I. 2 « Contexte socio-historique »
Cette partie socio-historique restitue d'une manière
chronologique les fondements paradigmatiques du concept d'isolement. Nous
partons de l'Antiquité, puis nous faisons un arrêt sur le
19ème siècle, parcourons le 20ème et
finissons par situer le concept dans l'offre de soin actuelle.
La question du traitement de l'agitation se pose dès
l'Antiquité. Friard (1998), rappelle que deux médecins
s'opposaient ; Celse préconisait un traitement de l'agitation par un
isolement physique et alimentaire brutal, alors que Soranos d'Ephèse
préférait attacher avec douceur (« liens en flocons de laine
»).
Pour autant, les fondements de la pensée psychiatrique
naissent à l'aube du 18eme. Comme le mentionne Michel
Foucault dans son « Histoire de la folie à l'Age classique »,
3 on « enferme » beaucoup au 17e et au
18e siècle au sein de ce qu'on appelait l'Hôpital
Général. A la période classique, on regroupe un ensemble
disparate de personnes. Par le décret Royal de 1656, on rassemble
à l'Hôpital Général des personnes infirmes, des
personnes âgées, des vénériens, des
prostituées, des pauvres et puis des fous. Ainsi nous pouvons
repérer la première étape d'une institutionnalisation
publique de la prise en charge de la maladie mentale; cette dernière
constituant également le
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Pour Foucault l'âge classique correspond à la
période qui s'étend du milieu du 17e à la fin
du 18e.
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fondement d'un savoir classificateur, d'une future nosographie
que Philippe Pinel augurera.
La naissance du cadre épistémologique se situe
à la fin du siècle des Lumières. La lecture de Pinel ou
d'Esquirol constitue une entité, en l'occurrence l'aliénation
mentale. Cette dernière constitue un paradigme fondamental : le
traitement moral et son concept central l'isolement, qui retient notre
attention.
Le terme de psychiatrie apparaît en 1802 sous la plume
de Reil ( psychiaterie ) en allemand. Philippe Pinel est un peu
l'éponyme de cette spécialité naissante que
représente la médecine de l'aliénation, reconnu comme le
« père fondateur » d'une nouvelle approche scientifique.
A la même époque Chiarigi en Italie et Tuke en
Angleterre introduisent le traitement moral fondé sur le principe de
l'humanisation des soins et d'une action éducative, tout en
prônant l'abandon de la contention physique. Il y a dès cette
époque un mouvement qui considère l'insensé un être
hors de la communication humaine, comme un aliéné. Sa
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raison n'est pas considérée comme
aliénée complètement : la communication reste possible.
C'est la conception de cette communication qui reste possible, qui fonde
l'idée et la justification d'un traitement moral. D'ailleurs Hegel
(1816) salue Philippe Pinel, qui le premier pour lui, a reconnu ce reste de
raison dans l'esprit de l'insensé. La folie devient, dans cette
perspective une maladie au même titre que les autres maladies, à
cela près qu'elle est une maladie mentale.
Pinel symbolise donc ce mythe ou il libère les fous de
leurs chaînes :
« Jusqu'à l'année 1794, les fous
étaient enchaînés partout en Europe. On n'imaginait pas
qu'on dût mieux faire. Pinel brisa les chaînes qui
flétrissaient, qui mutilaient, qui irritaient ces malheureux.
Quatre-vingts aliénés de Bicêtre furent
déchaînés. Tous les autres aliénés furent
traités avec plus de douceur. On ne distribua plus de nerf de boeuf
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A l'Age classique on dit insensé car on pense que ce
dernier a fait le choix d'être fou.
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au garçon de service. De ce changement, il
résultat que plusieurs fous regardés comme incurables,
guérirent. Et que les autres furent tranquilles, et plus faciles
à diriger », Scipion Pinel (1838).
Néanmoins Pinel (1801), grâce à son «
Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale
» permet une approche « scientifique » qu'il appela le
traitement moral. Ce traitement moral devait rétablir la communication
entre le reste de raison de l'aliéné et la raison de
l'aliéniste.
Mais si Pinel inaugure une sémiologie nouvelle, le
véritable théoricien de l'isolement sera Esquirol. Voilà
comment Esquirol envisageait l'isolement. Il dit:
« L'isolement des aliénés,
séquestration, confinement, consiste à soustraire
l'aliéné à toutes ses habitudes en l'éloignant des
lieux qu'il habite, en le séparant de sa famille, de ses amis, et de ses
serviteurs, en l'entourant d'étrangers, en changeant toute sa
manière de vivre. L'isolement a pour but de modifier la direction de
l'intelligence et des affections des aliénés c'est le moyen le
plus énergique et ordinairement le plus utile pour combattre les
maladies mentales. »
Cette autre citation illustre bien l'idée fondamentale
d`Esquirol (1832) : « Une maison d'aliéné est un instrument
de guérison, entre les mains d'un médecin habile, c'est l'agent
thérapeutique le plus puissant. » Cette volonté
s'inscrit par ailleurs dans un siècle ou le rationalisme
expérimental est perçu comme le seul moyen de faire progresser
l'homme et les sociétés selon Durkheim (1895).
Que nous faut-il retenir de cette époque ?
La création d'outils médicaux ou
thérapeutiques dépend de la mise en place d'un
programme de connaissances sur la maladie mentale. L'isolement
ne peut se comprendre sans l'analyse des conditions d'émergence du
champ de la psychiatrie dans le monde de la médecine. La construction
d'un monde dans le champ médical qui participa à la
création d'une loi, celle de 1838, devenue celle de juin 1990 et qui
nous
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gouverne aujourd'hui. Pinel créa un paradigme
fondamental de la psychiatrie et de la société en passant du
concept d'insensé à celui d'aliéné. Ainsi
l'insensé passe du domaine de la police et de la Justice à celui
de la médecine à partir de 1838. L'avènement du
19eme fut le siècle de l'aliénisme. Le
20eme connut la révolution du traitement par neuroleptiques
qui remplacent les thérapies biologiques telles que la
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malariathérapie ou la cure de Sakel destinées
à traiter l'agitation.
Pourtant, les années soixante sont traversées
par un mouvement appelé « l'anti-psychiatrie ». Le fondement
de ce mouvement trouve son origine dans la philosophie du soin du «
non-restraint » développé par Conolly en Angleterre au
19eme et qui s'oppose à la psychiatrie traditionnelle en
refusant d'attacher ou d'isoler. Le mouvement « antipsychiatrique »
atteint son apogée 1978, en Italie, avec la fermeture des hôpitaux
psychiatriques.
Des courants de pensée, initié entre autres par
Toulouse6, ont participé à modifier lentement la
pratique d'une tradition asilaire vers un mouvement d'ouverture. La circulaire
du 28 février 1951 inaugure le service libre. Le secteur psychiatrique,
initié par la circulaire du 15 mars 1960, permit de passer
progressivement d'une psychiatrie asilaire et fermée vers une prise en
charge extrahospitalière et libre pour 85% 7 de ses usagers
aujourd'hui. L'expérience du 13e arrondissement,
initiée dans les années soixante par Philippe Paumelle, a permis
de développer d'autres conceptions du soin (Hendres, 2005). L'expression
psychothérapie institutionnelle est introduite pour la première
fois en 1952 par Georges Daumézon et Philippe Koechlin. Daumézon,
surtout en ces temps d'après guerre ou le terme d'isolement prend tout
son sens, dénonce le caractère aliénant de l'hôpital
psychiatrique. Il introduit alors de multiples activités auxquelles
participent patients et ensemble du personnel.
5 Le traitement par neuroleptique a été
expérimenté pour la première fois dans le service du
docteur Deniker à l'hôpital sainte Anne en 1952.
6 Edouard TOULOUSE était contre la pratique de
l'isolement qui pour lui avait un effet paradoxal en ayant « pour effet
d'augmenter et d'entretenir l'agitation » (1897). Sa philosophie de soin
préconise l'ouverture des hôpitaux psychiatriques. Elle se
concrétisera en 1921 avec la création du premier service ouvert
à l'hôpital sainte Anne.
7 Source : DRESS (2003)
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Aujourd'hui il reste environ une frange de 15%, sur son
million d'usagers, qui seront hospitalisés en service de psychiatrie
dont certains sous la contrainte. En 1999, 600008 hospitalisations
sous la contrainte ont été réalisées. Pour cette
frange de la population, la chambre d'isolement peut devenir une
modalité de prise en charge au cours de l'hospitalisation. Dans certains
cas, la chambre d'isolement est encore utilisée comme modalité de
prise en charge, néanmoins certains lieux s'en abstiennent. Depuis que
la loi de 1990 est en vigueur le nombre d'hospitalisations sous la contrainte
n'a fait qu'augmenter. Le rapport Piel et Roeland (2001) note une augmentation
des hospitalisations sans consentement de 57% durant la période de 1988
à 1998. Devant cette recrudescence de l'enfermement, la question de
l'utilisation de la chambre d'isolement se pose d'autant plus.
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