3.3. Postures d'acteurs et impacts sur le
développement de la scène locale.
Évidemment, les situations précédemment
évoquées ne résument pas l'ensemble des interactions entre
les acteurs, et ne peuvent refléter la diversité des rapports
à l'échelle locale. Elles peuvent toutefois questionner sur les
capacités de certains acteurs à influer sur le
développement des musiques actuelles au sein du territoire.
En termes de valorisation de la scène locale, la
Tête des Trains a de son côté choisit de ne proposer que
ponctuellement des groupes locaux à la fois pour les raisons
évoquées précédemment, mais également pour
des questions de diffusion et de rentabilité : « On prend des
groupes de l'Île-de-France, mais pas forcément de Seine-et-Marne,
et en tout cas pas des gens du coin. Parce que si on fait les gens du coin, ils
ont fait tous les rades du coin, donc qui va venir les écouter ici, les
gars du coin mais â quel prix ? ». Des propos qui interrogent
sur le rôle des lieux en matière d'accompagnement des formations
musicales sur le territoire. En tant que structure fixe dédiée
aux musiques actuelles sur le territoire, il est curieux de constater que
celle-ci se repose, en termes de diffusion locale, sur les lieux non
dédiés, type bars ou café. Cette alternative, entrevue
comme une ressource pour les musiciens locaux, peut aussi représenter
un
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paradoxe. S'inscrivant comme un acteur musiques actuelles,
impliqué dans un réseau départemental, la Tête des
Trains semble toutefois se désengager du rôle de «
développeur de la scène locale ». Bien sûr, les
difficultés structurelles du lieu, empêche véritablement
celui-ci de prendre des risques, en programmant des groupes locaux qui
n'attireraient pas de public jusqu'à Tousson. Ce choix interroge sur
l'éventuel désajustement entre l'offre et la demande locale.
S'agit-il de concevoir son rôle d'acteur et le projet musiques actuelles
sous l'angle artistique ou sous l'angle territorial ? Le projet de la
Tête des Trains semble davantage s'orienter vers une entrée
artistique, c'est-à-dire qu'en termes de diffusion le lieu tend
davantage à proposer une offre, de qualité, peu présente
sur le territoire, comme le suggère la palette des esthétiques
(musiques traditionnelles, musiques celtiques, jazz, musiques du monde, etc.)
et qui s'adresse davantage à un public de connaisseurs « qui
payent, qui mangent, qui boivent ». L'entrée territoriale, entendue
comme la volonté de développer un projet musiques actuelles en
direction des formations locales et des acteurs locaux, est moins
revendiquée.
L'orientation du projet de la Tête des Trains n'ouvre
donc pas réellement de possibilités aux groupes locaux d'y
être diffusés, ni de profiter de son inscription dans le
réseau Pince Oreilles, en matière de ressource, mais
également de repérage. Si les bars et les cafés
représentent des espaces de diffusion privilégiés pour les
groupes amateurs, ceux-ci ne sont pas pérennes, et ne peuvent
répondre aux besoins des groupes en matière d'accompagnement.
Contribuer au développement de la scène locale, c'est aussi lui
donner les moyens de se former. Or, au vu de la faiblesse des
équipements et du rapport volontairement détaché de la
Tête des Trains vis-à-vis de cette scène, le risque est de
restreindre les interlocuteurs des formations musicales à des acteurs
qui n'entrevoient les concerts rarement plus que comme une animation, une
plus-value à leur activité commerciale136, ou de s'en
référer uniquement à l'association Musiqafon.
En effet, le rôle de l'association Musiqafon devient
particulièrement prépondérant, car à la
différence des deux MJC présentes sur le territoire, son
activité en faveur des musiques actuelles est constante et
régulière. Toutefois, nous le verrons plus loin, celle-ci ne peut
répondre à elle seule aux besoins des groupes. Reconnu
auprès des acteurs publics en tant que référent sur le
territoire, l'association peut en effet représenter le seul
véritable point d'appui, aussi bien pour les groupes que pour les
collectivités, au risque d'occulter les autres acteurs. Notons
également, qu'à la différence des autres structures,
Musiqafon ne fait plus partie du
136 Une activité qui part ailleurs est porteuse d'une
économie locale qu'il serait pertinent d'analyser.
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réseau Pince Oreilles depuis 2010. De fait, il ne
s'inscrit plus dans le cadre de dispositifs en direction de la scène
locale et perd l'appui d'un réseau de connaissances et de savoirs
susceptibles de profiter aux groupes locaux. Il ne s'agit pas de remettre en
cause les compétences de l'association, mais de mettre en perspective
son caractère quasi dominant sur le territoire. Le développement
des musiques actuelles sur le Gâtinais doit-il être l'apanage de
cette structure ? De plus, il ne faut pas oublier la dépendance de cette
association aux politiques « jeunesse » du département, ce qui
là encore, restreint d'une certaine manière les orientations de
l'association, et son ouverture à des formations musicales qui
n'entreraient alors plus dans ses critères de soutien.
Nos observations et analyses se sont attachées à
rendre compte des multiples difficultés rencontrées sur le
territoire du Gâtinais et des conséquences sur le bon
développement des projets dédiés aux musiques actuelles.
Les inégalités territoriales tendent à renforcer un
déséquilibre en matière de pratique, appuyées par
des visions stéréotypées des élus qui manquent de
critères objectifs pour déployer une politique concertée
et cohérente. De plus, en portant notre attention sur les interactions
entre les collectivités locales et les acteurs musiques actuelles, nous
avons pu comprendre en quoi celles-ci étaient conditionnées par
des facteurs d'ordre politique et économique, les structures ayant peu
de marge de manoeuvre en dehors des missions orientées par les
critères de subvention. Enfin, nous avons pu mettre en relief d'autres
difficultés inhérentes aux interactions entre les acteurs du
secteur, à l'échelle départementale et locale. Alors que
la faiblesse des équipements tendrait à un renforcement des
initiatives et d'un projet partagé entre acteurs d'un même
territoire, on observe à l'inverse différentes formes
d'autonomisation, et de logiques individuelles, qui complexifient le
développement de la scène locale et sa circulation. Notons
toutefois que nous ne pouvons prétendre à l'exhaustivité
dans nos observations, il conviendrait d'étendre et de diversifier les
regards des acteurs, des collectivités, des publics et des groupes
locaux. Néanmoins, après avoir abordé les
difficultés générales, il convient dans ce contexte, de
s'interroger sur la manière dont les projets réussissent
toutefois à exister. L'enjeu est de saisir la manière dont
ceux-ci s'adaptent à l'environnement rural, de saisir les logiques qui
les caractérisent et de tenter de dépeindre les
spécificités de ses projets, tout en abordant leurs perspectives
d'évolution.
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