E - Redistribution et politique de l'emploi
Le système français de redistribution peut
être ramené schématiquement à la combinaison de
trois types de transferts : une prestation différentielle, purement
dégressive, une prestation mixte, d'abord forfaitaire puis
dégressive, et une prestation forfaitaire sous plafond de ressources.
Les transferts sociaux français peuvent être répartis entre
ces trois catégories. Certains sont d'un montant forfaitaire puis
s'annulent au-dessus d'un plafond de ressources, d'autres sont forfaitaires
sans condition de ressources, comme les allocations familiales, d'autres sont
dégressifs avec le revenu, d'autres enfin sont d'abord forfaitaires puis
dégressifs avec le revenu, à l'exemple de la Prime pour l'emploi.
Les prélèvements fiscaux sont, quant à eux, globalement
progressifs avec le revenu. L'agrégation de ces prestations et
prélèvements divers conduit à un profil de l'ensemble des
transferts nets, globalement dégressif avec le revenu pour toutes les
configurations familiales. La dégressivité est plus forte pour
les plus bas revenus. Le revenu net de prélèvements et de
transferts est alors insensible aux hausses du revenu brut. En d'autres termes,
le taux marginal de prélèvement est proche de 100 % si l'on ne
considère pas en première analyse le mécanisme
d'intéressement32. Puis, au fur et à mesure que l'on
s'élève dans les niveaux de revenus, les prestations sont de
moins en moins dégressives, jusqu'à devenir complètement
séparées et indépendantes du revenu. Le taux marginal de
prélèvement diminue avec le revenu brut avant de remonter lorsque
l'on atteint la zone d'imposition sur le revenu ; il prend ainsi globalement la
forme d'un « U » (Anne, L'Horty, 2002).
S'agissant de l'emploi, l'effet d'une modification du revenu
d'activité sur le montant des transferts peut exercer une influence
déterminante dans la décision d'un bénéficiaire de
reprendre un travail (Anne, L'Horty, 2002). L'idée est
émise, dès 2000, que des problèmes d'offre
affectaient le marché de travail, alors que jusqu'à la fin des
années
32 L'intéressement permettait à un
bénéficiaire du RMI reprenant une activité
salariée, par exemple, de ne pas prendre en compte son salaire dans le
calcul du RMI au cours du trimestre de la reprise d'emploi et durant le
trimestre suivant, et à hauteur de 50 % les neuf mois suivants. De
même, l'exonération totale de la taxe d'habitation était
conservée durant une année pour les anciens
bénéficiaires du RMI. L'intéressement permettait donc de
réduire les taux de prélèvements des
bénéficiaires retrouvant un emploi (Anne, L'Horty, 2002).
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1990 les politiques de l'emploi ont essentiellement
visé à stimuler la demande de travail, notamment à travers
les baisses dégressives de cotisations patronales (Arnaud, et al.,
2008).
S'agissant de la PPE, les trappes à inactivité
sont alors évoquées, notamment pour les
bénéficiaires de minima sociaux et d'allocations chômage,
dans l'esprit même de la loi du 30 mai 2001 : « Afin
d'inciter au retour à l'emploi ou au maintien de l'activité, il
est institué un droit à récupération fiscale,
dénommé Prime pour l'emploi, au profit des personnes physiques
domiciliées en France » (Arnaud, et al.,
2008).
1 - La redistribution des revenus
La PPE « est devenue, malgré des coûts
budgétaires aujourd'hui colossaux33, une des vaches
sacrées de la redistribution publique en France » (Mongin,
2010). Dans cette lutte « égalisatrice », et dans la
redistribution des revenus, les prestations ont plus d'impact que les
prélèvements sur l'égalisation des niveaux de vie. L'IRPP
et la PPE sont largement « redistributifs». Ils contribuent à
eux deux à 30 % de la réduction des inégalités
(suivi des prestations familiales, avec 27 % de « contributivité
», et enfin, des aides au logement et des minima sociaux qui contribuent
respectivement à 17 et 15 % de la réduction des
inégalités) (Elbaum, 2011).
Concernant l'effet redistributif de la PPE, ce sont de fait
les classes moyennes, et non les ménages les plus modestes, qui
bénéficient majoritairement de la Prime pour l'emploi (Conseil de
l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion Sociale, 2001). Compte tenu des
conditions d'attribution de la PPE, les bénéficiaires de la prime
se situent à mi-chemin entre deux catégories de publics : la
première est constituée de chômeurs ou de salariés
occupant des emplois très précaires ou à temps très
partiel. La deuxième comprend des individus installés dans
l'emploi de manière plus stable et ayant un salaire plus
élevé (Arnaud, et al., 2008).
La PPE est largement distribuée dans la population
puisqu'elle touchait huit millions de foyers fiscaux, soit près d'un
quart, en 2001. Son coût s'est élevé dès le
départ, au titre des revenus 2000, à environ 2,5 milliards
d'euros34. Même si près de 70 % du montant global de la
PPE bénéficie à la moitié la moins aisée de
la population, le dispositif n'est pas ciblé sur les foyers les plus
modestes, mais plutôt sur les déciles 2 à 6. En effet,
seuls 9,7 % des ménages bénéficiaires faisaient partie du
premier décile, tandis que la PPE se diffuse jusque dans le haut de la
distribution des niveaux de vie (Arnaud, et al., 2008).
33 La prime pour l'emploi était la troisième
dépense fiscale la plus importante en 2008 par exemple, elle concernait
8,7 millions de salariés (Laurent, 2010).
34 La montée en charge du dispositif est importante :
à titre de comparaison, le coût de la Prime pour l'emploi a
atteint 2,3 milliards d'euros en 2002 au titre des revenus 2001, 2,3 milliards
d'euros en 2003, 2,4 milliards d'euros en 2004 et 2,9 milliards d'euros en
2005.
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Il apparaît que la Prime pour l'emploi a des effets
redistributifs assez diffus, mais également qu'elle aide insuffisamment
les ménages les plus situés aux franges de l'emploi : les
travailleurs pauvres (Conseil de l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion
Sociale 2001). Ce constat n'est guère étonnant puisque son but
est l'incitation au travail et la redistribution vers les actifs pauvres, et
non la redistribution en soi. Par construction, la PPE, visant à inciter
au travail, est moins redistributive que ne pourrait l'être une mesure
spécifiquement redistributive, mais qui aurait le défaut
d'être désincitative au travail (Stancanelli, Sterdyniak, 2004).
Cependant, et dans l'idéal, « vouloir le plein emploi
implique aussi de subordonner des décisions fiscales ou sociales
à caractère redistributif au critère de leur contribution
à l'emploi, et de préférer systématiquement la
redistribution par l'emploi à d'autres formes de répartition du
revenu » (Pisani-Ferry, 2000 : p. 60). Cet aspect
représente un point positif en faveur de la PPE s'agissant de sa
fonction redistributive.
Encadré 5 :
Quelques remarques à mi-chemin entre
redistribution et incitation à l'emploi
L'analyse de la redistributivité de la PPE pose
quelques problèmes. La PPE part du postulat que les travailleurs
non-qualifiés ne sont que faiblement rémunérés par
rapport aux personnes qui ne travaillent pas. La redistribution qu'elle
opère ne peut donc pas être jugée en soi (dans ce cas la
PPE apparaîtrait toujours moins redistributive que la hausse des minima
sociaux) ; elle ne peut être jugée qu'à travers le principe
: « Il faut que le travail paie ».
Cette affirmation n'a de sens que si les personnes peuvent
choisir de travailler ou de rester inactives. Autant il est normal que le
travail paie en situation de plein emploi, autant cette règle est
contestable en situation de chômage de masse, c'est-à-dire la
situation d'aujourd'hui. Jean et Pierre postulent à un emploi, si Jean
l'obtient, faut-il que les pouvoirs publics subventionnent Jean au
détriment de Pierre, qui préférerait travailler ? La PPE
comporte obligatoirement des effets d'aubaine (on subventionne Jean qui aurait
travaillé sans cette prime) et des injustices (le revenu relatif de
Pierre est minimisé alors qu'on ne peut savoir si Pierre est un vrai
chômeur ou quelqu'un qui préfère rester sans emploi). La
PPE, en elle-même, augmente le revenu des travailleurs pauvres sans
diminuer l'allocation versée aux personnes inactives. On peut être
tenté de dire : « Après tout, augmenter le revenu des
travailleurs pauvres est toujours une bonne chose ». Le
problème est qu'une fois que l'objectif politique devient de maintenir
un écart important entre le revenu des sans emplois et celui des actifs
et, compte tenu des contraintes budgétaires, le risque est grand que les
revenus minima en pâtissent : augmenter le RSA par exemple devient plus
coûteux puisqu'il faut en même temps augmenter le revenu des «
Smicards » pour ne pas affaiblir les effets incitatifs (Stancanelli,
Sterdyniak, 2004).
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