B - L'historique des réformes et
revalorisations
La PPE a été créée sous le
gouvernement Jospin en 2001, puis a été augmentée sous le
gouvernement Raffarin en 2003, pour être à nouveau
augmentée sous le gouvernement De Villepin, entre 2004 et 2005. Depuis
sa création, la Prime pour l'emploi a été
réformée et revalorisée à plusieurs reprises
(quasiment tous les ans), à la recherche d'une optimalité
(Hagneré et al., 2005), et traduisant la volonté des
gouvernements successifs de soutenir le revenu des travailleurs modestes
autrement que par les revenus du travail (Bonnefoy et al, 2009).
Les modifications de la PPE depuis sa création suivent
deux directions : celle d'une croissance significative des montants de prime
versés aux bénéficiaires et celle d'un soutien accru aux
personnes travaillant à temps partiel, ou sur une partie de
l'année seulement, via des majorations spécifiques de leur prime
(annexe 4). Ces évolutions ont sensiblement accentué le pouvoir
redistributif de la PPE au bénéfice des ménages modestes,
diminuant le taux de pauvreté relatif de 0,2 % toutes choses
égales par ailleurs (à structures de population et de revenus
constantes) (Bonnefoy et al., 2009).
a - Les réformes
Une première réforme essentielle est venue
modifier le dispositif de base : « la première version de la
PPE favorisait les travailleurs à temps plein plutôt que les
travailleurs à temps partiel ; ceci a été corrigé
par la réforme du barème survenue en 2003, mais les travailleurs
à temps très partiel (moins de 12 heures par semaine) restent
exclus du dispositif » (Stancanelli, Sterdyniak, 2004 : p 18). La
législation de 2003 (PPE perçue en 2003, sur revenus de 2002)
introduit donc la première modification du barème de la prime
avec la majoration pour temps partiel (Bonnefoy, Buffeteau, Cazenave, 2009). La
PPE a ainsi été recentrée sur le temps partiel à
cette époque avec un montant maximal pour 0,8 SMIC contre 1,4 dans la
version précédente (Périvier, 2003).
Sur le fondement des résultats obtenus aux
États-Unis, les modifications du dispositif initial de la PPE inscrites
dans la Loi de finances de 2003 étaient supposées accentuer
l'incitation au travail. Il était cependant peu probable que la PPE
induise les effets positifs sur la participation au marché du travail
observés aux États-Unis, et dans une
36 Cette objection a souvent été relancée
(Conseil de l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion Sociale, 2001).
27
moindre mesure au Royaume-Uni, et ceci pour deux raisons
principales : d'une part les différences entre les dispositifs sont trop
importantes pour que les mêmes effets se produisent, et d'autre part les
contextes économiques anglo-saxons et français ne sont pas
équivalents (particulièrement concernant le marché du
travail) (Périvier, 2003).
Pour réduire le délai entre une reprise d'emploi
et le versement de la prime, un acompte de 250 euros a été
versé à partir de 2004 aux personnes retrouvant un emploi. Pour
cette même raison, un dispositif de versement mensuel anticipé
avait été mis en place depuis, à partir du 1er janvier
2006, pour les contribuables ayant déjà
bénéficié de la PPE au titre de l'année
précédente (Bonnefoy et al., 2009).
La seconde réforme essentielle a tenté de
résoudre la contradiction qui consistait à donner plus de pouvoir
d'achat sans augmenter le coût du travail. De ce fait, le gouvernement De
Villepin avait décidé une hausse de la PPE de 50 %, et sa
mensualisation37. Cette prime qui s'élevait à un peu
plus de 500 euros par an a atteint 800 euros en 2006 (Chavigné,
2005).
L'année 2007 ne concerne qu'une revalorisation de la PPE
(Amar et al., 2008).
Bien que très critiquée, et après
discussion au printemps 2008, la PPE a été maintenue (la PPE
subsistait, ce qui était particulièrement discutable quand elle
allait aux tranches fiscales supérieures). Un compromis subtil avait
permis de fusionner la PPE et le RSA quand les deux allocations pouvaient se
cumuler et que le RSA dépassait la PPE, ce qui arrivait sur l'intervalle
de 0,3 à 1 SMIC pour un allocataire isolé (Mongin, 2010).
De 2002 et 2008 il s'est affirmée la volonté de
compléter davantage les revenus des travailleurs faiblement
rémunérés ; cet objectif s'est notamment exprimé
dans le Projet de loi de finances présentant la réforme de 2006
comme visant à transformer la PPE en véritable complément
de rémunération pour les bas revenus, incitant effectivement
à la reprise d'activité (Ministère de l'économie,
des finances et de l'industrie, 2005). La PPE a donc été
fortement majorée pour les personnes travaillant à temps partiel,
ou sur une partie de l'année, pour renforcer l'incitation à la
reprise d'emploi à temps partiel, jugée particulièrement
découragée encore en 2006 (Bonnefoy, et al., 2009). Ces
mesures ont participé à une montée en charge rapide du
dispositif. Cette croissance du volume et des effectifs est due effectivement
et principalement aux changements législatifs intervenus pendant cette
période, mais s'explique aussi par l'évolution de la population
entre 2002 et 2008, notamment en matière d'emploi et de revenu (elle
peut aussi s'expliquer par l'amélioration du degré de
connaissance du dispositif qu'en ont les potentiels destinataires) (Bonnefoy et
al., 2009).
37 « ...le versement de la prime sera
mensualisé à compter de janvier 2006 au moyen d'acomptes
versés par l'administration fiscale (sous forme de virements). Cette
mesure raccourcira le délai entre la période d'activité
ouvrant droit à la prime et son versement, ce qui vise à
renforcer le caractère incitatif du dispositif » (Cour
des comptes, 2006 : p. 294).
28
La législation de 2009 est identique à celle de
2008, le barème n'est pas revalorisé, mais la PPE est
articulée avec le RSA (Bonnefoy, et al., 2009 ; Sénat,
2015 - 2). Cette articulation, représente la troisième
réforme majeure38 du dispositif. « Mis en
place le 1er juin 2009, le RSA a pour objectif de lutter contre la
pauvreté, accroître le niveau d'activité et
améliorer l'efficacité de la dépense publique. Il assure
un revenu minimum pour les personnes sans ressources, tout en constituant un
complément de revenu durable pour les personnes à faible revenu
d'activité ; ces deux volets du dispositif sont respectivement
appelés RSA « socle » et RSA « chapeau
»39. La composante « socle
» du RSA résulte de la fusion du RMI et de l'API
réalisée « à droit constant »,
c'est-à-dire sans changement pour les personnes éligibles. La
composante « chapeau » est un complément du revenu pour les
travailleurs à revenu modeste : il est fonction du revenu
d'activité du foyer étant données sa configuration
familiale et ses autres ressources. Dans le cadre de la mise en oeuvre du RSA,
la PPE a été révisée pour garantir une articulation
entre les deux dispositifs. Cela s'est traduit par une non-revalorisation du
barème de la PPE et par l'instauration d'un mécanisme de non
cumul entre le RSA et la PPE. Ce non cumul ne concerne que la partie «
chapeau » du RSA : le RSA « chapeau » perçu chaque
année représente une avance de la PPE à percevoir
l'année suivante, le complément de PPE (PPE «
résiduelle ») n'étant alors versé que pour les
bénéficiaires ayant des droits à PPE supérieurs
à ce qu'ils ont déjà perçu via le RSA «
chapeau ». Le versement d'une PPE «résiduelle» à
des ménages percevant le RSA est plus ou moins fréquent selon les
configurations familiales. Il est plutôt rare au sein des couples ayant
deux enfants lorsqu'un seul des deux conjoints travaille. En revanche, il est
plus fréquent pour les familles de deux enfants où les deux
conjoints travaillent » (Bonnefoy, Buffeteau, Cazenave, 2009
: p. 94).
b - Les revalorisations
La législation de 2002 (PPE perçue en 2002, sur
les revenus de 2001) correspond à la première version de la Prime
pour l'emploi montée en charge, les taux de prime en vigueur ayant
été doublés (Bonnefoy, et al., 2009). Le
doublement de la Prime pour l'emploi est inscrit au budget 2002 et de ce fait
présente un caractère irréversible (Hagneré,
Trannoy, 2001). Il est à souligné que la PPE 2002 n'apporte que
peu de solution à l'endroit où une trappe à
inactivité est susceptible d'apparaître au niveau du temps
partiel, car elle y est très faible (Margolis, Starzec, 2005 ;
Périvier, 2003).
La législation de 2003 (PPE perçue en 2003, sur
revenus de 2002) introduit la première modification du barème de
la prime avec la majoration pour temps partiel (Bonnefoy et al.,
2009). La réforme de 2003 génère une augmentation de
la prime de 102 euros par
38 L'association de la PPE et du RSA forme ainsi un nouveau
système de complément aux bas revenus d'activité,
davantage centré sur un objectif de lutte contre la pauvreté des
familles de travailleurs (Bonnefoy et al., 2009).
39 « À la différence de
l'intéressement instauré pour le RMI et l'API, le RSA «
chapeau » est un dispositif qui, au-delà de l'aide incitative
à la reprise d'un emploi, assure un complément de revenus
pérenne aux personnes en activité » (Bonnefoy,
Buffeteau, Cazenave, 2009 : p. 94).
29
an au maximum pour un emploi à mi-temps d'un
salarié seul40 (Périvier, 2003). Pour ce faire, la PPE
est majorée de 45 % lorsque la durée annuelle travaillée
est inférieure à un mi-temps. La majoration décroît
ensuite progressivement, à mesure que la quotité
travaillée augmente (Legendre et al., 2004). La réforme est donc
essentiellement orientée cette année vers les temps partiel, avec
cependant une augmentation faisant apparaître une « bosse »
dans le traditionnel profil en « dos d'âne » de la PPE, en
fonction du revenu total (Legendre et al., 2004).
La législation de 2006 augmente les taux de prime et
revalorise la majoration pour temps partiel. La législation de 2007 est
une simple revalorisation des barèmes, de l'ordre de 30 % (Bonnefoy, et
al., 2009 ; Clerc, 2006). Le montant maximal de la prime est
porté de 714 euros au titre des revenus de 2005, et à 948 euros
pour les revenus de 2006 (Amar et al., 2008).
La législation de 2008, la dernière en date
avant le gel du barème, est équivalente à la
législation 2007 (barèmes simplement revalorisés),
relevant à nouveau les taux de prime et la majoration pour temps partiel
(Gomel, Méda, 2014). Toutefois, faits majeurs, 2008 est la
dernière année d'existence du RMI et de l'API, et sonne par
là-même l'arrivée du RSA et de son articulation avec la
Prime pour l'emploi, qui comme lui, complète les revenus
d'activité (Marical, 2009).
Depuis 2001, année de sa création, et jusqu'en
2008, la PPE n'a cessé de prendre de l'ampleur (annexe 4). La
valorisation globale de la PPE a plus que doublé depuis 2002, passant de
2,1 à 4,5 milliards d'euros entre 2002 et 2008, et le nombre de foyers
bénéficiaires de la PPE est passé de 8,5 millions en 2002
à 9 millions en 2008, tel que le démontre le tableau 5 (Bonnefoy
et al., 2009).
Tableau 5 : Évolution du montant total de la PPE
et du nombre de ses bénéficiaires depuis sa
création
Source : DGFIP in Bonnefoy et al 2009 : p. 90
40 « ...L'augmentation du montant de Prime
pour l'emploi versée aux travailleurs à temps partiel a permis de
cibler davantage cet impôt négatif sur les travailleurs les plus
modestes. En effet, le premier décile de niveau de vie a reçu 24
% du surcroît de la masse de Prime pour l'emploi induit par la mesure et
la répartition de ce surcroît est décroissante avec le
niveau de vie. Les effets redistributifs sont donc importants »
(Legendre et al. 2004 : p. 53).
30
D'un point de vue législatif, deux sortes de
changements ont participé à la montée en charge de la PPE.
D'abord, les taux de prime de la PPE ont augmenté significativement en
2006 puis en 2007. Au cours de la période 2001-2008, ils passent de 4,4
% à 7,7 % du revenu d'activité pour la partie constante du
barème (taux appliqué tant que le revenu annuel en
équivalent temps plein est inférieur à un SMIC). Ensuite,
une majoration de la PPE pour les personnes ayant exercé une
activité à temps partiel, ou sur une partie de l'année, a
été créée en 2003 puis relevée en 2006 et en
2007. Égal à 45 % en 2003, le coefficient technique
déterminant cette majoration s'élevait à 85 % en 2008.
L'augmentation des montants en euros s'explique aussi par les revalorisations
annuelles du barème de la PPE, le revenu fiscal de
référence et les majorations évoluant chaque année
au même rythme que le montant annuel du SMIC net imposable. Le montant de
la PPE cesse de croître en 2009, son barème n'ayant pas
été revalorisé (barème gelé au niveau de la
législation de 2008) (Bonnefoy et al., 2009).
« A structure de population et revenus
constants (euros 2008), les évolutions législatives conduisent
à un accroissement du montant de la PPE de presque 2 milliards d'euros
entre la législation 2002 et 2008. Cette hausse est liée non pas
à un accroissement du nombre de bénéficiaires (le nombre
de ménages bénéficiaires de la PPE baisse même
légèrement et leurs caractéristiques restent les
mêmes) mais à une forte augmentation des montants alloués
(+ 90 % entre les législations 2002 et 2008). Cette hausse est plus
sensible pour les personnes travaillant à temps partiel ou sur une
partie de l'année (« temps incomplet »), sous l'effet des
relèvements successifs de la majoration pour temps partiel, ainsi que
pour les couples où les deux conjoints travaillent. Ainsi, dans ce
raisonnement, sur une population figée, l'augmentation de PPE entre 2002
et 2008 est en moyenne de 330 euros pour les ménages
bénéficiaires dont au moins un des membres travaille à
« temps incomplet » contre 220 euros pour les autres ménages
bénéficiaires. Elle est de 330 euros pour les couples où
les deux conjoints ont un emploi, contre 160 euros pour les couples dont seul
un des conjoints travaille » (Bonnefoy et al.,
2009 : p. 92).
Globalement, jusqu'en 2008, les réformes de la PPE ont
davantage porté sur les montants alloués que sur les publics
visés, tel que le démontre le tableau 6 (Bonnefoy et al.,
2009).
31
Tableau 6 : Législations
successives de la PPE : nombre de
ménages bénéficiaires et montants
alloués
1 Un ménage bénéficie de la Prime pour
l'emploi si au moins un foyer fiscal qui le compose en bénéficie.
Lecture : en appliquant la législation 2008 à la
population caractéristique de France métropolitaine en 2008, 7,2
millions de ménages bénéficient de la PPE pour un montant
total de 4,2 milliards d'euros. Lorsqu'on applique la législation de
2002 à cette même population, 7,4 millions de ménages
bénéficient de la PPE pour un montant total s'élevant
à 2,3 milliards d'euros (en euros 2008).
Champ : France métropolitaine,
ménages ordinaires bénéficiant de la Prime pour l'emploi
(hors ménages dont la personne de référence est
étudiante), à structure de population et revenus de 2008.
Source : Bonnefoy et al., 2009,
in Insee-DGI, enquête Revenus fiscaux et sociaux
2006 (actualisée en 2008) : p 92.
La PPE, en qualification d'action publique, est une action
automatique (sans demande, sans revendication). Elle a émergé,
ainsi que ses différentes réformes, de façon progressive
par canaux multiples (Favre, 1992). Elle permet à la fois de
répondre à un besoin social, et de répondre à une
nécessité de politique économique de l'Exécutif
(à l'exemple de son aspect « redistributif »).
Il semblerait que la PPE, depuis sa création en 2001
sous le gouvernement Jospin, n'ait pas été impactée, sur
le plan cognitif, par des actions issues de « politiques
électorales » (voire politiciennes), desquelles elle n'aurait pas
pu être déduite41 (Leca, 1996). Elle a bien
vécu, tant par ses réformes que par ses revalorisations, les
passages d'alternances et de cohabitations de 2001 à aujourd'hui (pas
d'articulation complexe de programmes, le « liant » venant de la
méthode, et ne se réduisant pas à une stratégie
d'acteurs). Etant une mesure fiscale (et sociale), son mode de décision
publique est réduit (Gouvernement, Assemblée Nationale, Loi de
finances publiques) (Doligé, 2008). Elle est extraite des forums et
autres arènes politiques (Jobert, 1994). Sa mise sur agenda est
également simplifiée (simple programmation fiscale).
La PPE, à travers de ses différentes
réformes, a contribué à gommer les externalités
négatives induites par les inégalités, certains niveaux
d'inégalité restant moralement et socialement inacceptables
(Piketty, 1997).
41 Il n'a pas existé de bataille politique
particulière autours de la PPE, elle a autant associé, au long de
son histoire, la droite que la gauche (les néolibéraux y
compris).
32
Encadré 6 :
Les réformes successives de la PPE
« Lors de la création de la PPE en
2001, il était prévu de doubler la partie individualisable de la
prime en 2002. Ce doublement a en réalité été
introduit dès 2001 (au titre des revenus 2000) par la loi de finances
rectificative. Les taux ont donc été maintenus en 2002 (au titre
des revenus 2001) et les seuils d'éligibilité
réactualisés. En 2003 (pour les revenus de 2002), en revanche, le
triplement de la partie individualisable de la prime initialement
programmé a été abandonné et la PPE s'est vue
dotée d'une nouvelle majoration ciblée sur les travailleurs
à temps partiel, assortie d'une revalorisation des seuils
d'éligibilité
de 1,7 %. Cette majoration pour les temps partiels
est maximale pour un demi-SMIC et s'annule au niveau du SMIC. Elle se calcule
ainsi : Pour un temps de travail inférieur au mi-temps, la prime est
majorée de 45 %. Pour un temps de travail supérieur au mi-temps,
le calcul de la prime se fait par la formule : PPE = 0,55 (PPE hors majoration)
+ 0,45 (PPE de base) (la prime de base est la prime calculée sur le
revenu converti en équivalent temps plein). Le projet de loi de finances
2004 (concernant la PPE versée en 2004 au titre des revenus 2003) a
ensuite revalorisé tous les seuils, plafonds et limites de revenus
servant au calcul de la PPE. Par ailleurs, les taux permettant le calcul du
montant de la prime ont également été rehaussés
(passant respectivement de 4,4 % à 4,6 % et de 11 % à 11,5 %).
Mais surtout, ce projet de loi instaure la possibilité de versement d'un
acompte forfaitaire qui permettrait de percevoir environ la moitié de la
prime bien avant la date de paiement de l'impôt sur le revenu : les
personnes qui justifient d'une activité professionnelle d'une
durée au moins égale à 6 mois débutée au
plus tôt le 1er octobre de l'année précédente et qui
ont été, pendant les 6 mois précédents, sans
activité professionnelle et inscrites comme demandeurs d'emploi ou
titulaires de certains minima sociaux peuvent demander un acompte de PPE d'un
montant forfaitaire de 250 euros. Entre 2005 et 2007 (pour les revenus de 2004
à 2006), la Prime pour l'emploi a pris de l'ampleur en tant qu'outil
redistributif du fait de la forte augmentation des montants distribués.
Le renforcement de la majoration temps partiel (ou incomplet) a
également accentué son caractère potentiellement
incitatif. Les montants de PPE ont été majorés de
près de 75 % en deux ans. Ainsi, le montant maximal de la part
individuelle passe de 538 euros en 2005 à 714 euros en 2006 et 948 euros
en 2007 (les taux utilisés pour le calcul de la prime ont
été rehaussés de 4,6 % à 7,7 % et de 11,5 %
à 19,3 % entre 2005 et 2007). Par ailleurs, les conditions de versement
de l'acompte ont été assouplies (elles concernent
désormais les personnes justifiant d'une activité professionnelle
d'une durée au moins égale à 4 mois) et les montants
augmentés (de 250 à 300 puis 400 euros). Enfin, un système
de mensualisation de la prime a été instauré pour les
personnes ayant bénéficié de la PPE l'année
précédente » (Arnaud et al.,
2008).
c - Le dispositif
aujourd'hui
L'actualité du dispositif de la PPE est la
résultante des réformes et revalorisations appliquées
jusqu'en 2009.
33
1 - Le dispositif actuel
La Prime pour l'emploi « est attribuée
aux personnes exerçant une activité professionnelle
salariée ou non salariée sous conditions de ressources. Son
montant est calculé en pourcentage du revenu d'activité. Elle est
déduite de l'impôt sur le revenu à payer ou versée
directement au bénéficiaire s'il n'est pas imposable. Pour
percevoir la PPE, il suffit de remplir les rubriques concernant cette aide sur
la déclaration d'impôts ». (Ministère du
Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle, et du Dialogue social,
2015)42. Contrairement au RSA, la demande de PPE n'implique aucune
démarche de la part du contribuable, elle est automatiquement
calculée par l'administration fiscale (Gomel, Serverin, 2013), ce qui va
dans le sens de la justice sociale (au sens de l'égalité des
chances), évitant ainsi certaines situations de non-recours (Warin,
2010).
Pour obtenir la PPE, l'un, au moins, des membres du foyer
fiscal doit avoir une activité salariée ou non salariée,
à temps partiel ou non, du secteur public ou privé (annexe 5).
Les personnes éligibles à la PPE doivent être fiscalement
domiciliées en France. Dans les faits, il est demandé de
déclarer son nombre total d'heures travaillées dans
l'année (ou de déclarer avoir travaillé à plein
temps toute l'année). Cette prime est « payée » par
l'Etat dans le but de favoriser le passage d'une prestation sociale (de type
RSA par exemple) à l'emploi, en augmentant l'écart entre revenus
du travail et revenus d'inactivité (Raulin, 2001 - 2). La PPE prend la
forme d'un impôt négatif (crédit d'impôt
récupérable).
2 - Un accès sous conditions de
ressources et d'activité
En 2015, le revenu fiscal de référence du
demandeur (revenu 2014) ne doit pas excéder 32 498 € pour un couple
marié (ou pacsé43), ou 16 251 € pour les
célibataires, veufs ou divorcés. Ces montants sont majorés
de 4 490 € pour chaque demi-part s'ajoutant à une part (personne
seule) ou à deux parts (couple marié ou pacsé).
La majoration s'élève à 4 490 €
divisés par deux pour chaque quart de part lié à la
présence d'un enfant en résidence alternée. De plus, le
foyer fiscal du bénéficiaire de la prime ne doit pas être
assujetti à l'impôt sur la fortune (ISF). « Le
montant total de la PPE accordée au foyer fiscal est minoré des
sommes perçues au cours de l'année civile par les membres de ce
foyer fiscal au titre du RSA, à l'exclusion des montants correspondant
à la différence entre le montant forfaitaire du RSA (dont le
niveau varie en fonction de la composition du foyer et du nombre d'enfants
à charge) et les ressources du foyer prises en compte pour
apprécier le droit au RSA »
(Ministère du Travail, de l'Emploi, de la
Formation professionnelle, et du Dialogue social, 2015).
42 A ce titre, il est important de souligner que les
conditions de bénéfice de la PPE sont déclaratives, et
pour certaines (par exemple le caractère incomplet de l'activité)
coûteuses à contrôler dans le cadre de déclarations
fiscales, ce qui aboutit à une proportion non négligeable de
paiements indus (Cahuc et al., 2008 ; Cour des comptes, 2006 ; Elbaum,
2007).
43 De Pacte civil de solidarité (PACS).
34
« Pour l'année 2014 (PPE versée
en 2015), le montant des revenus d'activité de chaque personne
susceptible de bénéficier dans le foyer fiscal de la PPE doit
être d'au moins
3 743 euros (cette limite n'est jamais
proratisée même en cas de changement de situation de famille en
cours d'année) sans excéder les plafonds suivants
:
17 451 euros si la personne est
célibataire, veuve, divorcée sans enfant ou avec des enfants
qu'elle n'élève pas seule ; ou si elle est mariée ou
pacsée, lorsque le couple est soumis à imposition commune et que
chacun des conjoints occupe un emploi lui procurant au moins 3 743 euros ; ou
si le bénéficiaire éventuel de la prime est une personne
à charge du foyer exerçant une activité
professionnelle.
26 572 euros si la personne est mariée ou
pacsée, lorsque le couple est soumis à imposition commune et que
seul l'un des deux conjoints occupent un emploi lui procurant au moins 3 743
euros ; ou si la personne est célibataire, veuve ou divorcée et
élève seule un ou plusieurs enfants à
charge.
Les revenus exonérés d'impôt
sur le revenu au titre des heures supplémentaires ou
complémentaires sont retenus dans le montant des traitements et salaires
pris en compte pour apprécier les limites de revenus conditionnant le
bénéfice ou le montant de la Prime pour
l'emploi.
En cas de travail à temps partiel ou de
travail à temps plein sur une partie de l'année seulement, le
revenu d'activité est recalculé en « équivalent temps
plein » sur une année entière pour apprécier les
plafonds de revenus respectifs de 17 451 euros et 26 572 euros. Sur ce point,
on peut se renseigner auprès de son centre des impôts »
(Ministère du Travail, de l'Emploi, de la
Formation professionnelle, et du Dialogue social, 2015).
3 - Quel est le montant de la PPE
?
« Le montant de la PPE individuelle est
calculé en pourcentage du revenu d'activité
déclaré. Le pourcentage appliqué varie selon le montant de
ce revenu. La prime attribuée au foyer fiscal correspond au total des
primes individuelles éventuellement majoré en fonction du nombre
de personnes à la charge du foyer (majoration de 36 ou 72 euros selon le
cas). Le montant de la prime tel que calculé par l'administration
fiscale, apparaît sur l'avis d'imposition de l'année en question.
La prime n'est pas due lorsque son montant total, au titre du foyer fiscal, est
inférieur à 30 euros »
(Ministère du Travail, de l'Emploi, de la
Formation professionnelle, et du Dialogue social, 2015).
Il est à préciser qu'il existe des dispositions
particulières s'agissant des journalistes, et d'autres professions
à statut particulier (Cadres au forfait, Voyageurs représentants
placiers (VRP), assistantes maternelles, gardiens d'immeuble, employés
de maison, saisonniers agricoles, auteurs compositeurs...).
35
Encadré 7 : Quelques chiffres sur la
PPE
En 2006, la PPE touchait un foyer sur quatre, avec une moyenne
de 377 €. Son coût total est de 3,2 milliards d'euros en 2008, elle
est versée à 8,7 millions de salariés modestes (Laurent,
2010). En 2011, elle touchait 6,7 millions de foyers, avec une moyenne annuelle
de 450 € (Lévêque, 2012).
Depuis sa création en 2001, la PPE n'a cessé de
prendre de l'ampleur. Par exemple, le montant global de la PPE a plus que
doublé depuis 2002, passant de 2,1 à 4,5 milliards d'euros entre
2002 et 2008, et le nombre de foyers bénéficiaires de la PPE est
passé de 8,5 millions en 2002 à 9 millions en 2008 (Bonnefoy et
al., 2009 ).
Roger Godino, conseiller du premier ministre Michel Rocard de
1988 à 1991, avait proposé en 1997 la création d'une
Allocation compensatrice du revenu (ACR) destinée à permettre aux
individus travaillant à temps partiel de percevoir une fraction
dégressive du RMI. Cette proposition avait fait l'objet de nombreux
commentaires et d'études, mais n'avait pas été retenue
(Gravel, 2002). « Défendue par Martine Aubry, alors
ministre de l'Emploi, l'idée d'un crédit d'impôt prenant la
forme d'un remboursement de la contribution sociale
généralisée (CSG) a été
écartée... ... au profit de l'allègement direct de la CSG
sur les bas salaires, préconisé par Laurent Fabius...
...contrairement au crédit d'impôt, techniquement difficile
à mettre en place, les allègements de CSG, appliqués
directement sur la fiche de paie, permettaient une hausse du pouvoir d'achat
des salariés modestes... ...le Conseil constitutionnel annule la
mesure... Le gouvernement devait trouver d'urgence une solution de rechange. Du
coup, Matignon a ressorti des tiroirs l'idée du crédit
d'impôt, rebaptisé... ... par Lionel Jospin Prime pour l'emploi
» (Raulin, 2001 - 2).
La PPE a été influencée par la mise en
place de crédits d'impôt sur le revenu aux Etats-Unis (Earned
Income Tax Credit) et au Royaume-Uni (Working Families Tax Credit),
pour stimuler l'activité et lutter contre le
phénomène des travailleurs pauvres (Cour des comptes, 2006). Ces
expériences étrangères ont fourni un terrain d'analyse
fertile s'agissant des effets incitatifs et redistributifs des crédits
d'impôt (Périvier, 2003). Mais à l'inverse des mesures
adoptées dans les pays anglo-saxons, la France, avec la PPE, a
opté pour une mesure largement diffusée dans la population, et ce
défaut de ciblage s'est traduit par de faibles montants
distribués (Arnaud et al., 2008).
Le caractère faiblement incitatif d'une reprise
d'emploi à mi-temps (trappe à inactivité) pour un
allocataire de minima sociaux était unanimement décrié
avant l'instauration de la loi dite « Aubry ». Celle-ci,
conjuguée à d'autres mesures, dont la Prime pour l'emploi,
modifia la situation des personnes concernées. Désormais, le
revenu disponible est une fonction croissante de la durée du travail,
quel que soit l'horizon temporel adopté (Hagneré, Trannoy, 2001).
A cet égard, comme sur celui de la lutte contre la pauvreté
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laborieuse et les inégalités, la PPE affiche des
points positifs, mais de nombreuses questions subsistent. En effet, la PPE a de
tout temps suscité de sincères critiques, et de réelles
interrogations, alors même qu'elle n'a pas été
impactée, sur le plan cognitif, par des actions issues de politiques
électorales ou politiciennes. Ses impacts ont été
rapidement remis en cause, soulevant même la question de savoir s'il
était utile de la maintenir (Dupond, Sterdyniak, 2001).
La PPE, par le biais d'un crédit d'impôt
récupérable, a une fonction redistributive centrale à
travers l'incitation au retour à l'emploi et au maintien de
l'activité (particulièrement par l'intéressement des
minimas sociaux). Elle ne cherche pas cependant à compenser
l'insuffisance des revenus liée à une faible durée de
travail annuel. Elle ne concerne que les actifs au travail ayant des revenus se
situant entre 0,3 et 1,4 SMIC, selon leur configuration familiale (triple
condition de ressources individuelles et familiales, et d'activité).
Elle se pose en double lutte : celle contre la pauvreté laborieuse, en
redistribuant du pouvoir d'achat aux travailleurs et aux ménages
pauvres, et celle contre les trappes à inactivité (et l'exclusion
sociale qui peut en découler), en créant un écart entre
revenu d'activité et d'inactivité, rendant le travail plus
rémunérateur (Making work pay) sur l'exemple britannique
et américain. La PPE est à la fois une mesure sociale et fiscale
qui permet de majorer le taux de salaire net sans accroître le coût
salarial, en maintien de la rentabilité des entreprises et de la
compétitivité du modèle français (Périvier,
2003).
Il a été vérifié que, bien que
fondée sur les mêmes principes, la PPE se différencie assez
fortement des exemples étrangers (le Working Families Tax Credit
(WFTC) britannique et L'Earned Income Tax Credit (EITC)
américain). La PPE est en effet moins ciblée et les montants
alloués sont moins importants (certains auteurs font état d'un
« saupoudrage » et non d'un ciblage de la PPE).
La PPE semble peu visible en faveur de l'incitation au
travail, de part la faiblesse des sommes distribuées (conjuguée
à une distribution peu ciblée), et de part ses modalités
de versement qui la décalent de 9 à 18 mois. De plus, «
la familiarisation partielle de la PPE peut désinciter à la
bi-activité dans les ménages comportant deux adultes »
(Cahuc et al., 2008 : p. 77). Enfin, les conditions
d'accès et le fonctionnement général du dispositif
sont-ils suffisamment connus, tant des populations concernées que de
celles qui n'y ont pas droit (Annexe 6, 7, et 8 ; Cour des comptes, 2006) ?
Depuis sa création, la Prime pour l'emploi a
été réformée et revalorisée à
plusieurs reprises, traduisant la volonté des gouvernements successifs
de soutenir le revenu des travailleurs modestes autrement que par les revenus
du travail (Bonnefoy et al, 2009), alors même que la PPE,
dès son lancement en 2001, avait fait l'objet de vives critiques et
interrogations. En effet, ses impacts ont été rapidement remis en
cause, jusqu'à soulever même la question de savoir s'il
était utile de la maintenir (Dupond, Sterdyniak, 2001). Alors qu'en
est-il réellement ?
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