complexité, semble ne se construire qu'avec la répétition d'un nombre relativement important d'épisodes contextuels contenant chacun quelques quarks de sens. »30(*) - Dans l'interaction du pôle élève (E) avec le couple (M,S), on entre dans le cadre des attentes réciproques du maitre et de l'élève, c'est donc le problème du contrat didactique discuté précédemment : Qu'a-t-on le droit de faire ? Que signifie telle question ? Quelles sont les règles du jeu implicites ou explicites ? L'élève élabore des règles à partir de son activité. Ces règles peuvent fonctionner dans certaines situations et empêcher de comprendre l'exigence d'une nouvelle règle. Il s'agit alors d'un obstacle (une connaissance en cours de construction ou une règle en acte). Les erreurs qui en résultent ne renvoient pas nécessairement à du non acquis ou du non su ; elles peuvent manifester des éléments en cours d'acquisition. Par exemple, pour l'élève qui écrit des « chous », il manifeste l'intégration de la règle dominante du « s » au pluriel. De même, l'élève qui écrit au passé simple « il prena » montre l'indice d'un apprentissage, celui de l'intégration de formes régulières du passé simple.31(*) Ainsi, certains savoirs peuvent demander du temps (des semaines, des mois voire des années) pour être acquis. C'est le phénomène dit « long terme des apprentissages » dégagé par les didacticiens : « La psychologie du développement est convoquée par la didactique, parce que les compétences progressivement formées par l'enfant au cours de ses apprentissages sont partiellement ordonnées, partiellement indépendantes, partiellement complémentaires. »32(*)Une étude sur l'orthographe menée par André Chervel et Danièle Manesse a montré que les performances orthographiques s'améliorent considérablement entre la sixième et la troisième33(*). Prendre en compte ce long terme des apprentissages, c'est organiser des reprises et des progressions au fil de l'enseignement, c'est ce que les programmes essaient de faire à travers ce que l'on appelle « un enseignement en spiral », mais en même temps, le discours enseignant fourmille de jugements tranchants comme : « l'élève n'a rien compris à telle notion ou à telle règle, ... .» C'est comme si à un moment donné, tout en reconnaissant cette caractéristique des apprentissages, l'enseignement devait la renier dans les évaluations qu'il porte, en particulier dans l'évaluation sommative (les compétences ou les capacités attendues par l'institution scolaire). L'élève peut également élaborer des règles à partir d'une « mauvaise » appropriation de règles résultant d'une activité donnée (une conception erronée). D'où l'importance de faire expliciter par les élèves les règles dégagées d'une situation, de les exprimer dans différents registres, de les institutionnaliser, de les expliciter lors de leur utilisation. Ce tour d'horizon sur les obstacles, certes non exhaustif, montre combien les causes des erreurs sont multiples. J-P Astolfi, qualifiant l'erreur de plurielle et comme un outil pour enseigner, dresse une typologie des erreurs avec des propositions de médiations ou de remédiation (J-P Astolfi, 1997, pp 96-97). De même, Yves Reuter envisage la notion d'erreur autrement en proposant le terme de « dysfonctionnement ». Il le définit comme étant « une variante d'un produit didactique, appartenant à un espace d'enseignement et d'apprentissages, estimée problématique par un agent déterminé, en fonction d'un cadre de référence donné. » (Y. Reuter, 2013b, page 52). Ce terme, bien que critiqué34(*) lui parait moins négatif et moins moralisant que nombre d'autres termes (le terme de faute en particulier). Ce terme estsurtout plus ouvert que celui d'erreur, puisque son sens ne se réduit pas au caractère bivalent vrai/faux attaché couramment à l'erreur. Il peut aussi intégrer diverses catégories de problèmes (erreurs, manques, maladresses, lacunes, ...). Le dysfonctionnement a une fonction heuristique en ce sens que c'est un témoin qui permet de repérer les difficultés auxquelles se heurtent le processus d'enseignement/apprentissage, d'explorer et d'éclairer le fonctionnement des composantes du système didactique : comprendre le fonctionnement des élèves et des apprentissages, comprendre le fonctionnement de l'enseignement et enfin comprendre les contenus et les fonctionnements disciplinaires. Le dysfonctionnement a également une fonction épistémologique, celle d'interroger les didactiques des disciplines elles-mêmes. Reconnaissant la causalité hypothétique des erreurs et la situation singulière de la classe, Y. Reuter évite l'écueil de la prescription. En revanche, il ne se dérobe pas à une réflexion sur la question de l'intervention. Sans préciser explicitement des stratégies de traitement des erreurs, il propose des pistes d'intervention susceptibles d'influencer les pratiques d'enseignement. Les pistes proposées sont formulées sous forme de questions35(*) : Intervenir ou non ? Avancer ou prendre le temps de connaissance ou de reconnaissance de l'erreur ? Eradiquer les erreurs ou développer une position réflexive sur les dysfonctionnements ? Cacher l'erreur ou l'enseigner afin de mieux l'éviter ? ... . Plus généralement, les didacticiens préconisent l'adoption d'une démarche scientifique vis-à-vis des erreurs des élèves. L'organigramme ci-dessous illustre cette démarche36(*) : Hypothèses sur les processus qui ont amené l'élève à produire cette erreur et sur les origines de ces processus (Complexité des contenus ? Stratégies d'enseignement ? Contrat didactique ? Obstacles ontogéniques ? Psychologiques ? Techniques ? ...) Mise en place d'un dispositif pour tester ces hypothèses (entretien avec l'élève, test, ...) Faut-il remédier à ces erreurs ? L'intervention n'est pas vraiment indispensable (long terme des apprentissages, ...) Une correction ponctuelle peut suffire. . Oui : Erreurs persistantes, récurrentes, ... .Elaboration et mise en place de situations de re-médiation, puis évaluation des effets de ce dispositif. Repérage d'erreurs ou de dysfonctionnements 251502592 Pour remédier aux erreurs des élèves, il faut concevoir des moyens pour les déstabiliser. Cela ne peut se faire que si on les amène à comprendre leur propre fonctionnement dans ce qu'il a de positif et de négatif à la fois. La notion de métacognition mise en évidence dans le champ de la psychologie cognitive et l'idée d'objectif-obstacle développée dans un cadre didactique par Jean-Louis Martinand37(*) permettent d'attribuer un rôle aux élèves dans la correction de leurs erreurs au cours du processus d'enseignement/apprentissage38(*). C) La métacognition : Mise en évidence par le psychologue américain John H Flavell dans les années 60 du siècle dernier, la métacognition est d'abord à comprendre dans le champ de la psychologie cognitive d'où elle est issue et qu'il a définie et expérimentée comme un processus cognitif en jeu dans la résolution de problèmes favorisant à la fois les apprentissages, le transfert et la motivation. Dans un sens très général, la métacognition désigne l'analyse que le sujet fait de ses propres démarches dans le but de se corriger. C'est la capacité réflexive du sujet qui s'observe penser, une sorte de cognition sur la cognition : « la métacognition se réfère aux connaissances du sujet sur ses propres processus et produits cognitifs. Elle renvoie aussi au contrôle actif, à la régulation et à l'orchestration de ces processus. »39(*)En d'autres termes, il y a deux aspects dans la métacognition : - Les connaissances métacognitives : ce sont les connaissances à propos de ses propres processus cognitifs. - Les conduites métacognitives : elles recouvrent le contrôle et la régulation des actions cognitives. En pédagogie, la métacognition renvoie aux techniques d'auto-analyse et d'autocontrôle de son activité intellectuelle, c'est une forme d'autogestion de l'activité mentale. Savoir que l'on comprend mieux un texte si on le lit deux fois, d'abord rapidement, puis plus lentement en soulignant les passages ou les mots importants, ou que l'on comprend mieux un problème de géométrie si on fait un schéma, sont des connaissances métacognitives ou méta-connaissances. Développer ses capacités métacognitives est essentiel : un enseignement qui contientcette dimension «permettra à l'élève d'intérioriser sa démarche de résolution de problème, en passant progressivement de la critique extérieure de l'enseignant à une autocritique.... Ayant appris ce genre de démarche dans une situation particulière et ayant appris aussi que ces méthodes sont utilisables dans d'autres contextes, l'élève peut alors les employer dans d'autres démarches d'apprentissage.»40(*) En psychologie cognitive, la motivation est souvent liée à la métacognition. L'image de soi, l'évaluationque le sujet fait de sa capacité à mener à bien une tâche, le sens qu'il lui attribue, peuvent susciter parexemple plus ou moins d'anxiété et le mener à la réussite ou à l'échec. C'est par ce biais que les émotionsjouent un rôle important dans la régulation de l'activité cognitive au niveau de la sélection des tâchesprioritaires, de leur ordonnancement dans le temps, des décisions d'abandon. Dans l'étude de la métacognition, on se heurte à une grande difficulté, celle de distinguer entrela métacognition et la cognition. En effet, il n'est pas toujours aisé d'établir la frontièreentre ce qui est métacognitif et ce qui est cognitif. Cette distinction est considérée par certains auteurs (dont J.H Flavell) comme artificielle. À l'origine de cette difficulté, il y a semble-t-il deux raisons. D'une part, les processus métacognitifs et ceux qui sont cognitifs interagissent et coexistent, et d'autre part, dans certains cas, une même stratégie peut être invoquée dans un but métacognitif oudans un but cognitif. De plus, indépendamment de la nature du but pour lequel elle est invoquée,une même stratégie peut assurer la poursuite à la fois d'objectifs métacognitifs et d'objectifs cognitifs. Parexemple, on peut consciemment se poser des questions sur une leçon à apprendre en vue de mieuxen connaître et en comprendre le contenu. Mais cette stratégie peut également être invoquéepour s'assurer qu'on a bien compris et appris sa leçon. Dans ce cas, même si l'objectif est decontrôler sa compréhension de la leçon plutôt que de mieux la comprendre, il en résulteraprobablement une amélioration au niveau de la connaissance et la compréhension de la leçonaussi bien qu'une évaluation de leur qualité. Selon Philippe Meirieu41(*), la métacognition permet de distinguer une procédure d'un processus. Le processus a certes permis d'aboutir, mais il reste contingent et contextualisé, sans garantie d'une réplication possible d'un succès empirique. En extraire une procédure, c'est identifier un savoir ou un savoir-faire plus transversal et dont le réemploi invariant sera facilité. Les intérêts pédagogiques de la métacognition sont multiples. Anne-Marie Doly42(*) en recense au moins quatre : - assurer plus de réussite dans la gestion des tâches et faire acquérir des connaissances et des compétences plus assurées ; - favoriser le transfert des connaissances et des compétences construites avec contrôle métacognitif et donc favoriser l'apprentissage. Le transfert ou généralisation de ce qui a été appris est le moyen le plus important par lequel l'élève devient capable de modifier et d'adapter son activité cognitive à des tâches à contextes différents ; - faire apprendre les compétences de contrôle et d'autorégulation et développer l'autonomie, en particulier dans le travail personnel ; - développer la motivation et l'estime de soi. Par ailleurs, elle donne plusieurs exemples concrets, dont la plupart sont issus de travaux de recherche sur la dimension métacognitive dans l'enseignement. On se contentera de donner un seul, celui qui vise à apprendre aux élèves à contrôler leur orthographe.43(*) Exemple : L'objectif didactique général est de faire progresser les élèves en orthographe par l'usage du contrôle métacognitif, l'objectif opérationnel étant de conduire les élèves à prendre conscience de leurs lacunes, des types de fautes qu'ils font, autrement dit de construire des méta-connaissances en orthographe. Au départ, le professeur fait faire une dictée, choisie parce qu'elle présente des problèmes orthographiques en zone proximale, c'est à dire déjà rencontrés, mais non maitrisés, sur lesquels le professeur veut faire progresser les élèves. Le texte est écrit ensuite au tableau ainsi qu'un tableau de plusieurs colonnes et où chaque colonne est dédiée à une catégorie de fautes (colonne des homonymes, colonne accord sujet-verbe, colonne terminaison de verbe, colonne des mots invariables, etc.). Un débat est ouvert avec les élèves afin d'identifier et nommer les fautes faites par la classe. La dénomination des fautes est travaillée avec les élèves. Par exemple, les élèves repèrent les confusions « et/est », « on/ont ». Le professeur interroge : « Comment peut-on les désigner dans le tableau ? » Une discussion s'engage, qui conduit à la colonne désignée par « homonymes ». On fera de même avec toutes les fautes. Ainsi, une première modalité pédagogique de ce travail a été de faire construire aux élèves deux outils : - un tableau d'évaluation des fautes soumises au contrôle dans lequel chaque élève note celles qu'il fait à chaque dictée ; - une fiche-outil qui constitue une ressource facilement utilisable pour que les élèves puissent effectuer le contrôle eux-mêmes. Une expérience similaire44(*), dans le cadre de conflits sociocognitifs entre pairs, a été réalisée avec des élèves de CE2. Les objectifs visés étant de renforcer les compétences des élèves en production orthographique en mutualisant leursconnaissanceset en confrontant leurs représentations du fonctionnement de la langueavec celles des autres, et de prendre conscience des stratégies à mettre en oeuvre (argumenter, justifier, expliciter). D) Objectifs-obstacles :Dans une optique constructiviste de l'apprentissage, on admet que la pensée progresse par rupture avec les conceptions antérieures devenues insuffisantes. L'un des objectifs majeurs de l'enseignement devient alors d'aider l'élève à franchir les obstacles qui lui permettront de rompre avec ses conceptions antérieures. Les objectifs, ici, ne sont pas décrits a priori et d'une façon externe, mais en place, à partir des difficultés réelles rencontrées. Devant les difficultés à modifier les conceptions erronées ou inadéquates de l'élève, les didacticiens proposent de construire des situations d'apprentissage autour d'«objectifs-obstacles» et de «situations-problèmes». Ces situations doivent permettre de construire un espace de réflexion autour d'une question ou un problème à résoudre et permettre à l'élève d'enrichir ses connaissances de nouvelles représentations en éliminant celles qui faisaient obstacle.Plusieurs conditions sont nécessaires à la réussite d'une telle démarche : - Le problème doit demeurer ni trop près, ni trop loin de ce que l'élève sait déjà, c'est à dire dans la limite de la zone proximale de développement de l'élève. - La situation doit permettre à l'élève de prendre conscience de l'insuffisance de son savoir antérieur par la situation elle-même et non par l'enseignant. - Lorsque l'élève a pris conscience de l'inadéquation de ses représentations ou de ses stratégies anciennes, une aide (par un groupe de pairs, par l'enseignant, par des documents) sera nécessaire. Toute la difficulté sera de l'aider sans faire le travail à sa place. L'enseignant, dans cette démarche, n'est plus le dispensateur des connaissances ; il devient une aide pour l'élève qui construit ses savoirs. Il assure la médiation entre l'élève et les connaissances nouvelles en provoquant des questionnements (des objectifs-obstacles), en créant des situations-problèmes adaptées au niveau de l'élève, en le guidant dans cette démarche de déconstruction-reconstruction par une attention particulière aux difficultés de chacun (pédagogie différenciée). Prenons un exemple qui illustre la différence entre une approche classique et une approche moderne « constructiviste » :
Les déterminants : articles définis/indéfinis (Manuel parcours, Séquences d'apprentissage du français, 6ème année du primaire, édition 2015/2016, pp 59-60) On remarque que la situation proposée n'est pas problématique, en ce sens que les connaissances visées sont transparentes. En effet, les articles sont mis en relief (soulignés et en gras), donc les difficultés que posent leur actualisation sont bannies, et par conséquent, il n'y a pas de construction réelle du savoir par l'élève. Ce n'est que dans la dernière question que la fonction des articles est soulevée et traitée. Or on sait que l'une des grandes difficultés des articles réside dans le choix de celui qui accompagnera tel nom ou tel mot. Pour permettre à l'élève de construire cette notion, ou plutôt de saisir l'aspect outil et la fonction des articles, nous proposons deux types de situations-problèmes : Première situation « Un texte sous-déterminé » : L'enseignant écrit au tableau le texte suivant :
Le professeurdemande d'abord aux élèves ce qu'ils en pensent, puis il leur demande d'essayer de le déchiffrer. Plusieurs erreurs peuvent se manifester lors de l'opération du déchiffrage du texte. Des difficultés peuvent émerger lors du travail de recherche des articles adéquats devant accompagner les noms du texte. Par exemple, il se peut que certains élèves choisissent l'article « la » pour le mot village, puisque ce mot est féminin dans l'arabe marocain. C'est donc une occasion pour le professeur d'avertir les élèves que le genre des noms dans une langue donnée est conventionnel : un même nom peut être masculin en français et féminin en arabe. Deuxième situation « Travail avec le dictionnaire » :travailen groupes (des binômes). Le déroulement de la situation se fait sous forme d'un jeu entredes binômes qui ont à leurdisposition un dictionnaire et des binômes qui n'en disposent pas. Un binôme choisit un mot du dictionnaire sans en indiquer le genre et demande à un autre binôme de mettre ce mot dans une phrase. Les rôles sont ensuite inversés. Un des objectifs de cette situation est de donner du sens au terme « actualisation » : actualiser un mot, c'est le faire sortir du dictionnaire pour le mettre dans une phrase ou dans un texte. 251500544 * 18 Entretien avec Stanislas Dehaene dans Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, N° 58. Mars-Avril-Mai 2020, pp 9-11 * 19 Gérard Vergnaud, À quoi sert la didactique ? Revue Sciences Humaines Hors Série N° 24 Mars/Avril 1999, p 48. * 20 Revue Sciences Humaines N° 27. Dossier : Les représentations Images Trompeuses du réel. Avril 1993, pp 17-20 * 21Danièle Manesse et Danièle Cogis cité par Y. Reuter dans (Y. Reuter, 2013a, p 82). * 22Cité par Marylou Magal dans l'article « Accord du participe passé : l'eternel débat. » Le point, Hors série, Novembre 2018, p 41. * 23 Le point, Hors série. Op.cit, p 41. * 24 Le point, Hors série. Op.cit, p 41. * 25 C'est ce type de méthode qui était utilisé par l'équipe du psychologue Jean. Piaget. * 26 Michel Brossard, Lev Vygotski « Le rôle des interactions », dans Les Grands Dossiers des Sciences Humaines N° 45, p 50. On trouvera dans ce numéro une synthèse des travaux des grands penseurs de l'éducation. * 27 Guy Tiberghien. Psychologie de la mémoire humaine. Sciences Humaines n° 43, pp 25-28. * 28 Jean-Pierre Astolfi, 1997, p 86. * 29 Alain Lieury. « Améliorer sa mémoire, mythes et réalité. Sciences Humaines n° 43, pp 20-24. * 30 Alain Lieury, Op. Cit, p 24. * 31 Voir sur ce point Y. Reuter, dans Reuter Yves (2013a) p 40. * 32 Gérard Vergnaud « À quoi sert la didactique ? » Sciences Humaines, Hors Série N° 24 Mars/Avril 1999, p 49. * 33 Enquête menée par A. Chervel et D. Manesse et citée par J-P Astolfi dans J-P Astolfi, 1997, p 80. * 34 Selon J-P Astolfi, les connotations demeureraient tout aussi négatives qu'avec le terme d'erreur, et de surcroit, il renforcerait l'idée commune que c'est le fonctionnement mental de l'élève qui serait en cause lors des erreurs, alors qu'il pourrait s'agir de la complexité des contenus ou des stratégies d'enseignement, ou ... . * 35 Yves Reuter 2013b, chapitre 6 : la question de l'intervention, pp 109-132 * 36 Cet organigramme est inspiré à partir des travaux de l'équipe de l'IREM de Lyon dans Mante Michel, Charnay Roland (1992) * 37 Cité par Jean-Pierre Astolfi dans J-P Astolfi, 1997, p 105. * 38 Nous évitons l'usage de l'expression enseignement-apprentissage qui peut laisser supposer une relation systématique entre l'enseignement et l'apprentissage, une relation de cause à effet : s'il y a enseignement, il y a forcément apprentissage.Nous préférons à sa place l'expression enseignement/apprentissage pour souligner que les phénomènes relatifs aux rapports entre l'enseignement d'un contenu de savoir et son apprentissage, en situation scolaire, sont au coeur de la réflexion didactique. Ces rapports sont supposés a priori non transparents par les didacticiens. * 39Flavell, cité par Anne-Marie Doly dans G. Toupiol, 2006, p 86. * 40 Goery Delacote, Sciences Humaines n° 98, « Apprendre ». Octobre 1999, p 33. * 41 Cité par J-P Astolphi dans dans J-P Astolfi, 1997, p 83. * 42 Anne-Marie Doly. Op.cit, pp 88-89 * 43Anne-Marie Doly. Op.cit, pp 105-109 * 44 Voir sitographie, la dictée négociée. |
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