Existe-t-il une stratégie géopolitique de l'aide publique au développement de la France au Sahel ?par François De Block Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Ecole Normale Supérieure - Master 2 Géopolitique 2019 |
2.2.3 La mission « élaboration du plan d'investissement stratégique sur la mobilisation des ressources intérieures »En parallèle de la reprise de l'actualisation de la stratégie, mon maître d'apprentissage m'a confié, sous la supervision du chef de service, l'élaboration du plan d'investissement stratégique sur la mobilisation des ressources intérieures sur 2020-2022. Ce document est la déclinaison opérationnelle Une ébauche de plan avait été préparée par mes prédécesseurs, mais l'orientation prise par ces travaux n'avait pas été validée par le chef de service au motif que le plan ne proposait pas de vision stratégique concrète ni ne ciblait de pays ou région prioritaires pour les interventions de la coopération française, en dépit de ce que suggérait le relevé de conclusions du CICID 2018 sur le contenu et la portée opérationnelle de ces plans. La rédaction du plan devait répondre à trois objectifs stratégiques : - Identifier des indicateurs de résultat pertinents pour mesurer les progrès des actions bilatérales de la France sur la mobilisation des ressources. Ces indicateurs n'ont pas vocation à être des indicateurs macroéconomiques, employés pour mesurer l'évolution de la pression fiscale ou l'accroissement des recettes par rapport au PIB. Ils doivent plutôt être de nature microéconomique refléter les résultats au niveau des projets. Ils ont ainsi vocation à construire un cadre de redevabilité pour l'action de la France sur la mobilisation des ressources intérieures. - Déterminer les géographies d'intervention prioritaires de la coopération française sur lesquelles il est envisageable d'intervenir sur 2020-2022, en concertation avec les opérateurs et les autres directions du ministère des finances impliquées dans la concertation autour du plan (direction générale des finances publiques et direction générale des douanes.) - Fixer les priorités sectorielles du plan, en les articulant avec ceux de la stratégie interministérielle. La mobilisation des ressources intérieures est un enjeu pluridimensionnel qui recoupe les politiques macro-fiscales, le renforcement des capacités des administrations, la gestion des revenus issus des ressources naturelles, la lutte contre les flux financiers illicites. En tant qu'apprenti-adjoint, mon rôle a été de coordonner l'ensemble des parties prenantes et d'animer le groupe de travail monté sur le sujet. L'objectif final était d'obtenir un plan consolidé, comprenant l'ensemble des éléments décris ci-dessus, afin de pouvoir communiquer à l'occasion du sommet du G7 de Biarritz. Durant cette mission, j'ai du animer les contacts avec les équipes « gouvernance économique et financière » de l'AFD et l'équipe d'assistance technique « fiscalité et développement » d'Expertise France. Leurs retours techniques et leur expérience du terrain étaient nécessaires à l'élaboration du plan dans la mesure où ceux-ci disposent d'une grande visibilité sur les projets performants sur la mobilisation des ressources en Afrique, et emploient déjà certains indicateurs pour mesurer leurs progrès sur la question. Mon rôle a été avant tout celui d'un coordinateur du groupe de travail, chargé d'orienter les propositions des opérateurs selon les objectifs du Trésor. J'ai ainsi co-animé régulièrement des réunions de travail comportant des interlocuteurs variés, avec ma cheffe de bureau ou ma collègue du MEAE, et ait été le référent principal sur le sujet de mobilisation des ressources pour le bureau MF5. Cela m'a permis d'appréhender le rôle d'exercice de la tutelle du Trésor sur l'AFD et Expertise France, et de découvrir les relations parfois difficiles existant entre l'AFD, qui dispose d'une forte autonomie dans le dispositif de coopération français, et Expertise France, qui est un opérateur de plus petite envergure, mais disposant de compétences plus pointues que l'AFD sur les sujets de coopération technique, notamment en matière fiscale et statistique. J'ai également animé des entretiens avec les responsables de la mission de coopération internationale de la direction générale des finances publiques (DGFIP), qui avaient participé à l'élaboration de l'ébauche du plan d'investissement. Ces entretiens ont permis d'identifier des pays africains susceptibles de montrer de l'appétence pour des initiatives de coopération fiscale sur 2020-2022 et d'alimenter le travail d'élaboration des indicateurs de résultats. Cette mission de coordination et d'animation de réseau a fortement contribué à mon épanouissement au sein du Trésor, dans la mesure où elle m'a conféré des responsabilités tout en disposant de beaucoup d'autonomie. Il m'a fallu m'imposer petit à petit comme un interlocuteur crédible face aux agents de l'AFD et d'Expertise France, être force de proposition sur les indicateurs et faire passer les messages de la hiérarchie du Trésor en termes d'attentes stratégiques et géographiques. Elle a été l'occasion d'une vraie prise de responsabilité sur des sujets techniques avec une attente politique forte de la part du sous-directeur du service des affaires multilatérales. J'ai pu y pratiquer pour la première fois des compétences de négociation, de coordination et de pilotage du groupe d'un groupe de travail, organiser des réunions techniques et en assurer le suivi par la rédaction de comptes-rendus réguliers. Dans le cadre de la rédaction du PISD et de la préparation du G7, j'ai aussi eu l'occasion d'effectuer un travail de fond quant aux initiatives et fonds multilatéraux qu'il serait pertinent de financer pour la France sur la période 2020-2022. Le Trésor avait décidé d'allouer une enveloppe de 60 millions d'euros de crédits supplémentaires pour 2020-2022 aux initiatives portant sur la mobilisation des ressources intérieures. Dans ce contexte, j'ai eu pour tâche d'effectuer une revue de l'activité des principaux fonds fiduciaires hébergés par les organisations multilatérales ( FMI, Banque mondiale, International Tax Compact, OCDE, etc) qui correspondent aux priorités thématiques et géographiques de la France en matière de mobilisation des ressources intérieures. Jusqu'ici, la France contribuait essentiellement au fond de renforcement des capacités du FMI, en allouant des fonds aux centres d'assistance techniques régionaux du Fonds en Afrique de l'Ouest (AFRITAC Ouest), en Afrique centrale (AFRITAC Centre). Ces deux fonds sont spécialisés dans l'assistance technique en matière macroéconomique, fiscale et douanière à destination des Etats francophones d'Afrique subsaharienne. Il a été décidé de renforcer la contribution de la France à ces deux structures sur 2020-2022, et d'identifier de nouveaux fonds susceptibles d'accroître les interventions financements destinés à la mobilisation des ressources intérieures en Afrique. Ce travail m'a été confié en parallèle de mes missions d'animation du groupe de travail, et a été mené en collaboration avec le bureau MULTIFIN 3, qui s'occupe de la surveillance des fonds multilatéraux. En menant des recherches sur les sites institutionnels du FMI et de la Banque mondiale, j'ai ainsi identifié quatre fonds et initiatives pertinents pour l'approche du Trésor en matière de mobilisation des ressources intérieures. J'ai proposé pour ceux-ci une contribution et un engagement de crédits à partir de 2020, en concertation avec ma collègue du bureau chargé des questions budgétaires du programme 110 : - Le Global Tax Program (GTP) de la Banque mondiale, qui est spécialisé dans l'accompagnement des réformes fiscales dans les pays fragiles. La Banque mondiale est l'institution internationale qui accorde le plus de financements à la mobilisation des ressources intérieures.4(*) Le GTP a été lancé en 2015, et se concentre sur les pays à faible capacité, notamment en Afrique subsaharienne. Doté d'un budget de 30 M $, le GTP était jusqu'ici très présent en Afrique de l'Est, où il soutenait la mise en place de réformes fiscales à moyen-terme au Kenya, en Tanzanie et au Burundi. Au cours d'échanges téléphoniques avec ma collègue du MEAE chargée des questions de fiscalité internationale, j'ai pu apprendre que les structures de gouvernance du GTP avaient exprimé le souhait de pouvoir investir plus fortement l'Afrique de l'Ouest. - Le Revenue Mobilisation Trust Fund (RMTF) du FMI, qui fournit une assistance technique sur-mesure dans le domaine des politiques fiscales et de la gestion des recettes publiques. La moitié de son portefeuille d'intervention est consacré à l'Afrique subsaharienne francophone, où les besoins sont particulièrement importants. Le fond intervient dans l'ensemble des pays du G5 Sahel, et mène plusieurs programmes d'harmonisations et de renforcement des capacités administratives d'envergure régionale qui concernent tous les pays de la zone franc. - Le Debt Management Facility Fund (DMF), un fonds de la Banque mondiale qui fait l'objet d'un partenariat avec le FMI depuis 2014. Cet instrument vise à aider les pays en développement à gérer efficacement leur dette publique et à orienter les dynamiques d'endettement vers des secteurs productifs qui servent le développement humain. Le DMF intervient aussi pour aider les pays en développement à structurer des marchés internes d'émissions de titres. La gestion de la dette et des marchés financiers, en ce qu'elle permet de mobiliser de l'épargne nationale, participe des initiatives de la mobilisation des ressources intérieures. En outre, les priorités du fonds sont alignés avec ce que le Trésor promeut dans le cadre de l'animation du Club de Paris sur la gestion de la dette. - Le DRM Innovation Fund, parrainé par la fondation Gates et le Ministère allemand de la coopération. Ce fond a vocation à financer des projets de court-terme en appliquant des technologies innovantes (blockchain, paiement par téléphone, géolocalisation des cadastres) aux enjeux de la mobilisation des ressources intérieures. Il s'agit d'une initiative orientée à 100% vers l'Afrique subsaharienne, avec un petit budget d'intervention (2,5 M $). Ce fonds a été lancé en juillet 2019 à l'occasion de la conférence annuelle de l'International Tax Compact, le forum mondial sur les questions de fiscalité et de développement. La raison qui a présidé à la sélection de cette entité est que la contribution de la France à ce fonds permettrait de financer des projets faisant appel aux nouvelles technologies, conformément aux orientations du PISD. Ces quatre fonds ont chacun fait l'objet d'une note pour mémoire à destination du chef de service, expliquant la gouvernance, les actions, leur budget et les zones d'interventions des fonds. Sur la base de ces fiches, Ces informations ont été utilisées pour compléter les fiches de répartition des crédits sur le programme 110 pour l'exercice budgétaire 2020 et intégrées dans le plan annuel de performance de la même année. En tant que chargé de mission sur la mobilisation des ressources intérieures, j'ai aussi été associé aux travaux préparatoires du G7 avec le bureau MULTIFIN 4. Cette thématique a constitué l'une des priorités du service dans l'élaboration du programme de travail du G7 tout au long de l'année 2019. J'ai travaillé sur ces sujets en tandem avec l'adjoint du bureau MULTFIN 4 en charge de la préparation du sommet et des relations avec la Banque mondiale. A cette occasion, j'ai participé à la préparation les notes de fond, éléments de contexte et de langage sur les enjeux de la mobilisation des ressources intérieures en Afrique et sur les crises et fragilités du Sahel. Celles-ci ont été diffusées au MEAE et aux administrations partenaires des membres du G7. J'ai également participé à plusieurs réunions au Trésor avec les représentants du centre de renforcement des capacités du FMI, dont les superviseurs des centres AFRITACs Ouest et Centre, auxquels la France contribue. Ces réunions avaient pour but de présenter, avant les annonces de la présidence française du G7, les activités des différents fonds au chef de service, et au FMI de demander un soutien supplémentaire de la France à certains de ses fonds. C'est sur cette base que le travail de recensement des initiatives sur la mobilisation des ressources intérieures m'a été confié. L'ensemble de ces travaux était essentiellement d'ordre administratif et technique, aussi la composante « géopolitique » de mon travail d'alternant n'a pas été première. Cependant, les travaux sur les orientations géographiques de la politique d'aide au développement, les notes de synthèse sur la mobilisation des ressources intérieures, le Sahel, et plus généralement, la politique de développement de la France, comportaient tous une partie de réflexion stratégique en lien avec les priorités économiques et géographiques de la France en Afrique subsaharienne. Des implications géopolitiques étaient ainsi présentes en toile de fond de la plupart de mes travaux, même si celles-ci n'ont pas été le coeur de mon travail d'analyse, davantage porté sur des éléments quantitatifs. Néanmoins, cette expérience d'apprenti m'aura permis de mesurer l'importance accordée par la hiérarchie du Trésor aux enjeux stratégiques de l'aide au développement et à la réorientation par le Trésor de l'action de l'AFD vers les pays prioritaires de la France sur le sujet de la mobilisation des ressources intérieures. Les plans d'investissement stratégiques ont vocation à être des outils de pilotage sur plusieurs secteurs clés de l'aide publique au développement. Le processus d'élaboration du premier plan sur la mobilisation des ressources auquel j'ai participé pourrait être répliqué sur d'autres thématiques, un plan sur la politique de coopération en matière d'éducation étant programmé pour un lancement en 2020. En définitive, cette expérience en alternance au sein du Trésor a été très positive. Elle m'a permis de développer des connaissances approfondies sur les enjeux et les instruments de la politique d'aide au développement de la France. Sur le plan opérationnel, j'ai été placé dans les attributions d'un adjoint avec un niveau de responsabilité élevé, ce qui m'a donné l'opportunité de rencontrer et d'animer des séances de travail avec des représentants des opérateurs de l'aide au développement, de participer à de réunions internationales de haut-niveau, que cela soit avec les représentants des centres régionaux du FMI, des ONG engagées pour le développement et le climat, ou les ministres des finances de la planète à l'occasion des événements annuels comme la tenue de la réunion du club de Paris. J'ai pu exercer des missions variées, de nature statistique, budgétaire ou stratégique, ce qui m'a donné un aperçu solide des différentes compétences professionnelles attendues par la Direction du Trésor.La charge de travail importante des agents du bureau de l'aide au développement au quotidienm' a aussi fait prendre conscience du niveau de rigueur et d'implication requis de la part des titulaires évoluant au sein du service des affaires multilatérales. PARTIE II : Existe - il une stratégie géopolitique de l'aide publique au développement de la France au Sahel ? * 4 https://www.worldbank.org/en/topic/governance/brief/domestic-resource-mobilization |
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