PARTIE III
Stratégies d'adaptation et caractéristiques
des projets musiques actuelles dans le Gâtinais.
Enjeux et perspectives de développement des musiques
actuelles en
milieu rural.
I. Le Gâtinais, un terreau fertile aux initiatives,
à la marge.
85
1.1. L'initiative privée, répondre aux
besoins.
L'état des lieux proposé en première
partie de cette étude a permis de rendre compte de
caractéristiques communes. En effet, dès lors que l'on
s'écarte de l'intégration des musiques actuelles aux projets
culturels des MJC, il apparaît que l'essentiel des projets émane
d'une initiative privée et émerge soit de la logique d'un
individu, soit d'un projet collectif porté par une association. Il ne
s'agit pas d'une spécificité propre au milieu rural, les
initiatives privées étant tout autant relatives au milieu urbain.
Toutefois, l'intérêt de rendre compte de cette
caractéristique, est que ces initiatives sont généralement
le fruit d'un constat partagé : la faiblesse de l'offre, le manque
d'activités et d'équipements dédiés sur le
territoire rural. À la frontière de l'intérêt
général et de l'aventure entre amis, les projets tendent tous
à répondre à des besoins communs.
La création de projets en milieu rural suppose qu'elle
soit entrevue comme un espace des possibles, comme un territoire qui serait
synonyme de ressources, ce dont témoigne Aurélien Boutet :
« En milieu rural l'avantage c'est que t'as pas de contraintes, je
dirais que quelque part tout est possible, d'ailleurs c'est un peu la raison de
la dynamique des assos en milieu rural, c'est-â-dire que y'a rien enfin
y'a pas grand-chose donc quelque part les gens, soit ils se bougent, soit il se
passe rien et c'est pour ça qu'à mon avis, ça fait
soixante ans que les foyers ruraux existent parce que ça répond
â un vrai besoin. ». Les territoires ruraux seraient donc aussi
des espaces propices à l'innovation, à la création, aux
expérimentations en marge des cadres institutionnels, dans un rapport
différent à l'espace, aux populations, aux collectivités.
Ils permettent des initiatives qui auraient sans doute eu plus de
difficultés à voir le jour en ville.
L'absence d'équipement peut être compensée
par l'attirance de lieux a priori non dédiés à la
diffusion musicale et culturelle. La réhabilitation de l'ancien
café-épicerie du village de Tousson en salle de concert en est
une parfaire illustration. La mise à disposition du bâti
privé est d'ailleurs l'une des singularités des lieux de musiques
actuelles en milieu rural, comme le confirme l'étude de la FEDELIMP. Cet
espace atypique, et même « décalé », s'inscrit
inévitablement à la marge des lieux plus ou moins conçus
pour accueillir des animations, telles les salles des fêtes, les salles
communales, et les constructions municipales locales.
86
On retrouve également ce type de réhabilitation
avec l'exemple du Festival Lagrange, qui se déroule sur le terrain
agricole familiale. Qu'il s'agisse de la (fameuse) grange ou du hangar
accueillant généralement les engins agricoles, chaque espace est
réinventé, réadapté et repensé pour les
besoins de l'évènement et pour l'accueil le public. Pendant
plusieurs années, les groupes défilaient d'ailleurs sur le
châssis d'une semi-remorque faisant office de scène principale.
Les champs alentours changent de fonction et deviennent le parking, le camping
ou un espace de représentation à part entière, les outils,
les ballots de paille, les enrouleurs, les bobinoirs, les palettes ou encore
les engins eux-mêmes sont détournés de leur fonction
initiale pour devenir de véritables éléments du
décor, jouant volontairement avec l'esprit du lieu et l'imaginaire de la
campagne.
L'utilisation du chapiteau ou du tipi est récurrente,
notamment pour les Gâtifolies et le Au Bon Coin Festival. Il renvoie bien
évidemment au cirque et à un moment de festivité, et est
également un outil très apprécié par les
organisateurs qui peuvent concevoir leur évènement malgré
le manque de structure permettant le repli en cas d'intempéries. La
forme et l'esthétique originale du chapiteau en font un décor de
choix, ses configurations sont très appréciées pour
accueillir toutes formes de représentations et nécessite une
logistique généralement moins imposante qu'une scène
traditionnelle en pièces détachées.
Enfin, le choix d'un cadre atypique est également un
trait commun de la plupart des initiatives, notamment festivalières. On
notera que le Grand Parquet de Fontainebleau, un hippodrome implanté
à la lisière de la forêt, installé sur plusieurs
hectares, a accueilli pour la première fois un festival, le Rainforest.
Jouant pleinement de son environnement, le festival militait d'ailleurs pour la
préservation de la nature et les principes écologiques. Avec La
Douve Blanche d'Égreville, c'est plus de mille ans d'histoire qui sont
à l'honneur, le festival réinvestit les douves du domaine, et
s'amuse des décalages entre l'offre musicale et le cadre pittoresque. On
notera également l'installation du festival des Gâtifolies au sein
du Parc Naturel Régional du Gâtinais, au coeur d'une
clairière, le festival a pu profiter d'un terrain en jachère
qu'il a réinvestit en véritable site pluri-artistique. En tant
que site préservé, le festival a d'ailleurs dû respecter un
certains nombres de réglementations environnementales, en termes de
déchets (éco-tri, produits recyclables, toilettes sèches)
et d'acoustique (limitation des décibels, orientation acoustique
spécifique) afin de protéger l'habitat des espèces du
PNR.
Ainsi l'espace rural apparaît comme un terreau fertile
aux initiatives, investi par des individus qui s'inspirent largement de leur
environnement, il est apprivoisé et mis à l'honneur
87
dans chaque projet, comme en témoigne la communication
visuelle des manifestations qui joue largement sur les références
à l'agriculture (les tracteurs, les vaches, les champs, les silos). La
culture prend des formes particulières et tentent constamment de
s'adapter aux caractéristiques géographiques du territoire,
toujours dans le souci de pallier aux manques d'infrastructures
dédiées mais également à l'isolement. En
découle la mise en place de projets itinérants.
|