II.4 Repères normatifs de la chambre d'isolement et
conception thérapeutique
Cette partie est consacrée à la
compréhension de ce qui amène les acteurs à qualifier ou
non une mise en chambre d'isolement comme thérapeutique. Quel sens cela
a-t-il pour eux ?
II.4.1 Les infirmiers
II.4.1.1 « Une image négative
»
La chambre d'isolement renvoie essentiellement une image de
violence, de dangerosité. D'emblée la conception de la chambre
n'est pas perçue comme thérapeutique ; sa connotation est
négative.
« Je crois que la csi est encore très
mystifiéeÉC'est les grands fous, les grands violents, y a un
risque. » (ide)
« C'est une chambre d'enfermement tout simplement,
pour canaliser sa violence le temps d'avoir sa cohésion au soin. Moi
j'ai quand même l'impression que l'on enferme l'autre pour pouvoir mettre
une distance. »(ide)
« La chambre d'isolement avait quand même un
caractère punitif. »(isp)
II.4.1.2 « Une chambre : des finalités
»
L'aspect thérapeutique dépend des circonstances
et du moment. Les circonstances participent à construire le sens
thérapeutique dans le premier extrait.
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Dans l'autre extrait, l'aspect thérapeutique
apparaît dans un second temps. L'intention première est la
protection d'un éventuel affrontement avec le patient. Dans un second
temps, la prise en charge soignante est alors assimilée à du
soin. L'isolement permet de normaliser le comportement et de revenir à
une relation thérapeutique. L'isolement n'est pas en soi
thérapeutique mais permet de normaliser une relation dont la
finalité se veut soignante.
« Pour moi grossièrement c'est pas la
solution. Est-ce que c'est réellement un soin? Parfois je vous jure que
je mets le patient en csi et je me sens pas du tout soignante.
»(ide)
« Parfois on est pas dans le soin, mais on est
obligé pour pas rentrer dans l'affrontement avec le patient. Ça
devient à long terme thérapeutique, y a le médecin qui
intervient y a des soignants qui donnent des médicaments ça
devient thérapeutique mais pas la première intention. L'isolement
est thérapeutique dans le sens ou le patient il est enfermé pour
l'aider à aller mieux, après on apporte les soins et le
médecin et le personnel intervient pour faciliter le mieux être.
»(ide)
II.4.2 Les psychiatres
II.4.2.1 « Un acte de protection
»
Les médecins prescrivent l'utilisation de la chambre
parce qu'ils sont contraints de protéger le patient ou les autres. Il
s'agit d'un acte sécuritaire avant tout.
« C'est de la gestion parce qu'on ne peut faire
autrement. Si il y avait 100 infirmiers et 40 médecins ont ferait mieux,
encore c'est pas sur. » (chef de service)
« J'essaye le moins possible. J'ai horreur d'enfermer
les gens, j'ai eu des patients qui sont décédés en chambre
d'isolement et c'est toujours une expérience extrêmement
traumatisante... »(ph)
La mise en isolement est une décision soumise au
contrôle médical. Néanmoins, les modalités de
gestion de la chambre (entrée ou sortie) sont discutées et
décidées par les infirmiers.
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« J'ai posé dans le service
immédiatement à mon arrivée : c'est un acte
médical, il faut une décision médicale. Alors vous en
discutez en équipe, je ne sais pas quoi, vous prenez la décision
mais il faut quelqu'un qui signe. »(chef de service)
« J'utilise vraiment la chambre d'isolement en
laissant au maximum l'équipe gérer au maximum la
possibilité de sortie ; moi dans la position : recommandant que se soit
fait autant que possible, c'est-à-dire que je laisse les infirmiers, je
leur dis, je leur demande, dans toute la mesure du possible, d'ouvrir le plus
possible la chambre, d'accompagner le plus possible le patient à
l'extérieur de sa chambre, tout en le laissant juge de la
faisabilité ou pas. C'est comme ça que je gère la chambre
d'isolement. »(ph)
L'équipe décide et gère la mise en
isolement, le psychiatre contrôle en apposant sa prescription. Ces
extraits de corpus caractérisent ce qu'a mis en évidence Strauss
(1992) dans « La trame de la négociation ». L'ordre,
l'homéostasie du service se négocie dans l'interaction entre le
prescripteur et les infirmiers. En laissant la gestion de la chambre
d'isolement aux infirmiers, le psychiatre crée un espace de
négociation, une marge de manoeuvre pouvant être adaptée
à tous moments par les infirmiers.
II.4.2.2 « Protéger n'est pas soigner
»
Pour le premier psychiatre il n'y a pas de dimension
thérapeutique dans la mise en isolement. Gérer la crise n'est pas
soigner.
Pour le second, l'isolement a un sens thérapeutique qui
prend sa place dans l'histoire de la maladie du patient. Le psychiatre attribue
un sens thérapeutique à la relation soignant soigné, car
malgré la « violence » de la pratique, il n'y a pas eu de
rupture de la relation entre soignant et soigné.
« Non, je ne crois pas du tout que ça soigne,
je pense vraiment que c'est un outil de gestion des cas de comportements ou on
ne peut pas faire autrement. Je ne crois pas du tout que l'isolement soit en
soi thérapeutique. Pour moi, la signification de la chambre d'isolement
c'est de contenir quelqu'un qui serait dangereux pour lui-même ou pour
autrui d'une façon ingérable autrement, voilà c'est
essentiellement ça. » (ph)
« Si ils continent (à consulter)ça veut
dire qu'ils ont compris que la chambre d'isolement était
nécessaire à un moment donné de leur évolution. Ce
que je veux dire par là c'est que la chambre d'isolement est vraiment
intégrée comme un soin mais pas comme une punition ou je ne sais
pas quoi. »(chef de service)
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