Conclusion
Au terme de cette étude, il convient de souligner la
place encore marginale et fragile occupée par les musiques actuelles
dans le Gâtinais ainsi que la difficulté de développer un
véritable projet musiques actuelles qui répondrait globalement
aux attentes des populations et des formations musicales, amateurs ou
professionnelles. Dans un territoire qui totalise des centaines de groupes et
d'artistes, la situation est encore insatisfaisante pour prétendre
à une équité territoriale et surtout à des
conditions d'accès aux équipements adaptés et similaires
sur l'ensemble du département. Toutefois les éléments
abordés nous permettent sans ambigüité de conclure à
l'existence d'interactions importantes, d'un maillage d'acteurs en
perpétuel évolution entrant souvent en résistance face
à cette situation inégalitaire. L'investissement de nouveaux
arrivants, majoritairement néo-ruraux et de jeunes locaux aux
côtés d'acteurs plus historiques témoigne de cette envie de
faire et d'agir au sein d'un espace « des possibles », porteur
d'initiatives aux modes d'intervention innovants cherchant à s'adapter
à ses différentes configurations spatiales, au plus près
des populations. Les initiatives analysées dans cette étude
tendent à inverser le rapport de « l'offre » des
collectivités territoriales pour se placer sur la notion de «
réponse » qui doit intégrer la logique de l'autre. La
diversification des activités, des propositions artistiques et
l'élargissement à d'autres disciplines et secteurs apparaissent
comme une évolution indispensable. En effet, de façon
progressive, au fil de leur ancrage, les projets évoluent vers un
développement de leurs fonctions, sans que ce processus soit
forcément formalisé à l'origine des initiatives.
Pour les acteurs les plus anciens du territoire, leur
développement a été synonyme de prise en compte graduelle
des attentes non satisfaites et des besoins émergents, à mesures
des évolutions démographiques et des mutations territoriales.
Face au manque et à l'isolement, les structures deviennent ressources
pour leur territoire et participent à une multitude de mécanismes
de développement territoriaux en lien fort avec leur environnement
local. On peut en outre conclure à l'existence de points communs
importants entre les motivations des structures, notamment en termes
d'engagement et de volonté de faire exister une offre qui ne soit pas
seulement entrevue comme un bien de consommation. Si les structures sont dans
l'ensemble ouvertes à tous, et apparaissent comme des espaces
d'expérimentation de chacun par chacun, qui s'inscrivent nettement dans
une démarche d'éducation populaire dans leurs discours et actions
dans le domaine de l'accompagnement des pratiques musicales et artistiques, il
importe de dépasser le discours et l'évidence supposée, et
de développer une réelle réflexion
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quant à leur rôle politique, en mettant en
exergue les notions de citoyenneté et de démocratie
participative.
Il convient par ailleurs de souligner les effets des logiques
et intérêts individuels rencontrées entre acteurs, qui
malgré un tissage relativement dynamique, montrent des tendances
à l'autonomisation. Le manque de véritable synergie entre acteurs
du même territoire, volontaire ou involontaire, complexifie
l'appréhension d'un éventuel schéma global de
développement en faveur des musiques actuelles. L'on peut souligner les
difficultés d'implication des réseaux et
fédérations, hormis dans le cadre de demandes de soutien
spécifique, pour favoriser et valoriser cette partie de la scène
locale seine-et-marnaise, qui ne peut profiter des mêmes conditions de
développement que sur la frange ouest du département. Il en est
de même pour les institutions publiques, qui appréhendent les
musiques actuelles sous l'angle de l'animation ou celui de la
démocratisation de la culture mais qui n'ont, semble-t-il, pas pris
conscience du potentiel de ces structures en termes d'utilité sociale.
Cette approche peut être objectée par certains acteurs, comme par
exemple Jean-Michel Lucas, pour qui « une association de musiques
amplifiées n'a pas â se donner comme mission de régler les
problèmes des quartiers en difficultés, ou de faire
évoluer le système éducatif, ou de rendre les habitants
plus citoyens... »141. Or, sans négliger
l'importance de l'artistique et du développement des pratiques, comme
cela est souvent fait par les pouvoirs publics qui instrumentalisent les
musiques actuelles comme étant un moyen et non une fin par
mécompréhension ou simplement par manque de volonté, il
s'agit de participer à une réflexion des lieux sur leur projet,
étant donné que tous ou presque se place dans cette perspective,
notamment dans le cadre de leurs demandes de subventions142.
À ce titre, il est apparu que la majorité des
projets musiques actuelles étudiés se caractérisent
d'abord par une entrée historiquement artistique, au sens d'une
activité exclusivement dédiée à la diffusion
musicale ou à une esthétique particulière ; puis ont
évolué vers une entrée culturelle, dans la perspective
d'un équilibrage des besoins des populations en termes de diffusion et
d'accompagnement des pratiques ; pour récemment investir une
entrée « territoriale », à travers l'accompagnement
local des projets associatifs ou individuels du
141 Dans Les Rencontres du Grand Zebrock. Une nouvelle
ambition pour les musiques amplifiées/actuelles en Île-de-France,
actes des Rencontres des 6 et 7 novembre 1998, Chroma, 1999, p. 26
142 A ce sujet, Franck Lepage évoque « le
catéchisme des demandes de subventions : partenariat,
développement local, lien social, citoyenneté, etc. »
(in Le Travail de la culture dans la transformation sociale : une
offre publique de réflexion du ministère de la jeunesse et des
sports sur l'avenir de l'éducation populaire, La Documentation
Française, 2001, p. 103)
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territoire avec des outils adaptés. Cette
dernière entrée au sein des projets en milieu rural revêt
une dimension forte d'utilité sociale, comme c'est le cas pour certains
lieux en quartiers périphériques, en banlieues fermées,
dont les problématiques se rapprochent.
Dans cette perspective, il s'agit de trouver des voies de
coopération entre les structures et les collectivités locales,
dans un équilibre entre une formalisation excessive, risquant
l'uniformisation, et une nébuleuse autour des projets et des valeurs. Si
l'on considère plus largement ce domaine artistique, les musiques
actuelles, souvent qualifiées d'urbaines, dépassent de
très loin le cadre urbain. Elles épousent les évolutions
de la société et c'est pour cette raison qu'elles doivent faire
l'objet d'une prise en compte attentive par les politiques publiques.
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