2.2. Les notions de convivialité et de
fête.
Si l'interdisciplinarité peut représenter une
spécificité des projets en milieu rural, il apparaît que
les notions de convivialité, de fête, de liens et de rencontres
facilitées entre les personnes soient aussi clairement
revendiquées. Souvent à l'origine d'une bande d'amis
désireux de proposer une animation musicale près de chez eux, la
création d'un projet musiques actuelles est souvent motivée par
le désir de proposer un temps de rencontre et de partage dans une
ambiance festive. Organiser un concert ne constitue pas seulement une offre de
diffusion artistique, elle est bien souvent associée à la
dimension de convivialité, de plaisir et de divertissement. C'est
l'occasion de se retrouver dans un contexte qui échappe au cadre
quotidien et à la vie ordinaire, souvent monotone. La fête se
distingue de cette monotonie et suggère un temps à part,
précieux, détaché des contraintes habituelles. La nature
libératrice de la fête s'exprime bien souvent sous la forme d'un
défoulement à la fois physique et morale, permettant de
décharger l'accumulation des tensions et des difficultés
quotidiennes. La fête s'inscrit dans un temps et un espace qui lui est
propre.
Il s'agit également de rompre l'isolement, de se
retrouver entre pairs pour partager une expérience commune dans un cadre
consacré. Les notions de fête et de convivialité peuvent
apparaître comme des éléments fédérateurs
notamment pour les personnes impliquées dans les structures musiques
actuelles. L'équipe, les bénévoles, les artistes sont
particulièrement animés par ce temps festif qu'ils peuvent aussi
considérer comme une satisfaction, comme la résultante d'un
travail bien accompli. Si les gens s'amusent, c'est que le pari est
gagné. Un regard partagé par Pierre Beltante pour qui les
concerts sont aussi des temps de rassemblement, de partage entre tous les
âges : « Les musiciens sont contents quoi. Donc ça
apporte une satisfaction. Bon en plus, c'est quand même un public
intergénérationnel, dans ce public. Ils viennent des fois en
famille. Alors l'exemple type, c'est quand tu fais un truc du genre
soirée Beatles ou soirée Shadows, là t'as des
grand-pères, leurs fils et petit-fils. Là c'est une sortie, ils y
vont en famille ».
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À l'image des fêtes de village, les concerts sont
aussi l'occasion de se réunir, en famille ou entre amis, de partager et
de vivre ensemble une même pratique, sans considération
d'âge.
Si les objectifs du projet artistique initial sont
respectés, la réussite d'un évènement offre un
contentement personnel et collectif particulièrement fort. Devant la
satisfaction visible des participants et la manière dont ceux-ci
s'emparent de l'espace, Christine Amara témoigne de son
étonnement : « Moi je dirai pas : tiens on va â
l'opéra, prends ton ballon de foot...Là on n'était pas
â l'opéra mais les gens pour eux le festival reste peut-être
pas mal... c'était la fête (...) euh moi j'aurais
préféré qu'ils viennent avec les parents, avec les
paniers, les pique-niques et tout ça, ça me dérangeait pas
du tout, tu vois dans l'état d'esprit, j'ai été surprise
surtout voilâ... ». Il est intéressant de constater que
Christine Amara récuse, d'une certaine manière, le comportement
de ces festivaliers, peu respectueux des codes de conduite qu'elle
considère, de par ses propres dispositions culturelles, plus
adaptés. Les festivaliers investissent le site comme un espace de
liberté, comme un espace de divertissement. Un comportement qui aurait
probablement été tout autre au sein d'une scène nationale.
Mais ici, il n'y pas de barrière, pas d'association à l'image
institutionnelle et classique de la culture, pas de hiérarchie, ni de
formatage des comportements au sein d'un festival pourtant porteur d'une offre
culturelle revendiquée « de qualité ».
Au-delà du caractère festif, et de son
émanation chez les festivaliers, l'organisatrice des Gâtifolies
souligne également avec satisfaction l'expérience inédite
d'un habitant peu familier d'un tel évènement : « Je
crois que nous on a gagné parce que, parce que Germain par exemple
l'ouvrier agricole qui a 74 ans qui est jamais sorti de son village est venu
avec sa femme, sur un spectacle il est partit trop tôt parce qu'il
s'embêtait, il comprenait pas et puis après ça explosait,
c'était génial et le lendemain tous ses copains voilâ lui
ont dit « mais pourquoi t'es parti, mais t'es con » et tout donc en
fait, le lendemain, le surlendemain, il est resté tout le temps et je
l'ai vu rire. ». D'un côté, il apparaît que
l'organisatrice est pleinement satisfaite d'avoir permis une rencontre entre
une proposition culturelle et cet homme qui semblait initialement peu
habitué à cette offre, et de l'autre, on ressent l'influence des
pairs sur le comportement de cet homme, alors plus réceptif et plus
proche de l'offre. La proximité de l'évènement et son
appropriation par une certaine catégorie de public, peu ou prou
coutumier à ce type de manifestation culturelle participe, d'une
certaine manière, à rompre l'isolement de certains individus,
à permettre une expérience nouvelle, vécue intimement et
collectivement.
Dès lors, la culture apparaît comme un vecteur de
lien social et d'enrichissement personnel fort, impactant directement sur le
comportement des individus. La notion de fête influe sur la
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façon de construire les propositions artistiques faites
à la population, afin qu'elle puisse partager un moment festif global,
qui inclue le concert, mais où elle se retrouve également
associée à une ambiance conviviale et collective, au-delà
du moment de diffusion, favorisant ainsi la création d'un vécu et
d'une identité commune, facteurs de développement des liens
sociaux. On peut ainsi parler d'un véritable espace et d'un moment de
socialisation important. L'ambiance conviviale et festive participe
également à une appréhension plus évidente des
propositions culturelles, l'environnement social et surtout amical favorisant
une approche plus décomplexée de l'offre culturelle.
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