2.2. Maintien d'une dynamique vitale â travers les
musiques actuelles
D'autres éléments peuvent être
valorisés dans le rapport économique des structures musiques
actuelles à leur territoire rural. C'est ce que nous avons
abordés en filigrane dans la partie précédente,
c'est-à-dire la capacité des structures et de leurs projets
à développer de l'attractivité sur leur territoire et de
générer de manière plus ou moins directe, des
retombées économiques. La mobilité accrue des individus,
qui sont aussi plus enclins à se déplacer par attrait, pour une
proposition artistique spécifique, peut induire une découverte du
territoire, et participer à sa vie économique. De même,
l'implication des producteurs locaux et des artisans non issus de la
filière musicale dans certains projets, génère à la
fois des retombées économiques à l'échelle locale,
une valeur ajoutée au projet culturel et une inscription plus forte au
sein du territoire. Sans réduire l'intérêt du projet
à sa capacité de générer une économie locale
mesurable, une piste intéressante serait de s'interroger sur la
manière dont l'investissement publique peut se traduire en termes de
retombées sous formes de dépenses locales (pour un euro investi
par les politiques publiques, combien d'euros sont générés
localement).
La présence d'une offre musicale diversifiée,
dans un cadre atypique, qui jouerait justement sur son caractère «
marginal » et décalé, peut participer à la
définition d'une identité culturelle locale singulière et
attractive. Aussi, à l'heure de « l'hypermobilité » et
de la « multi-appartenance territoriale », l'enjeu s'il est d'abord
économique, est aussi sociale et
103
démographique. Si pour certains l'arrivée
à la campagne n'est pas synonyme de choix, d'autres l'on investit pour y
concilier harmonieusement vie professionnelle et vie personnelle. L'implication
de certains « néo-ruraux » en matière de projet et de
développement d'une offre culturelle témoigne d'un enthousiasme
certain pour investir leur territoire, et de répondre, in situ, à
leur envies et besoins. Le complexe du territoire dénué de toute
attractivité, peut se renverser au profit de propositions qui placent
les populations dans un comportement d'acteurs plus que de consommateurs. Et
même si chaque territoire rural revêt de caractéristiques
propres en termes de flux migratoires, d'appréhension de ces
évolutions, de dynamismes de développement et d'ouverture aux
nouveaux arrivants, l'enjeu actuel du monde rural est le maintien, voir le
développement, des services répondant aux besoins des populations
déjà installées ou arrivantes. Comme en témoigne
Philippe Berthelot, la présence d'un équipement ou d'une
structure dédiée aux pratiques, à la diffusion ou à
la répétition peut être déterminante dans
l'installation de néo-ruraux et leur désir d'y rester. Ceci
constitue donc un véritable enjeu de développement des
territoires ruraux pour permettre le maintien du peuplement du territoire, dans
le souci de préserver une dynamique vitale.
Si on peut parler d'attentes affirmées en termes de
propositions et de pratiques culturelles de la part des urbains nouvellement
installés, il ne faut pas occulter celles des populations
déjà résidentes, et l'intérêt du
développement culturel dans les espaces en déficit
d'équipements et de services dédiées à la culture.
L'enjeu pour la collectivité n'est pas seulement d'être
attractive, en proposant une programmation culturelle et musicale
alléchante, mais il s'agit également de tisser et solidifier les
liens entre la population et leur territoire. Un enjeu d'autant plus important
en milieu rural que celui-ci doit s'adapter à une métropolisation
progressive et des territoires aux densités morcelées, ainsi
qu'à une tendance à l'entre-soi et à un repli sur l'espace
domestique139. Aussi, il ne s'agit pas pour les politiques publiques
de réduire le besoin des populations à une demande de
consommation culturelle, mais de considérer son intervention dans le
respect de leurs droits culturels, en s'attachant concrètement aux
préoccupations culturelles des populations. En effet, le droit de
participer à la vie culturelle, ne peut exclure ni faire de distinction
entre groupe, il s'agit de reconnaître la liberté et la
dignité des cultures de chacun, en s'attachant au développement
humain.
139 Sibertin-Blanc Mariette, « La culture dans l'action
publique des petites villes. Un révélateur des politiques
urbaines et recompositions territoriales », Géocarrefour,
n°83, 2008
104
De fait, il s'agit de réussir à s'inscrire dans
une problématique plus large que celle des musiques actuelles, celle du
politique au sens large, celle du vivre ensemble, de l'intérêt
général.
3.2. La co-construction, une solution d'avenir ?
Les mutations administratives du territoire actuellement en
cours, risquent d'accentuer la fragilité des structures
implantées sur le Gâtinais, un territoire relativement attractif.
Il devient indispensable de garantir une politique d'ensemble cohérente
et généralisée. Il s'agirait s'instaurer une vraie
volonté de co-construire, d'impliquer et de sensibiliser chaque
partenaire institutionnel et les collectivités territoriales, les
acteurs culturels, éducatifs et sociaux du territoire, ainsi que chaque
partenaires relevant des acteurs et organisations professionnelles du secteur,
dans le souci d'instaurer de véritables politiques partenariales et de
donner les moyens de garantir l'équité territoriale.
L'élaboration de conventions d'objectifs et de moyens,
pluripartites et pluriannuelles constituerait un acte fort de participation et
d'engagement collectif, tout en reconnaissant les missions des acteurs
culturels. Proche d'un pacte de confiance, cet outil ne devrait cependant pas
se limiter à un instrument uniquement technique qui administrerait les
relations entre les acteurs culturels et leurs partenaires. Il ne s'agit pas
simplement de valider un projet associatif qui croiserait les politiques
publiques en place, mais d'une implication réelle et partagée
dans les enjeux culturels qui viendraient nourrir des intentions politiques. La
posture de validation à posteriori des collectivités doit ainsi
être renversée pour donner lieu à une réelle
démarche de co-construction. Cela suppose également la
définition d'un partenaire représentatif sur le territoire, un
« chef de file » en milieu rural qui donnerait l'impulsion à
ce type de démarche, ce qui dans le contexte du Gâtinais peut
représenter un frein. En effet, notre analyse a permis notamment
d'établir que malgré les liens générés entre
structures, les dynamiques créées ou renforcées, il
n'existe pas de véritable mouvement fédérateur.
Au niveau des collectivités, l'échelon le plus
proche de notre territoire serait l'intercommunalité, qui
représente un enjeu d'avenir dans la définition de projets
co-construits, seulement la redéfinition en cours de leurs limites et de
leurs politiques sur le Gâtinais représente davantage une
faiblesse pour mener à bien ce type de démarche. Outre le fait
que les compétences culturelles ne font pas partie de leurs
compétences obligatoires, mais relève d'une responsabilité
encore mal définie, la maturité politique d'un
développement culturel territorial à l'échelle de
l'intercommunalité ne semble pas atteinte. Les élus sont
également en proie à des
105
stratégies individuelles, plus enclins à
défendre leurs réseaux et leur territoire individuel,
l'identité et la proximité singulière de l'élu
étant moins valorisées en termes de retour d'image à
travers l'intercommunalité.
Dans ce contexte d'incertitudes, il apparaît que le
département serait certainement en mesure d'être un interlocuteur
privilégié des territoires ruraux. À l'instar des
Scènes Rurales dont il est l'initiateur, il serait possible d'envisager
un tel dispositif de coopération entre les projets musiques actuelles,
les communes et les lieux en place, dans une dynamique permanente et soutenue.
On peut toutefois déplorer le manque de politiques culturelles
clairement établies par cette collectivité qui semble avoir des
difficultés à véritablement incarner une identité
singulière.
En somme, il s'agit de mettre en place une véritable
démocratie participative. La définition des politiques
culturelles ne revenant plus seulement aux mains des élus et conseillers
municipaux, mais à toutes les parties impliquées, en milieu
rural, plus qu'ailleurs. Il en va selon Philippe Berthelot d'une «
éthique démocratique plus participative » sous l'angle de
l'intérêt général, de la cohésion sociale et
du vivre-ensemble.
Les Concertations Territoriales pour le développement
des musiques actuelles initiées dès 2004 par la constitution du
Conseil National des Musiques Actuelles donnant lieu à un
texte140 en 2006 cosigné par les participants (État,
collectivités territoriales et professionnels) a pour objectif « de
définir les cadres des politiques territoriales, de façon
concertée » entre l'État, les collectivités
territoriales et les acteurs professionnelles (de terrain), à l'aide
notamment des SOLIMA, les Schémas d'Orientation pour les Lieux de
Musiques Actuelles. Une trentaine d'initiatives de ce type ont
été lancées au niveau national. Bien que ponctuelles et
éparses ces concertations ont toutefois permis de faire évoluer
certains regards et postures portés sur les projets musiques actuelles.
Il faudrait bien sûr rendre ce processus de concertation permanant et
engager une vraie dynamique sur la durée.
Face à une organisation politique des
centralités (qui se retrouve dans la loi Notre), il convient d'initier
fortement une démocratie locale, non plus consultative, mais vraiment
citoyenne. Toutefois, les concertations supposent un travail de réseau,
des capacités d'animation, de savoir faire : mobiliser les populations,
les rencontrer, parler, écouter, s'intéresser, sortir de son
schéma de fonctionnement et aller aux devants. En effet, la
ruralité oblige à l'imagination, à sortir des
modèles tout faits. Et cela passe en partie par une lecture
140 Conseil Supérieur des Musiques Actuelles «
Pour des politiques publiques nationales et territoriales en faveur des
musiques actuelles », 2006
106
attentive du territoire, et notamment de son histoire. Faire
place au jeu de solidarité est essentiel, il s'impose même en
milieu rural. Espace de tradition, de « débrouillardise »,
dans lequel il faut savoir s'adapter, « se serrer les coudes ».
D'où, encore une fois, l'importance des allers-retours, et de la
porosité des projets. Les choses seraient bien plus complexes à
établir sans.
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