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Musiques actuelles en milieu rural - le cas du gà¢tinais sud seine-et-marnais


par Bilitis DELALANDRE
Université Paris-Est Marne-la-vallée - Département histoire - Master 2 Professionnel « Développement Culturel Territorial » 2016
  

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III. Interactions entre acteurs, une autre clé de compréhension

3.1. Des « mondes locaux ».

Si en termes de dialogue avec les collectivités territoriales, les acteurs se heurtent parfois à des logiques politiques propres à l'échelle de leur localité, beaucoup s'inscrivent dans des logiques de structuration professionnelle visant à solidifier leur légitimité, et développer les échanges et savoir-faire. Comme l'a souligné Philippe Berthelot pour cette étude, « le maquis n'existe plus en milieu rural », difficile pour les acteurs d'un même territoire de ne pas se (re)connaître. Dès lors que l'ambition portée par les acteurs est d'étendre et de renforcer le rayonnement de leurs projets, le besoin de coopérations et de partenariat à plus grande échelle devient nécessaire.

Les structures dédiées partiellement ou entièrement aux musiques actuelles recensées sur le Gâtinais, à l'exception des festivals, s'inscrivent toutes dans un réseau d'acteurs, qu'il s'agisse du réseau Pince Oreilles, de la Fédération des Foyers Ruraux ou de l'Union Départementale des MJC. Cette implication témoigne à la fois d'une volonté d'intégrer un maillage de structures qui oeuvrent en faveur du développement des musiques actuelles, et de bénéficier d'un appui et de ressources aussi bien professionnelles, informationnelles et relationnelles que supposent ce type de regroupement. Cette volonté se fonde également sur le partage d'un ensemble de valeurs et de principes communs, guidés par l'intérêt général et l'égale dignité des personnes. Cette démarche, qui résulte d'une appréhension particulière de la culture et de ses enjeux au sein de la société, fait souvent écho à un engagement militant.

Le recours par l'État et les collectivités territoriales au secteur associatif, pour pallier aux insuffisances de leur administration et répondre à des enjeux publics nouveaux, a également induit des modifications dans les modes d'organisation et de gestion des associations, qui se sont peu à peu professionnalisées. 131 Une tendance qui appelle également à l'acquisition de certaines compétences, la mise à profit de savoirs existants, et au développement d'un niveau toujours plus élevé d'expertise. Aussi, il n'est pas rare de constater que les acteurs du secteur des musiques actuelles sont pour la plupart issus de niveau d'études supérieures, du professorat, du secteur culturel, de la fonction publique, etc. Président d'une association et instituteur, militant

131 Sawicki, F., Siméant, J., « Décloisonner la sociologie de l'engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du travail, Paris, 2009

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altermondialiste actif et coordinateur de réseau, artiste et salarié associatif, le rôle des acteurs au quotidien est souvent multiple. Mais la dépendance économique aux collectivités à participer à une forme « d'institutionnalisation » du secteur des musiques actuelles à mesure que celui-ci tendait à une légitimation de l'État et à sa propre structuration. Aussi, Emmanuel Brandl analyse clairement ce phénomène expliquant que l'« on passe d'une attitude anti-institutionnelle affirmée et gonflée d'une idéologie de subversion, au fait radicalement opposé qu'il faille savoir compter sur les institutions locales132 ». Une situation qui selon lui ne va pas sans rapports de force entre membres et acteurs, ni sans effets sur les « codes symboliques de présentation de l'association qui subit une modification. Ne serait-ce que dans le vocable utilisé : on passe des « rockeurs » aux « acteurs culturels ». 133 »

L'auteur évoque également la présence à l'échelle régionale de plusieurs « mondes locaux », correspondant aux différents modes de relations entre le monde des musiques actuelle et celui des municipalités sur un territoire « dont le degré d'homogénéité est très certainement fonction de la diversité des instances de représentation de la catégorie « rock » 134». Aussi, la façon dont est conçu le secteur des musiques actuelles par ses acteurs et les intérêts qui guident leurs actions peuvent différer selon leur relation avec les collectivités. Une situation qui peut générer des conflits, ou des entraves au développement de réseaux locaux.

C'est ce que suggèrent en partie les propos de Pierre Beltante, pourtant un des premiers initiateurs du réseau musiques actuelles départemental, lorsqu'il souligne la remarque d'un autre acteur du réseau : « Et O. qui disait « Bah qu'est-ce que vous faites avec eux, c'est tous des salles professionnelles, tout ça, alors pourquoi vous voulez jouer dans la cour des grands ? ». Bah j'ai dit moi je trouve ça très bien qu'on soit avec les autres, si on leur apporte rien, eux nous apportaient... (Rire).Voilà quoi ! ». Son propos sous-entendrait qu'il existe une « cour des grands » face à une supposée « cour des petits ». Au-delà de positionner la Tête des Trains par son envergure, il ne donne pas beaucoup plus de crédit au degré de professionnalisation de celle-ci. C'est aussi ce qu'avait pu ressentir Aurélien Boutet, actuel coordinateur de la Fédération des Foyers Ruraux de Seine-et-Marne, qui dans le cadre de son association, Gadget O Phone, avait intégré le réseau Pince Oreilles : « Je suis arrivé aux Pince

132 Brandl Emmanuel, in «La sociologie compréhensive comme apport à l'étude des musiques amplifiées/actuelles régionales», in GREEN Anne-Marie (sous la dir.), Musique et Sociologie. Enjeux méthodologiques et approches empiriques, Paris, L'Harmattan, coll. « Logiques Sociales », Série « Musiques et champ social », 2000, p. 267

133 Ibid. p. 269

134 Ibid. p. 279

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Oreilles, ça a pas été simple parce que à l'époque fallait montrer un peu pattes blanches, fallait montrer qu'on était dans une démarche de professionnalisation etc.(...) Mais en même temps au Pince Oreilles, je m'y retrouvais pas trop parce qu'on sentait que c'était le truc qui était, enfin politiquement c'était quand même tenu par les grosses salles et moi j'avais l'impression que tu vois qu'on vivait pas forcément dans le même monde, qu'on avait pas forcément les mêmes problématiques, les mêmes attentes. » Là aussi, des décalages sont ressentis entre structures d'envergure différentes. Le fait d'avoir « sa place » au sein du réseau et de s'y sentir légitime, semble relever du niveau de professionnalisation, une exigence plus ou moins explicite, qui peut générer un sentiment de retrait, voire d'exclusion.

D'ailleurs, bien que prégnante en milieu rural, la question de la pérennité de l'emploi ne constitue pas une spécificité forte, toutefois le contexte dans lequel elle se pose, nous l'avons vu, est largement caractérisé par un déficit d'implication de l'échelon local.

En somme, la modification progressive des codes et représentations d'une partie du secteur musiques actuelles « institutionnalisée » a potentiellement généré des écarts de vision en son sein. Si l'on ne peut affirmer que ces écarts résultent d'une opposition entre milieux urbains et ruraux, force est de constater qu'elle lui est fortement associée. Dès lors, il paraît intéressant à ce stade de s'interroger sur les relations des acteurs entre eux.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo