II.3 « Processus mise en isolement »
Dans cette partie nous analyserons plus
particulièrement les normes et circonstances qui conduisent à
utiliser la chambre d'isolement.
II.3.1 « Empirisme et anticipation »
Ici, l'empirisme est également le fondement
théorique de la pratique.
« Pour moi mon critère, comme ça
empirique, c'est l'impossibilité de discuter. »(praticien
hospitalier)
« Ou il verbalise que, et on a pas de contact avec
lui ou alors on sait qu'il est capable d'un passage à l'acte. Ça
s'est de la clinique basale, c'est l'expérience qui apprend ça.
»(chef de service)
La clinique de type empirique est influencée par les
évolutions de la société. Influence qui se manifeste de
manière « concrète » avec la présence de
stupéfiant.
« Ce n'est plus du tout comme s'était, un
tableau pur comme autrefois, maintenant les tableaux sont très
compliqués, avec des facteurs très différents, les vrais
tableaux de psychopathie, de psychose maintenant tout ça s'est
très mélangé. La clinique s'est complexifiée
liées aux évolutions sociales, complètement. » (chef
de service)
« Ce qui est sur, il y a une chose qui a vraiment
changé et qui s'est vraiment aggravé c'est la circulation des
toxiques à l'intérieur de l'hôpital, qui était
exceptionnel et toujours sanctionné, et qui s'est banalisé.
» (praticien hospitalier)
La stratégie d'anticipation est retrouvée ici
aussi.
« Un travail de prévention énorme,
être toujours en situation de percevoir les signes avant coureurs de
situations qui vont aller au clash...» (cadre de santé)
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II.3.2 « Processus mise en chambre d'isolement
»
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Dans cette partie nous allons à nouveau explorer
quelles sont les normes qui sous-tendent l'utilisation de la chambre
d'isolement.
II.3.2.1 « L'effectif »
Le manque de personnel est aussi une contre-indication de
l'ANAES (1998) qui influencent sur l'utilisation de la chambre.
« Je pense que la nécessité de
l'isolement est quand même, dans une assez large mesure,
conditionnée par les effectifs d'infirmiers, si il y a plus d'infirmiers
pour être présent au près des patients, souvent ça
suffit à contenir. »(ph)
«É par exemple la nuit le patient en csi n'est
pas vu parce qu' on a qu'une infirmière sur l'unité la nuit,
ça fait peur surtout quand le patient est en chambre fermée. On
est peut être professionnel, infirmier, mais on est quand même en
psychiatrie et la psychiatrie fait encore peur. » (IDE)
La contention par la chambre d'isolement naît de
l'échec de la contention par le personnel. Comme je l'ai écrit
à propos du précédent établissement cela constitue
une déviance au regard des normes de l'ANAES.
II.3.2.2 « La peur »
La peur ou l'anxiété constitue également
une contre-indication selon l'ANAES (1998). La peur est à l'origine de
stratégies d'évitement dans les interactions du soignant avec le
patient « isolé ».
Ces stratégies d'évitement peuvent être
spontanées. On ne rentre pas dans la chambre du patient parce que
l'infirmier ne se sent pas capable de le faire.
La stratégie peut aussi résider dans
l'interprétation de la prescription, non pas au regard du comportement
du patient, mais selon l'état émotionnel du soignant.
Il s'agit d'une déviance issue des
caractéristiques du groupe soignant et non de la transgression d'une
norme par le patient.
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« Les prescriptions de csi duré
indéterminée, qu'est-ce que ça veut dire ? Tu le laisses
15 ans dans sa chambre là, c'est ça ton travail? Ou alors,
ouverte à l'appréciation de l'équipe; quand toi t'y es
avec tes collègues tu le laisses dehors toute l'après midi car il
est totalement gérable. Et le lendemain il va tomber sur des
collègues qui ont plus peur, qui se sentent mal à l'aise et qui
vont l'enfermer toute l'après midi. Quel sens a ce soin là? Y en
a pas, on se contredit. » (IDE)
«É ou elle est la dignité du patient,
on va pas changer son seau parce qu'il est trop violent et qu'on a peur. On va
juste glisser la bouffe comme ça. Moi je ne veux pas ça. Je ne
marche pas comme ça. Donc voilà je sais qu'on peut soigner
autrement que par la csi. »(IDE)
II.3.2.3 « La violence »
La violence est difficile à caractériser
précisément. Nous nous en tiendrons à la définition
proposée par la mission Cléry-Melin (2003).
Dans cet établissement, comme dans le premier, toute
violence physique constitue une déviance qui conduit
irrémédiablement en chambre d'isolement. Cette violence physique
peut être dirigée vers une personne, soit des objets.
Mais c'est aussi la violence ressentie, le danger potentiel,
en plus des faits qui guident les mises en chambre d'isolement.
« Et que je l'ai mis en isolement le patient, parce
qu'il avait ce désir de tuer et qu'il est passé à l'acte
(vient de frapper violemment une infirmière). Donc là on l'a mis
en isolement sans ménagement, c'est vrai, sans ménagement je
m'entends que ce soit pas interprété. On l'a amené sans
discussion, et on a fait l'injection sans discussion et puis après il
fallait aussi nous poser parce que moi j'étais vraiment à la
limite... »( IDE)
« ...qu'il est hors de porté du dialogue,
alors là pour moi ça devient nécessaire parce qu'il peut
se passer n'importe quoi, on sent qu'ils peuvent n'importe quoi. Ils ne sont
pas du tout freinés par quoi que se soit. » (praticien
hospitalier)
Lorsqu'on évoque le thème de la violence, les
psychiatres abordent des thèmes variés et différents de
ceux des infirmiers. Alors que les infirmiers parlent de violence physique, les
psychiatres parlent de violence de la maladie mentale, de respect au soignant
devenu désuet ou des stupéfiants.
« Ce que je veux dire par là, on fait de plus
en plus de synthèse ou au lieu de parler de la clinique, on parle de
problèmes sociaux. La violence dans la société a
augmenté, et puis la drogue.»(chef de service)
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« On parle beaucoup de la violence qu'on peut avoir
dans les institutions, nous autres qu'on peut avoir, mais la maladie mentale
est une violence absolument épouvantable, il faut bien voir que c'est
une violence pour une autre. »
II.3.2.4 « La mise en danger du patient
»
La protection du patient est un élément qui
contribue parfois à une mise en chambre d'isolement. L'effet de
protection recherché peut être lié à la
configuration architecturale ou à l'état clinique du patient.
« Il y a aussi les états ou il faut
protéger le malade de lui-même, par exemple on a mis une dame en
chambre d'isolement, parce que sinon elle se serait sûrement cassé
la figure dans l'escalier ; ou bien des gens potomanes, qui boivent des litres
et des litres, il faut bien les mettre à l'écart et qu'ils ne
boivent plus, c'est l'exemple un peu rare, mais c'es l'exemple qui montre qu'on
les mets à l'abri de leurs comportements perturbés, sans qu'il
est de notion d'agressivité ou de dangerosité pour les autres.
» (chef de service)
II.3.2.5 « Les stigmates du patient
»
Pour reprendre la terminologie d'E. Goffman (1975) certaines
caractéristiques peuvent constituer des stigmates.
Dans ces extraits se sont les critères ethnique et
morphologique qui sont mis en avant. La taille ou la couleur de peau infligent
des stigmates aux patients, que le soignant traduit en danger potentiel.
«Éj'ai souvent remarqué quand y a un
patient de couleur qui arrive et qui élève la voix, ça
fait peur à tout le monde et tout de suite il est en chambre d'iso.
Voilà ça c'est quelque chose qui m'a interpellé. En fait,
le black baraqué grand renvoie une frayeur qui nécessite assez
rapidement la chambre...» (IDE)
II.3.2.6 Conclusion de partie
Le processus de mise en chambre d'isolement est la recherche
de protection du groupe ou du patient. Le comportement du patient est
l'indicateur clinique. Les faits ou
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l'interprétation prédictive de son comportement
déclenche ou non une mise chambre d'isolement afin de prévenir ou
de normaliser toute manifestation de déviance.
L'effectif, la peur et ses stratégies
d'évitement, les stigmates du patient sont des éléments
« déviants » construits par le groupe des soignants.
Paradoxalement, là aussi c'est au nom de la déviance d'un groupe
que le patient est étiqueté de déviant et est placé
en chambre d'isolement pour s'en protéger.
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