« ENTRE TRAJECTOIRE DU PATIENT ET TEMPS
THERAPEUTIQUES : analyse sociologique du monde de la psychiatrie à
partir de la chambre d'isolement »
Ce mémoire propose une approche sociologique du
monde de la psychiatrie au travers d'un fils conducteur central : celui de la
chambre d'isolement en tant qu'outil « thérapeutique
».
Quelles sont les normes et les argumentations qui
justifient une pratique dont l'efficience thérapeutique n'a pas
été démontrée ?
Ce travail s'inscrit dans la lignée de Michel
Foucault et pose la question du traitement de la folie dans notre
société en explorant les normes qui sous tendent la pratique des
professionnels en santé mentale aujourd'hui.
Comment se forment les savoirs des professionnels et
quelles normes s'imposent dans leurs discours et pratiques?
Cette recherche s'inscrit dans une approche de type
interactionniste et dans la sociologie de la déviance. Ce cadrage a
permis de reconstituer la trajectoire au sens de Strauss (1992) du
patient potentiellement « isolable » en service de psychiatrie du
point de vue des professionnels : les infirmiers et les psychiatres
principalement.
Ce faisant nous démontrerons qu'il n'existe pas
une mais des conceptions thérapeutiques fondant la pratique des
contentions mécaniques en psychiatrie. Ainsi élaboré, le
monde la psychiatrie se caractérise par
l'hétérogénéité dans son ensemble :
pensées, pratiques et conceptions.
En résumé, comme le dit
l'ethnopsychiatre Devereux nous pouvons tous être malade mais la
société reste « normale ».
Mots clefs :
psychiatrie ; interactionnisme symbolique ;
trajectoire ; isolement ; chambre d'isolement ; « thérapeutique
» ; conceptions ; normes
Stéphane Le Rouzic
Mémoire de formation cadre de santé IFCS
Sainte Anne Directeur de mémoire : Lynda Sifer
Juin 2005
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« Celui qui ne connaît que la psychiatrie, ne
connaît même pas la psychiatrie ».
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Citation anonyme
INTRODUCTION
« Suppose que tu rencontres un fou qui affirme qu'il est
un poisson et que nous sommes tous des poissons. Vas-tu te disputer avec lui ?
Vas-tu te déshabiller devant lui pour lui montrer que tu n'as pas de
nageoires ? Vas-tu lui dire en face ce que tu penses ? [...] Si tu ne lui
disais que la vérité, que ce que tu penses vraiment, ça
voudrait dire que tu consens à avoir une discussion sérieuse avec
un fou et que tu es toi-même fou. C'est exactement la même chose
avec le monde qui nous entoure », cette citation de Kundera (1994) nous
permet d'emblée de comprendre la complexité du rapport que
l'Individu et la Société entretiennent avec la « folie
» ou ce que l'on appelle dans le sens commun (Durkheim, 1895) les «
fous », ou encore les « barjots », « les dingues »,
« les paranos », etc. Communiquer avec un « fou » nous
renverrait nous même à notre folie potentielle. Pouvons nous alors
en déduire que seuls les professionnels sont « experts » et
aptes pour entrer en contact avec le monde de la folie ?
Si l'on souhaite étudier le monde de la psychiatrie,
nous nous trouvons d'emblée dans ce paradoxe. En effet, la maladie
mentale s'inscrit dans le champ des études de la « déviance
». Plus précisément, sous le terme de « déviance
», les sociologues désignent une activité qui transgresse
une norme sociale, ou nie la valeur d'un groupe. Dans cette perspective
d'approche, avec Becker ou Goffman notamment, la déviance se comprend
dans la théorie de « l'étiquette sociale » (Label
Theory). La déviance n'existe pas en soi : elle correspond au
contraire à une construction sociale. Pour le dire plus simplement la
déviance est crée par la société. Ce sont in
fine les groupes sociaux qui créent la déviance en
instituant les normes de transgression. La transgression de la norme est
souvent corrélée à des jugements de valeurs
négatifs dans le sens commun. Dans cette perspective théorique,
quels sont les mécanismes et les processus sous-
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jacents de la déviance, dans notre sujet relatif
à la désignation de la maladie mentale. Becker (1963), envisage
le concept de déviance comme le résultat d'un processus
d'interaction. Dans son célèbre article Comment devient-on
fumeur de marijuana ? , Becker propose un modèle séquentiel
de la construction et de l'émergence du fumeur. Pour lui, le fumeur de
marijuana parcourt des étapes: (i) la phase de la transgression de la
norme, (ii) le passage à l'acte déviant, (iii) l'étape de
la désignation publique et enfin (iv) l'adhésion à un
groupe déviant organisé (Sifer, 2002).
Le regard sociologique que nous proposons permet de
dégager les fondements théoriques qui guident les acteurs dans
leurs pratiques thérapeutiques de la contention mécanique. Il ne
s'agit pas d'un travail de recherche clinique mais sociologique. Ce regard
« distancié » permet une approche supplémentaire pour
appréhender le monde complexe de la psychiatrie.
La première partie est consacrée à la
description de notre objet de recherche : la chambre d'isolement comme outil
thérapeutique. Nous commençons par poser la problématique
et les hypothèses de travail. Puis, nous décomposons le concept
d'isolement en faisant un détour par le passé. Nous concluons
cette première partie en soumettant la méthodologie
employée. Ensuite, un chapitre sera dédié à la
présentation de notre enquête. Nous procédons à une
analyse comparative de deux établissements psychiatriques. Dans cette
partie nous soumettons aux faits notre problématique ainsi que nos
hypothèses de travail. Enfin, nous réaliserons une
synthèse de notre corpus afin d'en dégager les points
essentiels.
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