1.3. La mobilité en question.
La façon dont la jeunesse entrevoie son territoire de
vie est un indicateur d'importance. Elle résulte bien sûr des
configurations spatiales mais aussi des manières de maîtriser son
environnement, en termes de distances aussi bien géographiques que
symboliques. Aussi, la mobilité apparaît comme un enjeu majeur,
capable d'influencer directement les sociabilités, notamment des jeunes,
dans leur rapport aux études, à l'emploi, et à leurs
loisirs.
Quand on interroge les jeunes sud seine-et-marnais sur les
évolutions à entrevoir en termes d'accès à l'offre
culturelle sur leur territoire, et plus globalement, en matière de
service, le manque impérieux de transport est largement mis en avant :
« Au niveau des transports, je trouve quand même y'a un
problème. Moi j'habite dans un petit village, et c'est vrai que c'est
pas évident de se déplacer â l'intérieur du
département. », « Bah du transport, des
activités...euh...oui...des choses qui font vraiment changer la vie de
tous les jours. », « Ah, qu'est-ce qui manque...Bah en premier se
serait les bus, parce que chez moi y'a pas du tout de bus », « Bah
quand t'as pas de permis...bah t'es coincé. ».
Le réseau de transport sud seine-et-marnais est en
effet peu dense. La ligne 34 du Seine-et-Marne Express, ligne de bus principale
qui dessert cinq communes entre Melun et Château-Landon (et
Égreville autre terminus), se concentre uniquement sur l'axe nord-sud
parallèle au Loing. Il en est de même pour la ligne R du
Transilien, qui relie les gares de Souppes-sur-Loing à Paris, mais qui
ne dessert que quatre gares sud seine-et-marnaises. Les bus intercommunaux sont
pour l'essentiel réservés aux transports scolaires. En
matière d'horaires, les services par bus ou par voie ferroviaire
n'excèdent généralement pas 23h ou minuit et pour certains
20h. Notons que le fait même de pouvoir accéder à un de ses
services nécessite d'être véhiculé. Alors, certes si
le problème se pose moins pour les 86% de ménages
seine-et-marnais qui disposent d'au moins un véhicule, elle se pose
aussi bien pour la jeunesse, que pour les plus démunis.
Avoir le permis, c'est s'offrir un avenir, c'est passer du
stade d'adolescent à celui d'adulte indépendant ou tout du moins
autonome. Dans les communes isolées, peu ou pas desservies, cela peut
aussi dire accéder à d'autres formes de vie sociale, hors du
cadre familial ou scolaire. En matière d'accès à l'offre
culturelle, la dépendance à la voiture s'avère forte en
zone rurale compte-tenu des horaires généralement tardifs des
concerts qui corrèlent mal avec ceux des services de transports. Aussi,
certains doivent compter sur un(e) ami(e), un proche ou un membre de la
famille, plus ou moins enthousiasmé pour effectuer les
déplacements. Les coûts de consommation d'essence ne sont
d'ailleurs pas à sous-estimer. Bien que les distances à
parcourir, parfois longues, soient le lot quotidien d'une partie de la
population du Gâtinais,
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lorsqu'il s'agit de se rendre dans un équipement
dédié aux musiques actuelles en Seine-et-Marne, elles peuvent
potentiellement dissuader (par exemple, pour se rendre à L'Empreinte,
à Savigny-le-Temple, salle dédiée la plus proche du
Gâtinais, il faut compter, selon l'éloignement, plus d'une
centaine de kilomètres à parcourir aller et retour.).
Si les distances et l'éloignement peuvent
représenter un frein pour la jeunesse selon certains acteurs, comme
Musiqafon, d'autres en revanche, comme Pierre Beltante de la Tête des
Trains nuance toutefois cette situation : « Moi je pense que pour
avoir un public plus jeune, il faut être en milieu urbain pour faire
ça. Parce que le public plus jeune ici, les mecs ils ont une voiture,
quand ils commencent â avoir une voiture tout ça, ils vont aller
en ville, lâ où y'a de la moquette, des néons, des trucs
qui flashent quoi. (...) Un gamin qu'a jamais voyagé, il
préfère aller où y'a des néons, où y'a de la
moquette, où ça brille quoi et de la musique qu'il aime. (...) en
plus les jeunes qui pourraient venir si ils sont très jeunes faudrait
qu'ils viennent en mob', d'un village â l'autre, donc lâ c'est....
Bah c'est galère. Une salle en milieu urbain, comme La Fontaine, le
Potomak, du côté Cuizines, l'Oreille Cassée, tout
ça, ils viennent plus facilement. ». Pour Pierre Beltante, la
ville représenterait pour ces jeunes le cadre privilégié
des pratiques culturelles ou festives. Un constat qui peut s'expliquer par une
certaine passivité des jeunes à l'égard des
activités proposées localement, ou par un manque de
visibilité de l'offre en zone rurale.
Ainsi, les modalités d'accès à l'offre
sont intimement liées à la maitrise de la mobilité, de son
environnement social (en termes de ressources mobilisables à
l'échelle de l'entourage), des configurations spatiales (en termes
d'appréhension des distances) et des possibilités
matériels et financières (avoir une voiture, savoir
maîtriser les services de transports). Ces constats invitent à
poursuivre notre réflexion sur les politiques mises en oeuvrent à
l'échelle locale pour prendre en compte ces inégalités et
tenter de les réduire.
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