2.3. Bénévolat et implication des populations
locales
Un autre aspect partagé par les projets musiques
actuelles sur le territoire est le développement associatif vécu
comme mode d'implication de la population. En effet, ces projets, de par leur
dimension associative, permettent également à la population
locale de s'impliquer dans une dynamique et un processus collectif. De fait, il
participe à dépasser le comportement de consommateur culturel.
Dès lors, les projets revêtent la fonction d'espaces d'implication
ouverts et permettent aux personnes de s'investir, de s'intégrer sur un
territoire, de proposer, de partager, voire même de se réaliser
notamment par une implication bénévole au sein des projets.
Expérience gratifiante et citoyenne, le bénévolat est
aussi indispensable aux structures, il est partie prenante de leur projet, et
notamment en milieu rural. Si les compétences des
bénévoles ne sont pas spécifiques au domaine culturel et
musical, c'est aussi ce qui en fait leur force, n'étant pas en prise
à des conceptions formalisées d'une certaine manière de
faire et d'agir. Aurélien Boutet entrevoit d'ailleurs cette
liberté d'agir comme essentielle au projet : « c'est des
bénévoles qui interviennent, donc ça pour moi c'est la
force du milieu rural et c'est aussi une force de pas être
professionnalisé c'est-à- dire que les bénévoles
gardent la main sur le projet associatif et ça pour moi c'est
fondamental. » La capacité d'un projet à inclure des
populations investies est aussi une façon d'ancrer localement un projet,
qui ne se revendique plus comme la création d'une poignée
d'initiateurs, mais comme un projet fédérateur, appartenant
à tous. Dans la plupart des discours des acteurs de projets, le nombre
de bénévoles impliqués est d'ailleurs largement
souligné et justifie pour eux l'intérêt de leurs
initiatives. Les projets représentent des espaces d'investissement et de
construction personnelle qui dépassent alors la simple dimension
affinitaire, en s'ouvrant à des milieux et des personnes qui ne se
seraient pas rencontrés autrement et qui n'y seraient pas
obligatoirement venues parce qu'elles y connaissent un pair. Néanmoins,
cette donnée repose sur la capacité des structures à
assurer
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une vie démocratique renouvelée afin de
s'assurer d'une certaine diversité et éviter ni rejet, ni
exclusion. C'est par conséquent une donne qui influe directement sur le
portage et la transmission des projets associatifs et l'envie, de certains
individus, de poursuivre voir de créer eux-mêmes leur propre
projet.
L'implication même d'organisateurs nouvellement
installés sur le territoire, peut favoriser une modification des points
de vue et d'appréciation de leur propre statut de «
néo-ruraux ». L'exemple des Gâtifolies, illustre bien cette
évolution des représentations, souvent peu gratifiantes à
l'égard des « guignols » parisiens, qui ont cependant
réussi à « prouver » qu'ils avaient leur place :
« la difficulté aussi c'était les portes fermées,
voilâ on arrive et on est les parisiens, alors qu'on vient vivre ici, on
vient s'intégrer dans le tissu social, des vrais néo-ruraux et
non intégrés. (...) Il faut une dizaine d'années
normalement, sauf que le festival en un an nous a permis de gagner cinq ans,
c'est-à-dire que lâ tout c'est ouvert voilâ, une implication
et puis genre ouais ils sont sérieux ceux-lâ, c'est on te juge,
t'arrives t'es un guignol et puis ben tu fais beaucoup, enfin d'un certaine
manière pour la commune et puis lâ t'es plus un guignol,
voilâ les paysans nous l'on dit, ils nous ont vu bosser lâ pendant
un an ; tout ça pour deux jours genre ah oui y'a aussi des
métiers où on fait pas semblant, c'est pas rapport â
l'argent et tout, c'était par rapport au travail â cette valeur du
travail, ah ouais c'est des bosseurs c'est pas que des saltimbanques...
lâ on a fait monter le baromètre très haut sur l'estime du
monde artistique, des artistes. » Si la nature et
l'intérêt des activités ne sont pas toujours compris par
les habitants locaux, c'est en générant la rencontre et le
dialogue ainsi qu'en rendant tangibles leurs efforts pour monter un projet que
progressivement les mentalités ont évolué. La
problématique de lisibilité et d'appréciation du processus
d'évolution ne se pose pas dans les mêmes termes que l'on soit
face à des habitants ou face à des élus locaux. Notons que
l'association Champ Libre a également beaucoup insisté sur
l'implication locale, en organisant en amont du festival plusieurs temps de
rencontre et de présentation du projet aux habitants. Ainsi, la force de
l'assise populaire, de la légitimation des projets par le regard et
l'acceptation des populations elles-mêmes est une donnée
essentielle pourtant rarement prise en compte par les pouvoirs publics.
De plus, les projets sont parfois amenés à
remplir la fonction d'insertion professionnelle et sociale en accueillant des
personnes en formation, en découverte d'activité professionnelle,
voir en réinsertion. Pour l'association Musiqafon, l'essentiel des
jeunes pris en formation technique ou administratif, plus globalement en
formation aux métiers du spectacle, a participé en tant que
spectateurs ou praticiens amateurs aux évènements
organisés. La proximité effective du
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Musibus à leur lieu de vie ou parfois d'étude, a
certainement stimulé des choix d'orientation qui n'auraient probablement
pas existés sans ce type d'initiatives, tout comme l'envie de
s'impliquer dans la vie culturelle de leur territoire138. Ils
permettent également à d'autres jeunes de trouver un emploi dans
le secteur de l'animation ou du spectacle en étant les seuls structures
dédiées à pouvoir les accueillir sur leur territoire.
C'est le cas par exemple de la Tête des Trains, qui emploi et accompagne
depuis 2014 un jeune aux multiples fonctions dans le structure, devenu
indispensable à la gestion quotidienne du lieu. Il s'agit
également de lui donner les conditions de sa pleine réalisation
professionnelle, en lui permettant de continuer en parallèle ses
études en management des associations, et en lui donnant les
possibilités d'être force de propositions et
d'expérimentations (il est d'ailleurs à l'initiative de la
Marmite des Rencontres) et d'être au coeur des problématiques du
secteur (en étant un porte parole et un acteur à part
entière au sein du réseau Pince Oreilles). Bien qu'il ne s'agisse
que d'une poignée de jeunes accompagnés sur le territoire, il
n`en demeure pas moins que les structures représentent des supports
essentiels pour les accompagner dans leur avenir professionnel.
La revendication de l'utilité sociale des lieux et
structures de musiques actuelles en milieu rural résulte de la fonction
de palliatif au service public, les acteurs culturels développant des
réponses que l'école par exemple, ou la collectivité ne
proposent plus. La transmission, la découverte, le partage et la
rencontre sont autant d'éléments essentiels pour l'investissement
des populations, jeunes et moins jeunes, dans un projet dont ils peuvent
pleinement se saisir. L'accompagnement des bénévoles ont
indéniablement fait évoluer les projets vers d'autres publics et
ouvert des perspectives personnelles et professionnelles pour une partie
d'entre eux. Notons que l'apport en réciprocité qu'est le
bénévolat n'est encore que très rarement
évalué et valorisé dans l'économie des projets,
alors qu'il représente un appui majeur au bon fonctionnement des
structures. Ces constats constituent un enjeu capital dans la transmission et
l'inscription des projets dans leur environnement, en touchant directement le
vécu des personnes et des collectifs, et nécessitent, de fait, un
partage de ces enjeux d'évolution et de construction. Les structures
sont ainsi confrontées à un stade de développement
où leur positionnement peut s'axer davantage sur une implication en tant
qu'acteur de développement du territoire en partenariat avec les autres
composantes déjà en place. Dès lors, il convient, à
la
138 Dans son projet territorial de 2009, l'association
constatait d'ailleurs l'attrait pour la jeunesse locale en terme
d'investissement aux projets indiquant une évolution palpable : «
Si l'on a souvent pu entendre souligner le manque d'investissement des
jeunes il y a quelques années, il n'en est plus rien aujourd'hui. Les
jeunes de l'arrondissement de Fontainebleau sont très nombreux à
souhaiter s'impliquer dans l'organisation d'événements
artistiques et l'on se doit de les accompagner. »
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vue des caractéristiques de ses projets musiques
actuelles en milieu rural, de déterminer les principaux enjeux qui en
découlent.
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