I.1.2 « Les apports de la sociologie »
Sous le terme « déviance », les sociologues y
désignent généralement une activité qui naît
de la transgression d'une norme (Ogien, 2000) et/ou un état
individuel et social pathologique (Canguilhem, 1966). Dans cette
thématique de recherche, la sociologie de la déviance s'est
attachée à répondre aux questions suivantes : quand,
comment et pourquoi constate-t-on cette transgression ? Si l'on excepte
quelques cas pathologiques (au sens médical du terme), la
déviance est un acte répondant à des exigences de
rationalité et d'intelligibilités semblables à celles qui
ordonnent n'importe quel autre comportement (Chapoulie, 2001). C'est une action
méthodiquement organisée que l'individu peut expliquer. Partant
de cette approche, la maladie mentale s'apparente t'elle à une forme de
déviance ? Parler de maladie mentale revient dans le sens commun
(Bourdieu, Chamboredon, Passeron, 1983) à parler de « folie ».
Il s'agit ainsi ici de
7
présenter au lecteur la façon dont nous avons
construit notre objet de recherche en suivant pour paraphraser Durkheim «
les règles de la méthode » (1895,1993).
Les normes sociales instituées par les groupes sociaux
sont appliquées en toute circonstance (Becker, 1985). L'individu
supposé avoir transgressé une norme, sera considéré
comme étranger au groupe : celui que Becker nomme « l'outsider
». Cependant, l'individu étiqueté comme étranger peut
ne pas accepter la norme selon laquelle on le juge. Il en découle un
second sens du terme : le transgresseur peut estimer que ses juges sont
étrangers à son monde. La conception la plus simple de la
déviance est surtout statique : est déviant ce qui ne
s'écarte pas trop de la moyenne. Cette conception s'enrichit de
l'analogie médicale qui définit la déviance comme quelque
chose d'essentiellement pathologique, qui relève de la présence
d'un « mal » 1 .
Dans cette perspective, Hughes (Chapoulie, 1984, 1991, 2001)
définit le concept de carrière, qu'il a utilisé pour
l'analyse de la trajectoire suivie par un individu à l'intérieur
des organisations de travail, Strauss parle plus simplement de trajectoire pour
définir le parcours déviant (1992). Ce qui nous intéresse
pour notre propos est de comprendre que pour faire respecter les normes, il
faut que quelque chose déclenche le processus : il faut un
esprit d'entreprise et un entrepreneur. Il faut que la norme attire l'attention
des autres sur l'infraction, donc ce qui inclut aussi un avantage à
inciter à faire respecter la norme. Partout où elles sont
créées et mises en vigueur, on doit s'attendre à ce que
les processus par lesquels on fait respecter celles-ci dépendent de la
complexité de l'organisation : fondés sur l'accord tacite dans
les groupes simples, ces processus résultent de structures complexes, de
manoeuvres et de négociations de type politique.
Ainsi, dans notre travail, nous nous intéressons au
travers de l'exemple de la mise en chambre d'isolement à celui qui
crée la norme, c'est celui qui veut la réforme des moeurs : soit
les professionnels de la prise en charge en psychiatrie (psychiatres et
infirmiers principalement). Pour comprendre par exemple le monde de la
psychiatrie : l'ensemble de lois, la création d'institutions et d'agents
chargés de les faire appliquer, et
1
|
Par exemple, le comportement d'un toxicomane est alors
considéré comme le symptôme d'une maladie
|
mentale. Plus relativiste, une autre conception sociologique
définit la déviance comme un défaut d'obéissance
aux normes du groupe.
8
la conduite déviante, il nous faut considérer le
groupe qui recherche la satisfaction de ses propres intérêts,
élaborant et faisant appliquer les normes sous le coup desquelles
tombent les gens qui ne poursuivent que la satisfaction de leurs propres
intérêts, et on en commun des actes qualifiés de
déviants. Après avoir participé au développement de
la théorie de l'étiquette sociale, Becker, a poursuivi sa
problématique des processus d'émergence en proposant une lecture
du monde social au travers de l'idée des « mondes sociaux ».
En effet, il propose dans son étude des mondes de l'art de
démontrer comment un « milieu » dans son cas, le milieu des
professions artistiques, ne peut se comprendre si l'on n'envisage pas
dès le début de sa recherche la possibilité d'un
enchevêtrement de plusieurs mondes. L'analyse en terme de mondes sociaux
permet de comprendre comment l'analyse de la figure de l'artiste est
insuffisante pour comprendre le milieu : il existe différents mondes
sociaux dans le monde de l'art. Cette étude s'inscrit dans la
problématique des mondes sociaux développé par Becker
(1988). Nous partons du postulat que le monde de la psychiatrie est un monde
traversé par de nombreux sous mondes : Lesquels ? Pourquoi ? Quelles en
sont les répercussions sur le façonnement du monde de la
psychiatre et sur la figure de la maladie mentale ?
Comprendre et analyser l'ensemble du monde de la psychiatrie
est un travail de recherche irréalisable dans le cadre de notre
étude. Très rapidement, nous avons choisi de nous
intéresser plus spécifiquement à la définition de
ce qui est désigné comme « outil thérapeutique »
(outil de soin) dans le champ de la psychiatrie. Ces outils sont-ils
homogènes et reconnus par tous ? Le monde de la psychiatrie n'est-il pas
traversé de tensions ou se confrontent différentes conceptions de
ce qui est considéré comme « thérapeutique » ?
Ce faisant, nous avons choisi un outil particulier pour tenter de
répondre à nos questionnements. La mise en chambre d'isolement,
pratique controversée, a ainsi retenu notre attention et a
été constituée comme fil conducteur de notre recherche.
|