1.2. Maîtrise de l'environnement rural par
l'itinérance. L'exemple du Musibus.
La pratique ancienne de l'itinérance en milieu rural,
illustrée par les Bibliobus, les troupes théâtrales
itinérantes - l'art des tréteaux - et les circuits de
cinémas, est toujours vivace.
Elle traduit une prise en compte historique des besoins et
attentes des populations rurales en matière de culture, dans le souci de
combler les inégalités de service, la faiblesse des
équipements, les difficultés de mobilités, les contraintes
de l'éloignement et l'isolement de certaines populations.
L'itinérance favorise également une approche différente du
rapport entre l'individu et la culture, les acteurs culturels passeraient en
effet d'une démarche passive d'accueil dans les équipements
culturels dédiés, à une démarche active de
rencontre avec les habitants.
À l'initiative de l'association départementale
Act'Art, les Scènes Rurales parcourent depuis plus de vingt ans les
territoires ruraux de Seine-et-Marne. Elles portent chaque année une
programmation théâtrale, composée de spectacles de
compagnies professionnelles non issues du département, dans près
d'une cinquantaine de communes. Un projet d'envergure qui mobilise une
équipe permanente, et collabore avec une centaine d'acteurs sur le
territoire. Si cette pratique s'inscrit dans une volonté de
démocratisation culturelle - et de décentralisation - et vise
à favoriser l'expérience culturelle auprès des populations
rurales, l'exemple du Musibus s'attache, au contraire, à valoriser
l'expression des pratiques amateurs locales.
Créée en 2010 par Musiqafon, le Musibus est le
projet phare de l'association, il résulte de plus dix ans
d'expérience de terrain déjà motivées par une forte
volonté de proposer un projet itinérant. Cela se traduisait
à l'époque par l'organisation de concerts dans une dizaine de
communes toute l'année, celles-ci mettaient à disposition un
local ou une salle des fêtes pour l'association, qui se chargeait
généralement de l'équiper et de la sonoriser avec le
matériel nécessaire. En termes logistique, cela
représentait une charge particulièrement conséquente pour
l'association qui devait faire face au manque de matériels
adaptés pour la diffusion de concert. De plus, ne pouvant
répondre aux demandes croissantes des formations musicales,
88
l'association a choisi de concrétiser
matériellement son projet itinérant à travers la
création d'une scène mobile, le Musibus. Nous l'avons vu en
première partie de cette étude, il s'agit d'un van
entièrement sonorisé et équipé en matériels
professionnels, toujours encadrés par un technicien. Les avantages du
projet sont nombreux : il peut s'installer sur tous types de terrains,
être rapidement mis en place et désinstallé ; une fois sa
scène entièrement déployée, il peut recevoir
jusqu'à sept musiciens (avec batterie, amplificateurs et retours).
Depuis sa mise en circulation, le Musibus reçoit chaque année
plus d'une soixantaine de formations et s'est implanté dans une
cinquantaine de communes sud seine-et-marnaises. De plus en plus
sollicité par les communes, le Musibus se revendique être un
projet « clé en main » pour les collectivités, mais
également pour les structures de santé et les
établissements scolaires, s'implantant régulièrement dans
les écoles (et participe à la diffusion des spectacles des
élèves), les collèges et lycées, et donne la
possibilité aux élèves de se produire sur scène
avec leurs groupes, bien souvent pour la première fois.
Aussi, il constitue aujourd'hui un outil indispensable
à la diffusion musicale sur le Gâtinais, ouvert à tous les
niveaux de formations musicales. Bien qu'il réussisse à
dépasser les contraintes géographiques, il ne peut toutefois
répondre à un projet global de développement des musiques
actuelles. En effet, il propose essentiellement la diffusion d'artistes locaux,
et ponctuellement des répétitions encadrées, mais ne peut
prétendre à un projet complet, basé sur le triptyque
formation-création-diffusion. Pour Aurélien Boutet, le Musibus
est « une initiative nécessaire mais non suffisante au sens
où elle ne règle pas la question des pratiques amateurs par
exemple, et peut, si on n'y prend pas garde, renforcer une vision utilitariste
et occupationnelle des élus qui prendront le bus K clé en main
» quelques fois dans l'année pour montrer qu'ils font des choses
pour les jeunes mais sans s'attaquer aux problèmes de fond
»137.
Si le Musibus peut permettre de répondre partiellement
aux besoins des formations musicales, en s'axant sur leur diffusion, il reste
encore un déficit en matière d'accompagnement
(répétition, enregistrement, enseignement, info-ressource). De
plus, la question de son instrumentalisation politique n'est pas à
négliger. En effet, bien que pensé pour être directement
mobilisé par les collectivités, le risque est que le projet soit
assimilé à un simple outil d'animation municipale et que soient
éclipsées les problématiques et enjeux liées au
développement des pratiques amateurs sur le territoire. Toutefois, il
faut préciser que
137 Extrait du dossier du Transistor n°30, «
Musiques Actuelles et milieu rural, l'exemple du sud de la Seine-et-Marne
», de 2010.
89
l'association reste ambitieuse et désireuse de
répondre de manière cohérente à ces
problématiques, via notamment la création d'un nouveau projet
itinérant : l'Underground Café. Mis en circulation en 2016, il
s'agit également d'un bus (anglais), entièrement
réaménagé en tant que centre socioculturel
itinérant, l'association y a notamment installé une
vynilothèque, alimentée directement par les habitants, et pouvant
recevoir un groupe dans le cadre de répétitions ou
d'enregistrement de maquette. Un projet qui suit les traces du Musibus, et qui
ouvre encore le champ des possibles sur le territoire.
Ainsi, l'itinérance est une des réponses les
plus appropriées au territoire rural du Gâtinais et constitue une
des caractéristiques du développement des musiques actuelles sur
ce territoire. Il convient désormais d'entrevoir une autre
particularité de l'offre musicale en milieu rural : les festivals.
|