2.4. Les intercommunalités, une implication encore
mitigée
Le mouvement de décentralisation des services de
l'État dans les années 1980 a donné lieu à une
série de réorganisations administratives sur le territoire,
s'adaptant constamment aux nouvelles façons de vivre des citoyens.
Après les communes, les départements et les régions,
d'autres formes administratives de regroupement ont vu le jour.
Créées en 1992 par la loi portant sur l'administration
territoriale de la République125 (loi Joxe), les
communautés de communes ont été
systématisées par la loi relative au renforcement et à la
simplification de la coopération intercommunale126 (loi
Chevènement), en 1999, qui instaure la création des
EPCI127. Ces lois instaurent de nouvelles échelles,
privilégiant l'échelon local, comme étant l'interlocuteur
privilégié entre les citoyens et leur territoire. Longtemps
parent pauvre de l'intercommunalité, la culture, alors incluse dans les
compétences générales des collectivités, est
devenue en 2015 avec la loi Notre (relative à la nouvelle organisation
territoriale de la
125 Loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à
l'administration territoriale de la République
126 Loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au
renforcement et à la simplification de la coopération
intercommunale
127 Établissements Publics de Coopérations
Intercommunales
74
République), une responsabilité partagée
(art.103). Désormais la culture fait l'objet d'une responsabilité
exercée conjointement entre les collectivités territoriales
(régions, départements, EPCI) et l'État. La
responsabilité n'engage pas les collectivités de façon
aussi évidente qu'une compétence obligatoire ou exclusive. Il
s'agit principalement de mutualiser les moyens entre collectivités dans
le cadre d'un projet culturel commun. Pour les communautés de communes,
qui représentent plus de 80% des communes rurales, cette mesure tend
à équilibrer les inégalités budgétaires
entre collectivités et à impulser une dynamique de
coopération pour des projets pensés de manière
cohérente sur le territoire. Ce nouveau cadre tendrait à
bénéficier au financement des projets culturels, dans la mesure
où l'intercommunalité prendrait le relais compensant la faible
surface budgétaire de certaines communes.
Toutefois, la prise ou non de cette responsabilité par
les collectivités relève de leurs propres initiatives, en effet,
elles peuvent décider de ne pas faire appel à cette
responsabilité, qui n'a rien d'obligatoire. Selon Philippe Berthelot,
des effets pervers peuvent également résulter de certaines
dispositions de la loi Notre, entre autres, celle qui ouvre la
possibilité d'une délégation de l'instruction et de
l'octroi de subventions comporte un risque : la tentation peut être
grande pour une collectivité locale de se défausser sur des
collectivités plus importantes délégataires. Un
élément qui selon Philippe Berthelot pourrait participer à
la concentration des moyens sur une structure identifiée, jouant le
rôle de pôle sur leur territoire (exemple d'une Scène de
Musiques Actuelles qui serait perçue comme largement suffisante pour
irriguer une intercommunalité). Une ouverture ambiguë des
intercommunalités, qui peut amener à un
rétrécissement des initiatives soutenues si les
collectivités ne se sont pas mobilisées, le risque étant
de voir se déplacer la posture de l'État à une nouvelle
centralité sur ces nouveaux échelons territoriaux ou de constater
l'absence d'initiative entre eux. Pierre Marie Cugny, ancien directeur des
affaires culturelles du conseil départemental, soulignait
déjà lors d'un débat organisé par le Pince Oreille
en 2007 à propos du manque de dialogue entre les communautés de
communes : « Le grand drame, c'est de voir que les territoires ne sont
pas encore motivés pour se rassembler et mutualiser les moyens, pour
prendre des décisions importantes. (...) Ce sont les mentalités
qu'il faut faire évoluer. »128
Sur le Gâtinais, cela se traduit par un manque de
visibilité des structures et un investissement financier axé sur
les projets ponctuels, les festivals. La communauté de communes des
Terres du Gâtinais par exemple, est impliquée de manière
disparate dans les
128 Lors du débat organisé lors du
7ème festival Watts Up en 2006, « Les musiques actuelles
et l'aménagement du territoire en Seine-et-Marne ».
75
projets de son territoire. La Tête des Trains, alors
qu'elle agit de manière permanente sur sa localité, n'a jamais
reçu de soutien de cette intercommunalité alors que
paradoxalement plusieurs de ses communes participent au financement du projet :
« Oui m'enfin, Milly-la-Forêt donne quelque chose, Malesherbes
aussi et y'a quand même 7 communes dans l'intercommunalité qui
donnent des subventions. C'est à prendre en compte quand même !
». À contrario, l'intercommunalité a contribué
au financement du festival des Gâtifolies. D'ailleurs pour ce dernier,
l'investissement est notable pour une première édition, de
l'ordre de 5000€. Son organisatrice, Christine Amara, a
témoigné de l'implication décisive du maire de
Boissy-aux-Cailles, également président de la commission Culture
et Patrimoine au sein de l'intercommunalité. L'influence de cet
élu sur le financement de ce projet, interroge sur les modalités
objectives de l'intervention intercommunale et des réelles
capacités de cet échelon à s'investir dans la culture de
manière cohérente et équitable. Au-delà du soutien
très personnel de ce maire, il est aussi apparu que le projet
s'inscrivait dans un contexte de stratégies politiques tout aussi
décisif : « C'était une interco qui était assez
jeune, qui avait pas eu un gros projet porteur culturel et tout, ils me l'on
dit après, on apportait un truc sur un plateau d'argent, d'autant plus
que je sais pas si vous connaissez l'histoire des intercos mais
l'été dernier une loi a été votée et les
communes, les intercos inférieures â 15 000 habitants n'ont plus
de légalité donc elles sont obligées de se regrouper, donc
l'interco de la Chapelle enfin du Gâtinais devait se regrouper donc pour
eux il fallait qu'ils arrivent, enfin c'est comme un mariage avec au moins
quelque chose pour pouvoir se montrer... donc on arrivait politiquement pile
poil quoi ». Un témoignage particulièrement explicite
sur l'instrumentalisation politique d'un projet culturel, destiné ici
à servir d'outil de valorisation à une intercommunalité
naissante. L'intérêt artistique, culturel et social semble bien
loin des préoccupations de cette entité en recherche.
L'association Musiqafon déplore de son
côté le peu d'implication des intercommunalités sur
lesquelles elle inscrit certains de ses projets : « les demandes
d'organisation proviennent des communes en direct, mais rarement des
intercommunalités, lorsqu'elles existent, et qu'elles se
préoccupent de la Culture (essentiellement Moret Seine et Loing pour 5
â 6 événements annuels). 129» La
logique du financement ponctuel observée dans l'intercommunalité
des Terres du Gâtinais, se retrouve également à
l'échelle du Pays de Fontainebleau, qui soutient le festival Django
Reinhardt et le Rainforest, et du Gâtinais Val de Loing, qui a soutenu le
festival Lagrange. Faute de véritable projet de développement
culturel, il semblerait que les intercommunalités s'appuient
essentiellement sur les projets portés
129 Extrait du bilan 2013 de l'association Musiqafon.
ponctuellement par les acteurs musiques actuelles locaux.
Toutefois, le caractère irrégulier de l'investissement de cet
échelon est à relativiser au vu des définitions
territoriales encore en cours. En effet, certaines communautés de
communes peinent à atteindre le seuil de 15 000 habitants exigé
par la loi NOtre au 1er janvier 2017. C'est le cas notamment des
communautés de communes des Terres du Gâtinais (11 648 habitants
en 2016) et du Bocage Gâtinais (5348 habitants en 2016)130.
Ainsi, nous avons pu constater que les formes d'implication
des collectivités dans les projets musiques actuelles sont
marquées par des disparités notables entre lieux et entre
territoires. En effet, plus les lieux sont excentrés de la ville, plus
les financements à l'échelle locale et intercommunale sont rares,
voire inexistants. Seuls les évènements temporaires semblent
bénéficier de leur soutien. Sans concertation entre les acteurs
et sans réelles ambitions politiques, les élus tendraient
à renforcer « l'effet vitrine » que peuvent jouer les
festivals, et réduiraient la pratique musicale à une simple
consommation. Notons que l'implication du département est essentielle
pour les structures en milieu rural, qui se revendiquent être des lieux
culturels de proximité. Certes les difficultés économiques
rencontrées par les communes rurales sont prégnantes mais des
difficultés similaires touchent aussi les communes urbaines. De plus, il
ne faut pas négliger le poids des représentations dans les prises
de décisions des élus, peu sensibilisés aux enjeux du
secteur. Au-delà de ses relations plus ou moins complexes avec les
collectivités, il convient de recentrer notre réflexion sur les
difficultés que rencontrent les acteurs à l'échelle de
leur projet et dans leur propre apport au développement des projets
artistiques. L'enjeu est de saisir la manière dont les acteurs musiques
actuelles interagissent avec leur environnement relationnel, professionnel et
local ; et de savoir si ces conditions peuvent participer à
l'émergence artistique.
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130 En annexe n° 9 la carte des EPCI en Seine-et-Marne au
1er janvier 2016.
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