CHAPITRE I / APPROCHES MÉTHODOLOGIQUES
ET THÉORIQUES DE L'OBJET DE RECHERCHE
Si l'on se réfère aux manuels de
méthodologie des sciences humaines et sociales (Beaud, Weber, 1997 ;
Quivy, Campenhoudt, 1995), tous soulignent l'importance de la phase de
problématisation de son objet de recherche. Ce premier effort de
circonscription de sa recherche est indispensable à la phase de
réalisation de l'enquête. L'approfondissement du monde de la
psychiatrie constituera ainsi un préalable à nos questionnements
et à nos choix théoriques. Cette première partie
d'initiation à la recherche emprunte au cadre conceptuel offert par le
courant interactionniste ou encore appelé école de Chicago. La
construction de notre sujet se situe donc dans la perspective dite
interactionniste. Cette dernière s'est intéressée plus
particulièrement au monde de la santé et à celui de la
déviance. Pour entrer dans notre sujet nous commencerons par poser le
cadrage théorique et expliciter notre problématique. Pour
l'éclairer, il nous faut jeter un regard historique sur les paradigmes
qui gouvernent la pratique aujourd'hui. Pour aborder notre sujet il nous faut
tout d'abord expliciter au lecteur le monde de la santé mentale et faire
le point sur ce qu'est une chambre d'isolement aujourd'hui dans un service de
psychiatrie. Il s'agit aussi de jeter un éclairage sur l'offre de soin
et son organisation en santé mentale. La dimension législative
viendra compléter notre compréhension de ce qui encadre cette
pratique. En effet, l'approche socio-historique de notre travail est
indispensable à la compréhension des conceptions (argumentations)
qui fonde (ou ne fonde pas) la pratique quotidienne relative entre autres
à l'isolement.
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I « Problématique et hypothèses de
travail »
De l'ethnopsychiatrie à la sociologie de la
déviance, les deux premières parties à suivre
précisent le cadrage théorique de notre problématique.
I.1.1 « Les apports de l'ethnopsychiatrie »
Comprendre le rôle de la chambre d'isolement en tant
qu'outil thérapeutique est une manière de situer notre travail
dans la problématique des troubles mentaux en fonction des groupes
ethniques ou culturels, ainsi que la place qu'ils occupent dans
l'équilibre social. Dans cette perspective, l'ethnopsychiatrie propose
une grille de lecture innovante. L'ethnopsychiatrie est une méthode
d'investigation qui s'efforce de comprendre la dimension ethnique des troubles
mentaux et celle, psychiatrique, de la culture. La classification des maladies
est toujours envisagée comme différente d'une culture à
l'autre. Le « Shaman » par exemple a un rôle de «
psychanalyste autochtone » faisant appel à des mythes sociaux. Il
s'agit de quelqu'un de déviant, catalyseur de la communication vers le
savoir sacré, interprète du divin auprès du commun des
mortels (Benedict, 1950, 1972).
L'ethnopsychiatrie se donne alors pour but de donner un sens
culturel à la folie. Elle tente d'expliquer dans quelle mesure chaque
collectivité « sécrète » ses propres
modèles de déviance. Ainsi, on est toujours
considéré comme « fou » que dans un rapport à
une société donnée.
Pour notre travail, nous retenons alors que la manière
« correcte socialement parlant » d'être fou diffère donc
selon les cultures. La plasticité de l'expression psychiatrique, pour
reprendre les formulations de l'ethnopsychiatrie, est due au fait que le
symptôme n'a pas d'existence en soi mais qu'il a une signification et une
fonction pour le sujet et l'entourage auquel il est destiné. Là
où le psychiatre n'existe pas, la folie n'est pas une maladie. Elle est
une déviance par rapport à la norme sociale (Benedict, 1950,
1972). La question centrale à laquelle se trouvent confrontés
ethnologues et psychiatres se résume ainsi : chaque civilisation ayant
son propre système de normes, ce qui est normal dans
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une civilisation ne pourrait-il être
considéré comme pathologique dans une autre, et vice versa?
L'anthropologue américain Benedict est l'une des premières
à avoir posé cette question dans son étude:
"Anthropology and the abnormal" (1972). Se référant
à un certain nombre de faits relevés par les ethnologues, comme
la normalité de la transe dans les sociétés shamaniques,
elle en conclut que ce que nous considérons, en Occident, comme un
ensemble de faits pathologiques, passe au contraire pour être tout
à fait normal dans d'autres sociétés (Op.cit, 1972). C'est
sans doute que le concept de « normal » est une variante du concept
de « bon » dans le sens de la « morale »: une action
normale est, selon l'anthropologue, une action bonne, approuvée par la
collectivité, en accord avec l'idéal du groupe. Mais si sa
théorie, à la fois relativiste et statistique, comme celle des
culturalistes américains, constituent une mise en garde utile contre
l'ethnocentrisme des psychiatres, si elles nous apprennent à ne plus
juger les autres hommes à partir de nos propres systèmes de
valeurs, elles suscitent néanmoins certaines réserves. C'est
pourquoi, nous avons souhaité combiner cette perspective à une
approche sociologique de type interactionniste.
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