2. Un système d'information sur les visas
actuellement non abouti dans la surveillance des agents diplomatiques
situés dans certains pays tiers à l'Union européenne
478. Création du système VIS.
Le Parlement européen et le Conseil de l'Union
européenne ont adopté un Règlement le 9 juillet 2008
concernant le système VIS et l'échange de données entre
les Etats membres sur les visas de court séjour, surnommé le
Règlement VIS521. C'est la décision 2004/512/CE du
conseil du 8 juin 2008 qui a créé le VIS « en tant que
système d'échange de données sur les visas entre Etats
membres » selon le point 2 du préambule du Règlement VIS.
479. Commentaires des articles du Règlement
VIS : défaillance du contrôle sur les Etats tiers. «
Afin d'assurer une vérification et une identification fiables des
demandeurs de visas, il est nécessaire de traiter des données
biométriques dans le VIS » selon le point 10 du préambule du
Règlement VIS. Il y a donc une surveillance sur l'identité civile
et biométrique d'un individu résidant dans un pays tiers à
l'Union européenne à travers l'application de ce
Règlement. Selon l'article 2 de ce même Règlement, «
le VIS a pour objet d'améliorer la mise en oeuvre de la politique
commune en matière de visas » uniquement entre Etats membres. En
effet, « les données traitées
519 Ibid., p. 130.
520 Ibid.
521 Règlement (CE) n° 767/2008 du Parlement
européen et du Conseil du 9 juillet 2008, vu le traité instituant
la Communauté européenne, et notamment son article 62§2,
point b) ii), et son article 66, vu la proposition de la Commission, statuant
conformément à la procédure visée à
l'article 251du TFUE.
165
dans le VIS ne peuvent être communiquées à
un pays tiers ou à une organisation internationale, ni être mises
à leurs dispositions » selon l'article 31 du Règlement VIS.
C'est donc une limite considérable pour qu'un contrôle soit
exercé sur la probité des agents consulaires situés
à l'étranger, délivrant des visas Schengen. C'est un
système de contrôle qui s'exerce uniquement entre les Etats
membres expliquant le caractère non abouti du système VIS car le
contrôle sur les Etats tiers est défaillant.
480. Extension récente du système VIS
insuffisante. Ce n'est qu'à partir de l'adoption du
Règlement du 14 novembre 2018 par le Parlement européen et le
Conseil de l'Union européenne concernant « la liste des pays tiers
dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir
les frontières extérieures des Etats Membres et la liste de ceux
dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation
»522 que le système VIS s'est étendu. En
pratique, le visa Schengen sera délivré lorsque le ressortissant
d'un pays tiers souhaitera séjourner sur le territoire d'un Etat Membre
pour trois mois au maximum. Or, le point 3 du préambule du
Règlement du 14 novembre 2018 dispose que celui-ci s'applique uniquement
« pour des séjours dont la durée n'excède pas 90
jours sur toute période de 180 jours », ce qui correspond
implicitement aux visas Schengen court séjour. « Le présent
Règlement détermine les pays tiers dont les ressortissants soumis
à l'obligation de visa ou en sont exemptés, sur la base d'une
évaluation au cas par cas de divers critères relatifs, entre
autres, à l'immigration clandestine, à l'ordre public et à
la sécurité, aux avantages économiques, ainsi qu'aux
relations extérieures de l'Union avec les pays tiers concernés
» selon l'article premier du Règlement de 2018.
481. Selon l'annexe I du Règlement, seulement
soixante-dix-huit pays tiers sont soumis à l'obligation de
délivrance de visas à leurs ressortissants pour franchir les
frontières extérieures de l'Union européenne. En pratique,
« la mise en place du VIS impose que toute autorité saisie d'une
demande de visa crée un dossier ad hoc, doté d'un
numéro propre et renfermant les divers éléments
d'identification de la personne concernée »523,
ressortissante d'un pays tiers. Ce système de contrôle ne concerne
que la demande de visas Schengen d'un étranger ayant sa résidence
dans le ressort du siège de l'ambassade ou du consulat du pays tiers.
522 Règlement (UE)2018/1806 du Parlement européen
et du Conseil du 14 novembre 2018.
523 MARMISSE-D'ABBADIE D'ARRAST (A.), « Espace de
liberté, de sécurité et de justice »,
Rép.europ., 2010, n° 99.
482.
166
Selon l'annexe II du Règlement, quatre-vingt-neuf pays
tiers sont exemptés de l'obligation de délivrance de visas
à leurs ressortissants lors de franchissement des frontières
extérieures de l'Union européenne pour des séjours dont la
durée n'excède pas 90 jours sur toute période de 180
jours, c'est-à-dire pour des visas Schengen court séjour.
483. Grâce à ses résultats factuels
présentés dans le Règlement du 14 mai 2018, on constate
que la mise en place d'une « frontière administrative »
policière sur la surveillance des visas en provenance de pays tiers
n'est pas effective puisque de nombreux ressortissants de pays tiers sont
autorisés à voyager sans visas. Ainsi, le risque de la corruption
des agents diplomatiques dans ces pays-là est nécessairement plus
élevée que dans les pays où ils sont dans l'obligation de
délivrer un visa à un ressortissant. Mais les failles du
système VIS se retrouvent aussi bien dans les pays tiers obligés
de délivrer un visa que dans ceux qui en sont exempts.
484. Exemple d'un consul corrompu dans un pays tiers
autorisé à délivrer un visa Schengen. Le 5 avril
2018, un réseau de trafic de faux visas Schengen a été
démantelé au Maroc524. Dix individus ont
été arrêtés, dont huit d'entre eux sont directement
impliqués dans le réseau. Les deux derniers étaient
soupçonnés d'être des candidats à l'immigration
irrégulière. Les membres de ce réseau trichaient sur les
documents nécessaires aux dossiers d'obtention du visa Schengen à
l'aide d'un employé d'un consulat européen
accrédité à Rabat qui émettait de vrais visas en
s'appuyant sur de faux documents en contrepartie d'importantes sommes
d'argent525. Le réseau était structuré comme
suit : l'instigateur principal du trafic, les complices
spécialisés dans la falsification des documents, et des
intermédiaires dans les opérations d'immigration
irrégulières. Des dossiers falsifiés, des passeports, des
copies des pièces d'identités et d'actes de naissance, des
équipements électroniques, de l'argent, ont été
saisis par la police.
485. Portée de cette affaire :
inefficacité du système de contrôle VIS. A
partir de cette affaire, un réseau indépendant de trafiquants de
faux documents s'est mis en lien avec un agent diplomatique faisant partie d'un
consulat pour obtenir de faux visas Schengen. Ce pays de transit aux portes des
Etats membres de l'Union européenne
524
https://www.bladi.net/trafic-visas-schengen-maroc,51393.html
525 Ibid.
167
délivrant des visas Schengen représente
parfaitement l'inefficacité du système de contrôle VIS. En
pratique, l'Etat membre de destination mentionné sur le faux visas
Schengen a dû recevoir de l'agent consulaire corrompu marocain une
demande d'autorisation de séjourner sur son territoire de la part d'un
citoyen ayant la nationalité et/ou sa résidence au Maroc. La
faille réside dans le fait qu'aucun contrôle n'a été
effectué sur l'agent diplomatique. Aujourd'hui, l'Etat Partie
concernée ne contrôle que l'identité du voyageur clandestin
souhaitant rentrer en Europe.
486. Transition vers une refonte nécessaire.
C'est une perméabilité criante du système VIS,
qui ne contrôle aucunement l'action des agents diplomatiques corrompus.
Or, les trafiquants utilisent cette faille pour entrer dans l'Union
européenne. C'est pourquoi, une refonte du système VIS vers une
police de surveillance plus approfondie sur les agents diplomatiques corrompus
est nécessaire.
B) Vers une refonte nécessaire du système
VIS : un élargissement de son champ d'application sur les agents
diplomatiques corrompus ?
487. Elargissement. Pour combler les failles
actuelles du système VIS, deux tentatives de surveillances
policières sont proposées le cas échéant :
l'extension nécessaire du champ d'application du VIS sur la
facilité de la fraude documentaire exercée directement par les
agents diplomatiques dans les pays tiers (1), et un l'élargissement de
son champ d'application aux pays tiers actuellement exemptés de la
délivrance de visas en vue d'assurer une surveillance policière
uniforme des agents diplomatiques (2).
1. Refonte matérielle du VIS : l'extension
nécessaire du champ d'application du VIS sur la facilité de la
fraude documentaire exercée par les agents diplomatiques dans les pays
tiers
488. Silence à propos de la lutte contre la
corruption au sein des ambassades et des consulats étrangers.
Selon l'article 2 c) et g) du Règlement VIS, « le VIS a
pour objet d'améliorer la mise en oeuvre de la politique commune en
matière de visas, la coopération consulaire et la consultation
des autorités consulaires centrales chargées des visas en
facilitant l'échange de données entre les Etats membres sur les
demandes de visas et les décisions relatives, dans le but de : faciliter
la lutte contre la
168
fraude et contribuer à la prévention des menaces
pesant sur la sécurité intérieure ». Or, le champ
d'application du Règlement VIS se limite qu'au signalement de personnes
voyageant avec un faux visas Schengen. Pour le reste, le Règlement VIS
reste muet vis-à-vis de la lutte contre la corruption qui sévit
au sein des ambassades et des consulats étrangers.
489. Urgence d'un consortium politique entre
les Etats membres. L'affaire retentissante de la corruption d'un
consul au Maroc, pays tiers ayant l'obligation de délivrer un visa
Schengen, est une aubaine pour que les Etats membres de l'Union
européenne prennent conscience collectivement des menaces existantes au
sein des ambassades et des consulats étrangers. Une coopération
policière de lutte contre la corruption commise dans les ambassades et
les consulats étrangers doit arriver en premier lieu avant de pouvoir
penser à une réelle « coopération consulaire et une
consultation des autorités consulaires centrales chargées des
visas ». Un consortium politique doit être urgemment
entrepris par les Etats membres pour essayer de remédier à cette
faille très convoitée par les complices, agents diplomatiques,
faisant partie d'un réseau international de faux documents
d'identité.
490. OCDE, source d'inspiration pour les Etats
membres. Pour cela les Etats membres de l'Union européenne
doivent s'inspirer de ce qui existe au sein de l'Organisation de
coopération et de développement économique (OCDE). Par
exemple, la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics
étrangers dans les transactions commerciales internationales issue de
l'OCDE526, publiée en 2011 doit servir d'exemple aux Etats
membres de l'Union européenne. Selon l'article 1.1 de la Convention,
chaque pays membre doit prendre les mesures nécessaires pour lutter
contre la corruption des agents publics étrangers allant à
l'encontre des règles du commerce international.
526
http://www.oecd.org/fr/apropos/membresetpartenaires/
: « Aujourd'hui, l'OCDE compte 36 pays Membres à travers le
monde, de l'Amérique du Nord et du Sud à l'Europe et
l'Asie-Pacifique. En font partie beaucoup des pays les plus avancés,
mais aussi des pays émergents comme le Mexique, le Chili et la Turquie
». Parmi les trente-six pays membres de l'OCDE, dix-neuf sur vingt-huit
Etats membres de l'Union européenne sont pays Membre de l'OCDE. Parmi
les autres pays membres de l'OCDE, il y a la Turquie qui se situe aux portes de
l'Union européenne, pays qui peut représenter un potentiel danger
pour la sécurité publique des frontières de l'Union
européenne avec la présence d'agents diplomatiques corrompus.
491.
169
En l'occurrence, les agents diplomatiques agissant au nom et
pour le compte d'un faussaire par exemple participent activement à un
commerce illicite de marchandises. Cette convention définit les «
agents publics étrangers » comme « toute personne qui
détient un mandat législatif, administratif ou judiciaire dans un
pays étranger, qu'elle ait été nommée ou
élue, toute personne exerçant une fonction publique pour un pays
étranger, y compris pour une entreprise ou un organisme public et tout
fonctionnaire ou agent d'une organisation internationale publique », en
vertu de l'article 1.4. Cette définition intègre sans aucune
doute les agents diplomatiques présents dans les ambassades et les
consulats.
492. La poursuite pénale des agents diplomatiques
corruptibles se fonde sur une « responsabilité des personnes
morales », puisque « chaque partie prend les mesures
nécessaires, conformément à ses principes juridiques, pour
établir la responsabilité des personnes morales en cas de
corruption d'un agent public étranger » selon l'article 2.
493. Ainsi, lorsqu'une corruption sera commise par un agent
diplomatique, le pays membre de l'OCDE dont l'agent diplomatique a la
nationalité pourra être poursuivi par les instances judiciaires.
Pour assurer le suivi d'une surveillance policière, « chaque partie
prend les mesures nécessaires pour assurer que l'instrument et les
produits de la corruption d'un agent public étranger ou des avoirs d'une
valeur équivalente à celle de ces produits puissent faire l'objet
d'une saisie et d'une confiscation ou que des sanctions pécuniaires d'un
effet comparable soient prévues » selon l'article 3.3.
494. En pratique, l'argent issu du pacte de corruption entre
le demandeur du faux visa et l'agent diplomatique pourra être saisi par
les autorités policières présentes sur le pays membre
où l'infraction de corruption a été commise par l'agent
diplomatique selon l'article 4.1, ou si le pays membre dispose d'une
compétence personnelle extraterritoriale, de la possibilité de
juger le ressortissant diplomatique ayant commis une infraction à
l'étranger, selon l'article 4.2. La présente convention
prévoit une coopération judiciaire entre les pays membres
régie à l'article 8, notamment par l'utilisation du
mécanisme de l'extradition.
495.
170
En vertu de l'article 12 de la présente convention, les
pays membres assurent une « surveillance et un suivi systématique
» des actes de corruptions diplomatiques grâce au groupe de travail
de l'OCDE spécialisé dans le domaine des « transactions
commerciales ».
496. Ainsi, une surveillance policière plus efficace
est déjà entreprise par les pays membres de l'OCDE qui organisent
une coopération policière intéressante à l'encontre
des agents diplomatiques, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui du système
VIS, applicable au niveau de l'Union européenne. L'espace de
liberté, sécurité et justice organisé par les Etats
membres de l'Union européenne devrait donc s'inspirer dans la mise en
place de cette politique de lutte contre la corruption des agents diplomatiques
étrangers, déjà réprimés par l'OCDE.
497. Après la nécessaire refonte
matérielle du système VIS, il convient aussi de repenser le champ
d'application géographique de ce dernier.
2. Refonte géographique : l'élargissement
nécessaire du champ d'application du VIS dans les pays tiers corrompus
actuellement exempts de la délivrance de visas Schengen
498. Intérêt. Pour mettre
à l'écart les trafiquants étrangers de faux documents et
les agents consulaires corrompus, le visa doit devenir « une condition de
la mobilité légitime »527 pour tous les Etats
tiers à l'Union européenne.
499. Surveillance policière administrative
électronique à distance. Effectivement, la politique
commune de visas envers tous les pays tiers de l'Union européenne,
élargie à ceux qui en sont exempts actuellement, permettrait de
mettre en place une surveillance policière administrative
électronique à distance dans une nécessité de
sécurité intérieure de l'espace Schengen, afin de
créer une « standardisation des échanges d'informations
relatifs à la circulation des ressortissants des pays tiers
»528.
527 DUEZ (D.), L'Union européenne et l'immigration
clandestine, De la sécurité intérieure à la
construction de la communauté politique, préc., p. 123.
528 Ibid.
500.
171
Elargissement nécessaire de l'identification
des groupes cibles aux agents diplomatiques délivrant des documents de
voyages. Certes, « l'identification de groupes cibles et les
techniques de contrôles de visas à distance » étaient
déjà prévues par l'article 62 du Traité de la
Communauté européenne. La philosophie de cet article a
été reprise dans le Règlement du 14 novembre 2018
établissant la liste des pays tiers obligés ou exempts de
délivrer des visas Schengen d'une durée trois mois maximum.
L'uniformisation d'une politique de visas commune à tous les Etats tiers
se heurte au principe de souveraineté en droit international.
501. « Identifiant des groupes cibles, les instructions
consulaires soulignent qu'il convient d'exercer une vigilance
particulière sur les populations à risque, chômeurs,
personnes démunies de ressources stables etc. avant de préciser
qu'en cas de doute portant, notamment, sur l'authenticité des documents
et la réalité des justificatifs présentés, la
représentation diplomatique ou consulaire s'abstiendra de délivra
le visa »529.
502. Il en ressort que l'identification des groupes cibles ne
concerne que les voyageurs, et non pas les personnes délivrant les
documents de voyages. Pourtant les agents consulaires font partie de groupes
cibles qu'il est nécessaire de surveiller à distance, puisqu'ils
peuvent être en mesure d'enrayer le filtre administratif de
sécurisation de la délivrance de visas Schengen. Ce peut
être le cas de la Turquie qui est un pays tiers exempt de visas, point
stratégique pour les trafiquants puisque c'est un Etat tiers limitrophe
de l'Union européenne.
529 Ibid., p. 124 : instructions consulaires communes
adressées aux représentations diplomatiques et consulaires de
carrières, JO, n° C 326, 22 décembre 2005, p.
10.
172
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