INTRODUCTION GENERALE
1 Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des
affaires, Traité du 17 octobre 1993. JO OHADA n°4> 01/11/97,
P.1&s.
Dans le contexte actuel de libéralisation des
économies marqué par la rupture des barrières
commerciales, le développement économique des Etats passe
nécessairement par le renforcement des capacités productives du
secteur privé, et donc la facilitation de l'activité des
entreprises. Or, une entreprise ne peut fonctionner de façon efficace et
efficiente que lorsqu'elle a facilement accès au crédit pour le
financement de ses activités. L'obtention des crédits est
tributaire de l'exigence de la présentation des garanties suffisantes
pour mériter la confiance des bailleurs de fond. A cet effet, les
entreprises disposent des biens qui peuvent faire l'objet des
sûretés classiques, mobilières ou immobilières. Il
en est ainsi des droits de propriété intellectuelle, dont la
protection de plus en plus rigoureuse en Afrique, en fait des biens d'une
importante valeur économique, pouvant être affectés en
garantie d'une obligation.
Contrairement aux sûretés personnelles qui sont
des garanties qui résultent des engagements pris par une ou plusieurs
personnes pour soutenir le débiteur, l'affectation en garantie des biens
constitue des sûretés réelles. Traditionnellement, le code
civil distinguait plusieurs types de sûretés réelles, les
plus notoires étant l'hypothèque essentiellement
immobilière, et le nantissement, qui pouvait indistinctement porter sur
les meubles et sur les immeubles. Le principal critère de distinction
des deux types de sûretés réelles était la
dépossession, inexistante pour l'hypothèque, déterminante
pour le nantissement. Cette catégorisation classique est de plus en plus
remise en cause, autant par la législation française, que par la
législation communautaire africaine OHADA1, toutes deux
inspirées par une importante production doctrinale.
taxoiae de VE é ea daoit laid, o/ifiac daoit dee
4024)1e4, Itaivewité de Zlaouadé .
4e gage dee dnoita de fiaftaiété
uatelleeeta4ée dama l'eafiaee Off, D,1
En effet, la notion de nantissement que le C.civ.
définissait comme un contrat réel caractérisé par
la remise d'une chose2 a beaucoup évolué, autant dans
sa définition que dans son contenu. Le gage et l'antichrèse, qui
constituaient les modalités du nantissement3 ont
désormais tendance, soit à s'autonomiser pour l'un, soit à
s'éteindre pour l'autre.
Dans un récent rapport4, une commission
d'experts français a proposé de faire du gage et du nantissement
deux sûretés mobilières autonomes, respectivement
consacrées l'une aux meubles corporels et l'autre aux meubles
incorporels. Cette nouvelle organisation des sûretés
réelles avait déjà été consacrée
quelques années plutôt par le législateur OHADA qui dans
son AUS5 consacre un chapitre entier au gage et un autre aux
« nantissements sans dépossession », tous deux
considérés comme des sûretés mobilières. En
procédant ainsi, l'AUS fait du gage et du nantissement deux
sûretés mobilières autonomes et ôte toute substance
à l'antichrèse. Le nantissement n'est pas défini de
façon expresse par l'AUS, mais il porte sur les meubles en
général, qu'ils soient corporels ou incorporels, et se
caractérise par l'absence de dépossession du constituant. Quant
au gage, l'article 44 de l'AUS le définit comme un contrat qui,
contrairement au nantissement, se caractérise par le dessaisissement du
constituant6. Mais comme lui, il porte sur les meubles uniquement.
Le critère déterminant pour la distinction de ces deux
sûretés est donc le « déplacement »7
ou non de l'objet sur lequel elles portent, indépendamment de leur
matérialité ou de leur
immatérialité8.
2 Code Civil, art 2071 « Le nantissement est un
contrat par lequel un débiteur remet une chose à son
créancier pour sûreté de la dette »
3 C.Civ, art. 2072 « Le nantissement d'une chose
mobilière s'appelle gage, celui d'une chose immobilière
antichrèse »
4 V. en ce sens, le rapport du groupe de travail relatif à
la réforme du droit des sûretés en France, 28 mars 2005
5 Acte Uniforme portant organisation des sûretés, 17
avril 1997. J.O. OHADA, 01/07/98, P.1&s.
6 AUS, art 44 « Le gage est le contrat par lequel un
bien meuble est remis au créancier ou à un tiers convenu entre
les parties pour garantir le paiement d'une dette »
7 ROBLOT (R), Des sûretés mobilières sans
déplacement, in droit privé au milieu du XXe siècle,
études offertes à RIPERT (G), L.G.D.J, 1950, T.2, P362
8 AUS, art. 46 « Tout bien meuble, corporel ou
incorporel, est susceptible d'être donné en gage »
10
taxoiae de VE é ea daoit laid, o/ifiac daoit dee
4024)1e4, Ztirivewaé de Zlaoukdé .
4e gage dee dnoita de fi4ftaiété
uatelleeeta4ée dama l'eafiaee Off, D,1
On peut donc en déduire que le nantissement n'a qu'un
domaine limité aux cinq catégories mobilières
énoncées de façon expresse à l'article 63 de
l'AUS9. Toutefois, une ambiguïté existe pour ce qui est
des droits de propriété intellectuelle.
Ceux-ci sont un ensemble de prérogatives reconnues
à certaines personnes du fait de leurs créations artistiques ou
techniques. Ces prérogatives leur confèrent des monopoles
temporaires d'exploitation qui s'apparentent à de véritables
propriétés sur les biens immatériels10. La
valeur économique rattachée à ces monopoles en fait
d'importants actifs qui peuvent être transmis en tout ou partie, soit en
tant qu'élément d'un fonds de commerce, soit en dehors de tout
fonds de commerce.
Lorsque les droits de propriété intellectuelle
sont compris dans un fonds de commerce, leur affectation en garantie
épouse le régime du nantissement sans dépossession
réglementé par les articles 69 et suivants de l'AUS. Mais il peut
arriver que les droits de propriété intellectuelle ne soient pas
contenus dans un fonds de commerce, ce qui ne devrait en rien faire obstacle
à leur affectation en garantie. C'est le cas notamment lorsque le
titulaire de ces droits n'est pas commerçant. Il peut aussi arriver que
ces droits soient les éléments constitutifs d'un fonds de
commerce, mais que le titulaire souhaite les mettre en gage sans pour autant
engager tout son fonds de commerce. Dans de telles hypothèses, les
articles 69 et suivants relatifs au nantissement du fonds de commerce
deviennent inappropriés et le recours à l'article 53 s'impose.
Cet article énonce que « les
propriétés incorporelles sont mises en gage dans les conditions
prévues par les textes particuliers à chacune d'elles. A
défaut de disposition légale
9 AUS, art. 63 « Peuvent être nantis sans
dépossession du débiteur :
- Les droits d'associés et valeurs mobilières
- Le fond de commerce
- Le matériel professionnel
- Les véhicules automobiles
- Les stocks de matière première et de
marchandises.
10 ZENATI, pour une rénovation de la théorie de la
propriété. In RTD civ. 1993 P.309
11
taxoiae de VE é ea daoit laid, o/ifiac daoit dee
4024)1e4, Ztirivewaé de Zlaoukdé .
4e gage dee dnoita de fi4ftaiété
eatelleeeta4ée dama l'eafiaee Off, D,1
ou de stipulation contraire, la remise au créancier
du titre qui constate l'existence du droit opère dessaisissement du
constituant ».
Les propriétés incorporelles ainsi
évoquées concernent plusieurs catégories de meubles tel
les créances et surtout les propriétés intellectuelles sur
lesquelles nous consacrerons des développements relatifs à leur
mise en gage. A cet effet, l'article 53 invite à distinguer selon que le
législateur a prévu un texte particulier pour l'organisation de
cette sûreté ou pas. Lorsqu'il en existe un, il faut s'y
référer pour cerner le régime de cette sûreté
spéciale. Lorsqu'il n'en existe pas un, les parties pourront
préciser leur sûreté par des clauses contractuelles. A
défaut, on appliquera le régime supplétif de l'article
53 in fine qui propose que le dessaisissement du constituant se fasse par
la remise au créancier du titre qui constate l'existence du droit.
La question de savoir quels sont ces textes particuliers qui
organisent le régime du gage des droits de propriété
intellectuelle devient inévitable, pourtant il n'existe pas de
réponse satisfaisante. En effet, le droit de la propriété
intellectuelle est codifié dans les pays de l'espace OAPI11,
qui sont à quelques exceptions près tous signataires12
du Traité OHADA, par l'Accord de Bangui révisé du 24
février 1999. Cet accord peut être complété dans le
cas du Cameroun par les lois n°2000/010 et 2000/011 du 19 décembre
2000 portant respectivement sur le droit d'auteur et les droits voisins, et sur
le dépôt légal. Le recours à ces législations
spéciales n'a pourtant rien d'enrichissant, car elles sont silencieuses
ou presque sur le gage. En effet, bien que la législation sur le droit
d'auteur et les droits voisins organise certains contrats spéciaux en la
matière, notamment les contrats d'édition et de reproduction,
elle demeure absolument muette quant au contrat de gage.
11 Organisation Africaine de la propriété
Intellectuelle.
12 La République Fédérale Islamique n'est
signataire que du Traité OHADA, alors que l'île Maurice n'est
signataire que du Traité OAPI.
12
taxoiae de VE é ea daoit laid, o/ifiac daoit dee
4024)1e4, Ztirivewaé de Zlaouadé .
4e gage dee dnoita de fiaftaiété
eatelleeeta4ée dama l'eafiaee Off, D,1
Il en est de même de l'Accord de Bangui qui se borne
à préciser dans quelques unes de ses dispositions que le gage des
droits de propriété intellectuelle n'est valable que s'il est
constaté par un écrit13, et n'est opposable aux tiers
que s'il est inscrit14 dans les registres de la
propriété intellectuelle. Concrètement, l'Accord de Bangui
ne dit rien sur la nature de ce gage, sur les modalités de sa mise en
oeuvre et de sa réalisation. Ce mutisme des législations
spéciales permet d'affirmer qu'il existe en la matière un vide
juridique15, qui pousse à s'interroger sur le régime
juridique du gage des droits de propriété intellectuelle dans
l'espace OHADA. S'agit-il d'un gage ordinaire de droit commun, ou s'agit-il
d'un gage spécial présentant certaines particularités ?
S'il s'agit d'un gage de droit commun, on étudiera comment le
caractère incorporel des droits de propriété
intellectuelle a priori rebelle à la
dépossession16, s'accommode à cette
sûreté qu'une partie de la doctrine semblait rattacher aux seules
choses corporelles, celles incorporelles étant par nature insusceptibles
de possession17. S'il s'agit plutôt d'un gage spécial,
l'essentiel du travail portera sur la recherche de ses
spécificités.
Le régime de cette sûreté est davantage
complexifié par l'inadéquation entre les orientations
données à l'article 53 in fine de l'AUS et les
spécificités des droits de propriété
intellectuelle. En effet, cette disposition suggère un dessaisissement
du constituant par remise du titre. Or, les droits de propriété
intellectuelle ne sont pas toujours constatés par un titre. C'est le cas
notamment pour les droits d'auteurs qui naissent du seul fait de la
réalisation même inachevée de la conception, et en
l'absence de tout titre les constatant. Lorsqu'il y a un
13 Accord de Bangui révisé, 24 février
1999. Annexe 1, art. 33(2) « Les actes comportant, soit transmission
de propriété, soit gage ou main levée de gage relativement
à une demande de brevet, ou à un brevet, doivent sous peine de
nullité, être constatés par écrit »
14 Accord de Bangui révisé, 24 février
1999, Annexe 1, art. 34 « Les actes mentionnés à
l'article précèdent ne sont opposables aux tiers que s'ils ont
été inscrits au registre spécial des brevets tenu par
l'organisation. Un exemplaire des actes est conservé par l'organisation
»
15 ISSA SAYEGH (J), Traité et actes uniformes
commentés et annotés, Juriscope 2002 T2. P646
16 SEUNA (C), L'informatique et la nouvelle loi camerounaise
sur le droit d'auteur et les droits voisins, thèse, Université de
Yaoundé II. 2006
17 MALAURIE (P) et AYNES (L), Droit civil, Les biens,
édition 94, Cujas P.61 « Seuls les choses corporelles peuvent
être possédées »
13
I%%xova de VE é ea daoit laid, o/ifiorc daoit dee
4024)1e4, Itaivewai de Zlaouadé .
4e gage dee dnoita de fi4ftaiété
urtelleeeta4ée dama l'eafiaee Off, D,1
titre, comme en matière de brevet ou de marque, la
remise de ce titre au créancier est inutile. Car elle ne réalise
aucune emprise sur les droits. Puisqu'elle n'empêche pas le constituant
d'user de ces droits, elle ne suppose qu'une dépossession fictive.
En réalité, ces deux inadéquations
illustrent les lacunes du régime légal du gage des droits de
propriété intellectuelle, dont l'analyse pourrait aboutir
à la remise en cause de la nature même de cette
sûreté, pour en faire simplement un nantissement. Il en est ainsi
dans l'article 69(2) de l'AUS, où ils sont plutôt nantis en tant
qu'élément d'un fonds de commerce. En droit français, on
assiste également à un foisonnement des nantissements sans
dépossession portant sur les droits de propriété
intellectuelle18.
Cette problématique présente un double
intérêt théorique et pratique. Sur le plan
théorique, c'est la nature du contrat de gage qui est en cause. Il
deviendrait un contrat solennel si on écarte l'exigence de la remise du
titre qui en plus d'être inutile ne réalise qu'une
dépossession fictive. La formation du gage se résumerait alors au
respect des seules règles de forme édictées par les
annexes de l'Accord de Bangui révisé. En outre, la mise à
l'écart du dessaisissement, ou mieux, la réalisation de la
dépossession par les seules mesures de publicité rapprocherait le
gage des droits de propriété intellectuelle du nantissement sans
dépossession. Sur le plan pratique, la classification du gage des droits
de propriété intellectuelle dans le régime de droit commun
du gage reviendrait à assimiler les biens corporels à ceux
incorporels, nonobstant le caractère immatériel de ces derniers
qui rend complexe la dépossession. Cette attitude ne peut aboutir
qu'à un dessaisissement fictif dont la
18 Nantissement des films cinématographiques, loi du 22
février 1994 Nantissement des droits d'exploitation d'un logiciel, loi
n°94-361 de mai 1994
14
4e gage dee dnoita de fiaftaiété
eatelleeeta4ée dama l'eafiaee Off, D,1
mise en oeuvre aboutirait à l'insécurité
du créancier gagiste, et constituerait un obstacle à
l'épanouissement de cette sûreté19.
Une analyse critique du droit positif sur la question,
permettra d'apprécier la nature et l'efficience du gage des droits de
propriété intellectuelle tel qu'il est codifié. Toutefois,
si on procède par une présentation générale de
cette sûreté avant d'envisager la réflexion quant à
sa pertinence, on ne serait pas à l'abri des redondances.
C'est pourquoi, une démarche évolutive et a
priori plus dynamique voudrait qu'on analyse de façon exhaustive
chaque élément du régime de cette sûreté,
afin de tirer des conclusions partielles qui peuvent être utiles dans les
développements postérieurs. Ainsi, on verra que
l'inadéquation des conditions de constitution du gage des droits de
propriété intellectuelle (Titre 1) rend inévitable la
réorganisation de ses effets (Titre 2).
I%%xova de VE é ea daoit laid, o/ifiac daoit dee
4024)1e4, Itaivewité de Zlaouadé .
19 ) Cf. infra, chapitre 3, section 1, paragraphe 2. Le gage avec
dépossession des DPI entraîne à l'égard du
créancier des conséquences assez graves du fait des obligations
liées à l'exercice du droit de rétention.
15
4e gage dee dnoita de fiaftaiété
eatelleeta4ée dama l'e ftaee Off, D,1
|