Le pouvoir judiciaire dans l'application et la protection des lois en droit positif congolaispar Chris INGAU SOMBOLA - Licence en droit public 2018 |
2. Révocations, mutations intempestives, menaces et harcèlement des magistratsEn République Démocratique du Congo, l'article 150 de la constitution dispose en son dernier alinéa que : « le magistrat du siège est inamovible. Il ne peut être déplacé que par une nomination nouvelle ou à sa demande ou par rotation motivée décidée par le Conseil supérieur de la Magistrature ».236(*) Dans bien des cas malheureusement, la révocation et la mutation ont été utilisées pour sanctionner un magistrat qui a énervé le pouvoir. En République Démocratique du Congo par exemple, le premier président de la haute cour militaire NAWELE MUKHONGO a été révoqué en 2006 dans les conditions peu respectueuses de la loi. Il semble que cette révocation ait été liée à l'acquittement, par le tribunal militaire de garnison de Kinshasa-Gombe, de Maître Marie Thérèse NLANDU, l'une des candidates de l'opposition à la dernière présidentielle, poursuivie du chef de participation à un mouvement insurrectionnel. Un rapport des Nations Unies affirme qu'on aurait reprochait au général président, de n'avoir pas bien « encadré » le président de ce tribunal militaire, MBOKOLO, alors son directeur de cabinet.237(*) Cette thèse semble s'accréditer par le fait que, Monsieur MBOKOLO et Monsieur KAKWENDE, un autre magistrat militaire proche du général NAWELE ont été, dans les mêmes circonstances mutés à l'intérieur du pays. N'ayant pas rejoint leurs lieux d'affectation respectifs, ils ont fait l'objet des poursuites pour refus d'obéissance. Dans un autre rapport des Nations unies, l'expert note que : « dans plusieurs procès pour crimes graves, les magistrats ayant entamé des actions ou pris des décisions défavorables à un membre du commandement militaire ont été déplacés et que, suite à ce déplacement, les décisions prises par leur successeur ont abouti à l'acquittement de l'accusé. Dans des nombreux cas, les commandements militaire et de la Police ne remettent pas aux magistrats les militaires ou les policiers inculpés en expliquant parfois qu'ils sont soutenus par la capitale (...)». Les magistrats décrivent une situation intenable dans laquelle il est souvent impossible de travailler.238(*) Le poids qu'exerce le commandement a été identifié comme l'un des facteurs de la contre-performance sur la justice militaire. Partout, le commandement s'arroge le droit soit d'interdire les poursuites à l'encontre des éléments placés sous son autorité soit de soumettre lesdites poursuites à son autorisation préalable. Ainsi, dans une lettre adressée à l'auditeur militaire de garnison de Bunia en date du 24 juillet 2006, le général MBUYAMBA NSONA, commandant des opérations dans l'Ituri, on peut lire ce qui suit : 1. J'ai constaté que depuis un certain temps, les militaires de garnison sont convoqués et viennent comparaître dans vos offices à l'insu du commandement des opérations ; 2. Désormais, toutes convocations, tout mandat de comparution ou d'amener devra être impérativement approuvé par le commandant des opérations. Les militaires sont en opération. 3. Agir autrement constituerait un vice de procédure et de ce fait punissable.239(*) Dans beaucoup d'autres cas, les magistrats se sentent souvent menacés. Dans le même rapport, on peut lire exactement que : « plusieurs magistrats ont indiqué avoir reçu des menaces, notamment dans les provinces de l'Est du pays, entre autres pour avoir accepté le soutien de la MONUC. Ils ont reçu des avertissements leur indiquant que, après le départ de la MONUC, eux resteront et que leur compte sera réglé. D'autres magistrats militaires ont indiqué avoir trouvé des tracts contenant des menaces et les enjoignant à ne pas enquêter dans les affaires de meurtre. Dans le cas de la justice militaire, ce sont des militaires qui menacent ou agressent les juges à des fins d'intimidation, en vue de s'assurer leur impunité ou celle de leurs collègues. Les récents graves incidents qui ont eu lieu à Kisangani où le général Kifwa a enlevé quatre magistrats à leur domicile, les a déshabillés et battus dans la rue devant la foule, et les a ensuite amenés à l'état-major où deux d'entre eux aurait fait l'objet de traitements cruels et dégradants toute la nuit, démontrent que le degré de vulnérabilité des juges atteint des niveaux intolérables».240(*) En RDC comme au Congo Brazzaville, l'analyse de quelques cas pratiques a démontré les diverses formes que peuvent prendre les immixtions du politique dans l'administration de la justice. Les conséquences de telles pratiques sur l'indépendance du pouvoir judiciaire freinent tout élan dans un pays comme la RDC où d'importantes réformes venaient de s'opérer. Bien plus, même si c'est devant les juridictions militaires que de telles attitudes ont été les plus manifestes - dans le cas de la RDC par exemple - cela ne veut pas dire que les magistrats civils soient à l'abri de telles pressions. Un rapport déjà cité indique que : « concernant l'ingérence du pouvoir exécutif dans l'administration de la justice, on peut signaler le cas d'un Vice-président de la République qui a fait suspendre l'exécution d'un jugement de déguerpissement régulièrement rendu, allant jusqu'à séquestrer et à faire détenir les huissiers commis à l'exécution de la décision ». Le même rapport note : « qu'il est courant de voir le Ministre de la justice suspendre l'exécution d'une décision de justice rendue en bonne et due forme. Il arrive même qu'il intime l'ordre à un magistrat instructeur de libérer un prévenu sans tenir compte des éléments du dossier65 ». Par ailleurs, il arrive des cas que le juge, tout en étant soumis à l'autorité d'aucun autre organe ou collectivité, aliène son indépendance à des particuliers ou à de l'argent. Cette forme de pression, bien que souvent non organisée, n'en est pas moins redoutable. * 236 Article 150 de la constitution du 18 février 2006, JORDC, N° spécial 54. * 237 NATIONS UNIES, Rapport de l'expert indépendant sur la situation des Droits de l'Homme en République démocratique du Congo, Doc. A/HCR/7/25, 29 février 2008§28. (Disponible en ligne sur http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/Go8/115/59/PDF/Go811559.pdf?) * 238 5Doc. A/HCR/8/4/Add.2, 11 Avril 2008, op cit. § 39. * 239 Marcel WETSH?OKANDA KOSO, op cit. pp75-76 * 240 Doc. A/HCR/8/4/Add.2,11 Avril 2008 op cit. § 38s |
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