Incidence des accords politiques dans la gestion de léétat cas du FCC-CACH.par Papy WETSHONGA LOKOMO Université - Licence en sciences politiques 2020 |
3.2. LE CARACTERE HISTORIQUE ET INEDITE DES ELECTIONS DE DECEMBRE 2018Le 24 Janvier 2019, Félix TSHISEKEDI prête serment et devient le cinquièmePrésident de la République démocratique du Congo. Il succède ainsi Joseph KASA-VUBU (1960-1965), Joseph-Désiré MOBUTU (1965-1997), Laurent Désiré KABILA (1997-2001) et Joseph KABILA (2001-2019). Ce dernier, désignéaprès l'assassinat de son père, a exercé le pouvoir pendant une période d'intérim de son père Laurent Désiré KABILA (2001-2003) de transition (2003-2006) puis durant deux mandats électoraux de cinq ans, le maximum selon la constitution congolaise, dont le dernier a été prolongé de deux ans jusqu'à l'organisation des électionsgénérales du 30 Décembre 2018, soit 18 années au pouvoir. Bien que célébrée comme la première alternance pacifique du pouvoir depuis l'indépendance, l'élection surprise du nouveau Présidentreflète cependant un processus et un résultatélectoral bien plus complexe. Par un mélange d'arrangements politiques, de manipulationsélectorales et de subversion démocratique, l'ancien Président et son entourage semblent avoir ainsi réussi à produire une configuration politique inédite permettant à la fois de conserver le contrôle des institutions de l'Etat et sa rente politico-économique tout en offrant une alternance présidentielle dont la marge de manoeuvre dans l'exercice du pouvoir parait largement symbolique. Dès lors et en dépit de l'apparence de changement, ces élections ne produiraient qu'une forme de continuité et ne seraient qu'une reconfiguration d'un mêmepouvoir. La nature et les conséquences de ce processus électoral et la reconnaissance internationale dont il a fait l'objet posent ainsi plusieurs questions, à la fois sur la viabilité à moyen et long terme d'une cohabitation de fait entre plateforme électorale du Président et celle de son prédécesseur, et sur le message envoyé aux congolais quant à leurs aspirations démocratiques et les moyens d'accéder au pouvoir politique en RDC. Espérées puis reportées plusieurs fois, les électionsgénérales congolaises ont finalement été tenues le 30 Décembre 2018, deux ans après la fin du mandat officiel de Joseph KABILA. Trois scrutins ont été organisés : les électionsprésidentielles (à un tour) et les électionslégislatives nationales et provinciales. Les députés provinciaux élus ont à leur tour désigné les sénateurs et gouverneurs des provinces lors des élections organisées les 14 Mars et 10 Avril 2019. Justifié par des menaces sécuritaires ou sanitaires (liées au virus à EBOLA), la commission nationale indépendante a reporté la tenue des scrutins dans trois villes importantes du pays : Beni, Butembo et Yumbi. Dans ces villes, les élections se sont finalement déroulées le 31 Mars 2019, à l'exception du scrutin présidentiel qui a été simplement supprimé. En dépit d'obstacles préélectorales et d'irrégularités, de violences ou restrictions du droit de vote le jour du scrutin, les congolais se sont largement déplacés pour voter (taux de participation de 47,56%) 64(*)le glissement du calendrier et la perspective d'un changement post Kabila ont contribué à la ferveur électorale congolaise malgré la menace généralisée au tour du processus. Des files d'attentes se sont même formés dans certaines villes où les élections avaient été reportées, certains souhaitant exprimer leur vote, même symboliquement. Annoncés par la CENI le 10 Janvier 2019 puis validé par la cour constitutionnelle 10 jours plus tard, les résultats consacrent une double victoire politique. Victoire historique pour le candidat de l'opposition Félix TSHISEKDI, qui devient Président de la République avec 38% des voix contre 34% pour Martin FAYULU et 23% pour le candidat du FCC, Emmanuel RAMAZANI SHADARY. Victoire aussi paradoxalement, pour le FCC qui remporte une grande majorité des sièges à la fois au niveau national et provincial. En effet, la coalition de Joseph KABILA a obtenu 341 sièges sur les 500 de l'Assemblée nationale, contre 104 pour la coalition portée par Martin FAYULU et seulement 47 pour la coalition du Président élu.65(*)Cesrésultats ont logiquement permis au FCC de prendre le contrôle de l'Assemblée nationale, du Sénat, des Assemblées provinciales ainsi des gouvernorats ; c'est donc un raz-de-marée électoral pour les partisans de Joseph KABILA. 3.2.1. LE VOTE ET LES ARRANGEMENTS POLITIQUESCette double victoire est néanmoinssurprenante plusieurs égards. D'abord, elle suggère qu'une grande partie de la population ait voté (le même jour) pour une coalition différente au scrutin présidentiel et au scrutin législatif. En effet, si la coalition de TSHISEKDI a obtenu 38% des voix à l'électionprésidentielle, elle n'a obtenu que 9% des sièges au parlement national tandis que le FCC a obtenu 68% des mêmesièges pour seulement 23% des voix à l'électionprésidentielle. L'ampleur de la différence entre les deux votes engendre certaines interrogations quant à la véracité des résultats annoncés. Ensuite car les résultats de l'électionprésidentielle publiés par la CENI contredisent à la fois les données obtenues par les 40.000 observateurs de la CENCO portant sur 43% des votes mais aussi celles issues d'une fuite de la base de données de la CENI portant sur 83% de ceux-ci. Ces deux sources révèlent que le gagnant serait en fait Martin FAYULU, avec 59% des voix selon les données de la CNCO et 62% selon celles fuitant de la CENI. Félix TSHISEKEDI n'aurait lui obtenu qu'entre 15% selon la CNCO et 19% des voix selon la fuite de la CENI et Emmanuel RAMAZANI environ 18%. La corrélation quasi-parfaite entre les résultats issus de ces deux sources ainsi que l'analyse de leurs données respectives par des experts indépendantes laissent peu de doute quant à une véritable victoire de TSHISEKEDI par les urnes et par là, quant à l'exactitude de l'ensemble des résultats annoncés par la CENI.66(*) Enfin, la CENI n'a publié aucun résultatdétaillé des élections, en contradiction avec son obligation légale. Alors que la commission électorale aurait pu facilement lever tout soupçon en publiant les résultats par bureau de vote et centre de compilation, elle s'est limitée à l'annonce des voix obtenues par les trois principaux candidats à l'électionprésidentielle et les noms des députésélus. Aucune vérificationindépendante n'est possible sur cette base, ce qui accentue encore la suspicion autour de l'authenticité des résultats publiés. Par ailleurs, l'exclusion de Beni, Butembo et Yumbi du vote à l'électionprésidentielle renforce encore le doute sur la réelle volonté de la CENI d'assurer que le vainqueur soit celui issu du vote populaire. En effet, le vote dans ces circonscriptions aurait pu modifier l'ordre des vainqueurs, la différence officielle du nombre de voix entre TSHISEKEDI et FAYULU n'étant que d'environ 680.000 alors que le nombre d'électeurs y était de près du double. Si les résultats annoncés ne correspondent pas à la réalité des urnes, de quoi sont-ils le fruit ? L'explication de cette dissonance semble se trouver dans un accord trouvé entre les camps de KABILA et du tandem TSHISEKEDI /KAMERHE. Cet accord pour une transition pacifique et une gestion commune du pays à travers une coalition gouvernementale serait donc la conclusion de tractations autour de deux éléments clés : le transfert de la présidence au-delà du cercle Kabila et les garanties pouvant être apportées à celui-ci pour ne pas s'y opposer.67(*)Autrement dit, le processus électoral n'aurait été que la façadederrière laquelle la gestion du pays se négociait par arrangement politiques et hors de tout contrôle démocratique, avec pour conséquence la construction de résultatsélectoraux en fonction du compromis trouvé. En ce sens, le processus électoral congolais constitue une défaitedémocratique, le choix des urnes n'ayant été respecté.68(*) Cette défaite semble ainsi être le prix de l'accès au pouvoir pour les uns et celui du maintien au pouvoir pour les autres. * 64Humanrightswatch : « RD Congo : les élections ont été entachées de violence et de restrictions du droit de vote. » www.ibit.ly/2c205kh visité le 28 Décembre 2019 à 15h * 65 SYDNEY, L. op cit P.26 * 66 JASON, S. « who really won the congoleseelections ? www.bit.ly/2rp/jop visité le 15 Février 2020 à 11h * 67 SYDNEY, L. Op cit. * 68 MO Ibrahim et ALAN Doss, « 2019 congo's election : a defeat for democraty, a disaster for the people. » www.bit.ly/2/Fe53M visité le 11 Février 2020 à 09h |
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