II. La place des musiques actuelles dans les politiques
locales
Les années 1980 et 1990 se caractérisent, nous
l'avons vu, par un développement des initiatives locales et un
rôle croissant des collectivités territoriales dans le champ des
politiques culturelles et d'aménagement du territoire. Cette
réalité, associée au processus de décentralisation
administrative et politique, est aussi une conséquence des
évolutions de représentations et de perceptions. Celles-ci sont
centrales dans l'appréhension des problèmes publics ainsi que
dans la définition des réponses apportées.
2.1. Le poids des représentations.
« Aborder le monde rural et la politique culturelle
dans le monde rural, c'est se confronter au même dialogue de sourds, ou
plutôt â cette même absence de dialogue, tant ceux qui
parlent son pétris de certitudes, d'images toute faites, de
pensées prêtes-â-l'emploi et d'une histoire que personne
n'ose vraiment finir. » 117
La mise en place de politiques locales dépend des
enjeux sociaux mais aussi des représentations et des valeurs sociales
portées par les acteurs institutionnels, collectifs, et même
individuels. En ce sens, l'espace est un produit concret et matériel,
mais aussi symbolique et idéologique dans lequel les acteurs
développent des stratégies qui dépendent de leurs
idées et valeurs spécifiques. On peut suggérer que la
définition de politiques et de choix d'action spécifiques soit
aussi influencée par une certaine subjectivité de la part des
acteurs publics, tous autonomes dans leur façon de penser et de
réfléchir. Les représentations, les valeurs et les
croyances qui dominent au sein de la société influent aussi dans
le domaine des musiques actuelles et des politiques en sa faveur. Nous l'avons
vu, ce champ a été investi par les pouvoirs publics, visant en
grande partie, à prendre en compte des catégories de publics
jusqu'alors peu représentées, et notamment la jeunesse. Il n'est
pas rare de constater que l'inscription des musiques actuelles au sein des
politiques locales soit intimement liée à un projet de politique
en direction de la jeunesse118. En témoigne les deux Maisons
de la Culture et de la Jeunesse sur notre territoire qui portent un projet
musiques actuelles ainsi que les nouvelles orientations
117 Delisle Henry, Gauchée Marc, Cultures urbaines,
culture rurale, Paris, Le Cherche Midi, coll. Terra, 2007, p. 25
118 La dernière étude réalisée par
la FEDELIMA sur les lieux de musiques actuelles en milieu rural et en zone
urbaine en environnement rural, démontre que plus de 65% des structures
bénéficient de l'agrément Jeunesse et Éducation
Populaire
68
prises par l'association Musiqafon, davantage tournée
vers le développement des projets « jeunes ».
Toutefois, comme le souligne Florence Lefresne et Patricia
Loncle, il est « impossible de traiter le [la jeunesse] aujourd'hui
sans se référer aux catégories de l'action publique dans
le champ de la formation, de l'emploi, de l'action sociale, du logement, de la
ville...qui, peu ou prou, forgent des représentations, voire des
identités sociales : « jeunes en échec scolaire »,
« jeunes des quartiers », « jeunes en difficultés
»... »119. Ces conceptions ont tendances à
stigmatiser la jeunesse en ne l'entrevoyant qu'à travers ses
problèmes. Ces représentations peuvent être
conjuguées, à celles, tout aussi caricaturales, des musiques
actuelles et du secteur lui-même. À un niveau idéologique,
la construction forte du secteur des musiques actuelles sur des valeurs
d'indépendance et sur la revendication d'une certaine forme de
contre-culture, peut être mal perçue par certains acteurs publics
et élus locaux, en témoigne les propos de Pierre Beltante de la
Tête des Trains : « Bah les élus locaux ils ne
s'intéressent pas â nous ! Pour eux c'est un lieu qui est rempli
de...Le conseiller général B. dit qu'il était
agressé par des « harpies gauchistes ». Je ne sais pas comment
il peut imaginer un truc pareil. (...) C'est des mondes parallèles tu
vois. » Par ailleurs, les acteurs des musiques actuelles,
revendiquant également de travailler sur des esthétiques
populaires, ne sont pas, à la différence d'autres domaines
artistiques, comme le théâtre, complètement
légitimés par les pouvoirs publics.
Les différents acteurs interrogés lors de cette
étude, ont majoritairement souligné l'influence des
représentations personnelles des élus sur le domaine, et leur
manque, plus ou moins important, de connaissances du secteur. La question du
décalage culturel, évoquée par Philippe Berthelot,
interroge le fonctionnement d'une certaine génération
d'élus, qui ne se sentent pas en accord avec les projets musiques
actuelles. Un décalage accentué, selon lui, en milieu rural,
où l'ancienneté de certains mandats se couple à une vision
conservatrice de l'action publique. Champ d'intervention relativement jeune,
les musiques actuelles sont entrées tardivement dans le champ
d'intervention des politiques publiques. Aussi, sans faire de
corrélations trop générales, on peut toutefois concevoir
cet écart générationnel et culturel au vu du profil
socioprofessionnel des maires de Seine-et-Marne, qui sont
représentés en majorité par des agriculteurs et
retraités agricoles (17.9%), suivi des retraités du
secteur privé (14.20%) et des
119 Patricia Loncle, Les jeunes : questions de
sociabilité, questions de politique, La Documentation
Française, Coll. Études, 2007
69
retraités de la fonction publique (5.25%). Une
étude120 sur les caractéristiques des maires en milieu
rural, a révélé que 66,5% des élus
interrogés envisagent l'action municipale comme devant participer au
« maintien de l'héritage et de la personnalité
traditionnelle de la commune » et à « la sauvegarde d'un cadre
vie traditionnelle ». Un objectif politique qui serait susceptible
d'entrer en conflit avec l'image plus « moderne » et « innovante
» des musiques actuelles.
Il serait pertinent d'approfondir ces analyses sur le profil
culturel des élus et leur degré d'appétence pour la
culture et ses domaines afin d'apporter une conclusion objective du niveau
d'influence sur les actions publiques en faveur des musiques actuelles. C'est
ce que suggère d'une certaine manière Véra Bezsonoff,
actuelle chargée d'accompagnement et de structuration des
adhérents de la Fédélima, qui nuance l'apparent
désintérêt des élus pour la culture, tout en
admettant la possible influence du goût individuel : « Je ne
pense pas qu'on puisse dire du coup, en milieu rural, les élus sont
moins sensibilisés aux problématiques culturelles qu'en milieu
urbain (...) c'est des politiques, c'est gens là ont été
élus, mais effectivement ils n'ont peut être pas beaucoup de
considération pour les musiques actuelles, peut-être qu'ils
préfèrent l'opéra et le théâtre... »
C'est également ce qu'induit le directeur de la Tête des
Trains, qui considère que le désintérêt du maire
local pour sa structure, peut aussi s'expliquer par ses
préférences esthétiques musicales : « Le maire de
Tousson il ne s'intéresse à rien... Je veux dire on l'a jamais vu
â un concert. Le tango argentin ça lui plaisait alors on a fait un
jour une chanteuse, elle chante l'argentine, elle chante le tango, mais ce
n'est pas le tango pour danser. Donc il est venu, mais il s'est fait chier
parce que ce n'était pas ça qu'il attendait... ».
Néanmoins, cette posture peut parfois s'inverser de la part de
l'élu et témoigner au contraire d'une appréciation
personnelle positive.
Au-delà d'un déficit d'image de la jeunesse et
des musiques actuelles et d'une certaine prévalence du goût
culturel de l'élu sur son appréhension des équipements,
c'est la dimension politique qui interroge. Les compétences des
élus et de ses conseillers en matière culturelle sont
relativement limitées au sein des communes rurales. Les déficits
budgétaires et certaines situations de crise contraignent les
collectivités dans leur marge d'action. Aussi, il convient de
s'interroger sur les relations qu'entretiennent les acteurs avec leurs
collectivités locales.
120 Souchon Zahn Marie-Françoise. « Les maires en
milieu rural ». In: Économie rurale. N°237, 1997,
Représentation politique et sociologique du monde agricole et rural
français. 1ère partie, sous la direction d'Isabel Boussard et
Bernard Wolfer. pp. 19-21.
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