Le pouvoir judiciaire dans l'application et la protection des lois en droit positif congolaispar Chris INGAU SOMBOLA - Licence en droit public 2018 |
Paragraphe troisième : les entraves à l'indépendance du pouvoir judiciaireDans son dernier rapport sur l'indépendance du système judiciaire (partie I : l'indépendance des juges), la Commission de Venise souligne que l'indépendance judiciaire présente deux aspects complémentaires. L'indépendance externe protège le juge contre l'influence des autres pouvoirs de l'Etat ; elle est une composante essentielle de l'état de droit. L'indépendance interne garantie qu'un juge prend ses décisions en se fondant uniquement sur la constitution et la législation, et non sur les instructions de juges plus élevés dans la hiérarchie. Dans la pratique cependant, les entraves portées à l'indépendance du pouvoir judiciaire sont de deux ordres : les unes sont internes et résultent de la loi ; les autres, beaucoup plus à craindre sont externes. Dans l'un ou l'autre cas, les menaces que leurs interventions font planer sur l'impartialité de la justice sont regrettables.212(*) Dans le cadre de notre étude, 1. les entraves internes à l'indépendance du pouvoir judiciaire Camile NGOMA KHUABI dans son article sur l'analyse comparative de l'indépendance du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo et en République du Congo, souligne ce qui suit : « Le degré d'indépendance dont bénéficie la magistrature varie selon les États ; il dépend en effet très étroitement de la réalisation plus ou moins achevée de l'État de droit. Dans les pays sous examen (la République Démocratique du Congo et la République du Congo) comme partout ailleurs, le principe que le pouvoir judiciaire est indépendant des autres pouvoirs notamment l'exécutif ne se discute plus à l'heure actuelle. Sa proclamation, du moins sur le plan formel témoigne de cette évidence. Mais une analyse minutieuse permet de découvrir que très souvent, les obstacles à une réelle indépendance des magistrats, et donc du pouvoir judiciaire, résultent de la formulation des lois sensées organiser le fonctionnement des organes de mise en oeuvre de ce principe dans la pratique. Il s'agit en l'occurrence le statut qui organise sa carrière, ensuite les lois sur le Conseil Supérieur de la Magistrature ; sans écarter la personnalité individuelle du magistrat, d'autres entraves tiennent plutôt aux conditions d'ordre matériel et financier de la vie personnelle du magistrat et du fonctionnement des juridictions ».213(*) Il existe plusieurs entraves internes à l'indépendance du pouvoir judiciaire et dans le cadre de notre étude, nous allons étudier en ce qui est des entraves internes à l'indépendance du pouvoir judiciaire : les entraves résultant de la loi sur le statut des magistrats (A), les entraves résultant des attributions du Ministre de la justice (B), les entraves liées aux conditions matérielles et financières (C) et les menaces intrinsèques (D). A. Les entraves résultant de la loi sur le statut des Magistrats Dans beaucoup de pays du système romano-germanique, un statut particulier organise la vie des magistrats. Cependant, ce statut est déterminé de manière unilatérale par les textes de loi dans tous les Etats où la profession de juger est institutionnalisée. Il s'agit donc d'un domaine où la négociation entre le futur magistrat et l'administration qui fixe les conditions de recrutement n'est pas prévue. Mais, ce caractère unilatéral du recrutement ne veut pas dire autoritarisme : les candidats à la fonction de juger dans un Etat démocratique savent qu'une fois recrutés, ils bénéficieront a priori de garanties suffisantes pour exercer leur profession en toute indépendance. Celle-ci est préservée grâce à leur statut qui comporte des garanties structurelles liées à l'organisation de l'appareil judiciaire et des garanties formelles d'ordre matériel qui leur permettent d'être à l'abri de toute dépendance. Il apparait toutefois que dans la pratique, le juge est souvent mis en « sarcophage » par ce statut et du coup, son indépendance théoriquement affirmée, s'en trouve bien amoindrie. En ce qui est de la République Démocratique du Congo et de tant d'autres pays appartenant à la famille Romano-germanique tout comme ceux appartenant à la famille anglo-saxonne, l'examen approfondi des textes suffit pour démontrer que ces atteintes aux garanties statutaires accordées aux magistrats proviennent de l'organisation hiérarchique de l'appareil judiciaire, et des règles statutaires proprement dites.214(*) B. Les entraves résultant des attributions du Ministre de la justice Au cours d'un point de presse du 29 août 2008 1, le Ministre congolais de la Justice et des Droits humains du Gouvernement Gizenga II a fait un constat amer sur le fonctionnement du Pouvoir judiciaire congolais. Pour lui, « des magistrats rendent des jugements iniques et se compromettent dans les corruptions ». Et d'ajouter : « On ne peut pas refuser d'appliquer la loi parce qu'on est mal payé. Tout magistrat qui se compromet dans un jugement doit trouver mieux ailleurs ». Et de surenchérir : « Le droit n'est pas dit comme il doit l'être. Chacun fait ce qu'il veut. Quand vous dites, je ne suis pas bien payé, donc je n'applique pas le droit. Meilleur conseil, c'est de trouver mieux ailleurs ». Le Ministre de la Justice avait promis « des sanctions contre les magistrats qui ne disent pas le droit comme il se doit ». De tous ces propos, on peut retenir deux choses : la première est la gangrène qui frappe le Pouvoir judiciaire du Congo dont les magistrats sont mal payés et n'accomplissent pas leur fonction juridictionnelle, mais se livrent à des pratiques de corruption. La seconde est la promesse de sanctions par le Ministre, membre du Pouvoir exécutif, contre les magistrats, membres du Pouvoir judiciaire.215(*) Le ministère de la Justice est l'administration centrale chargée de la gestion du service public de la Justice. Il est placé sous l'autorité du Ministre de la Justice, qui peut également porter le titre de garde des Sceaux, appellation qui, en France, remonte à l'Ancien Régime. Il n'exerce aucune fonction juridictionnelle. Il n'est pas un juge mais un administrateur. On va analyser ici les attributions du Ministre de la justice (1) et la constitutionnalité de ses attributions (2) 1. Attributions du Ministre de la justice Les attributions du ministère de la Justice en République Démocratique du Congo sont définies dans l'ordonnance présidentielle n° 07/018 du 16 mai 2007 fixant les attributions des Ministres. À son article premier, cette ordonnance reconnaît au ministère de la Justice, entre autres attributions, l'administration de la Justice. Par administration de la justice, l'ordonnance entend : - l'exercice du pouvoir réglementaire ; - le contrôle des activités judiciaires ; - la surveillance générale sur le personnel judiciaire ; - la garde des sceaux et le suivi des réformes institutionnelles. Comme on peut le constater, La compétence d'administrer la justice place le Ministre de la Justice, membre du Pouvoir exécutif au-dessus du Pouvoir judiciaire, comme si celui-ci était une parcelle de celui-là. Elle fait du Ministre de la Justice l'autorité de surveillance et de contrôle du Pouvoir judiciaire, en violation du principe de l'indépendance de la Justice. Certes, la séparation des pouvoirs veut que le pouvoir limite le pouvoir par le biais d'un contrôle mutuel. Mais, c'est un contrôle visant l'équilibre des pouvoirs et non une immixtion d'un pouvoir dans l'activité essentielle de l'autre. C'est dans cette perspective que les actes de gouvernement, par exemple, échappe au contrôle juridictionnel au contraire des actes administratifs. Pourquoi en serait-il autrement de la juridiction (fonction de dire le droit) qui est l'activité essentielle du Pouvoir judiciaire ? De toutes les façons, subordonner le Judiciaire à l'Exécutif est une entorse à la Constitution.216(*) 2. La constitutionnalité des attributions du Ministre de la justice et l'indépendance du pouvoir judiciaire Pour être conformes à la constitution, les attributions du ministère de la Justice devraient être réduites à l'exercice du Pouvoir exécutif. On combinerait ainsi harmonieusement les deux conceptions de la séparation des pouvoirs, à savoir l'indépendance et la spécialisation des pouvoirs. Cette combinaison peut découler de l'interprétation systématique de la Constitution congolaise qui, tout en affirmant l'indépendance du Pouvoir judiciaire à l'égard de deux autres, reconnaît en principe à ce seul pouvoir la fonction juridictionnelle : la juridiction judiciaire, la juridiction administrative, la juridiction militaire, la Cour constitutionnelle ainsi que les parquets rattachés à ces juridictions font partie du Pouvoir judiciaire. Le ministère de la Justice appartient au Pouvoir exécutif qui est différent du pouvoir judiciaire et dont ce dernier est indépendant. En outre, il existe un Conseil supérieur de la magistrature qui est l'autorité de surveillance du Pouvoir judiciaire et dont aucun des membres n'appartient constitutionnellement au Pouvoir exécutif. Ce qui est une avancée significative par rapport à la France, par exemple, dans la concrétisation de la séparation des pouvoirs. En France, le Président de la République est le garant de l'indépendance de la Justice et président du Conseil supérieur de la magistrature, et le Ministre de la Justice vice- président. Cela constitue, à notre avis, une entorse à la séparation des pouvoirs entendue à la française comme une indépendance des pouvoirs. Néanmoins, la France prévoit tout de même un rectificatif dans la mesure où, en dehors du Conseil supérieur de la magistrature, ni le Président de la République, ni le Ministre de la Justice n'ont d'injonctions à donner aux magistrats. Le Ministre de la Justice, puisque c'est de lui qu'il s'agit ici, offre aux magistrats des moyens nécessaires à l'exercice de leurs fonctions, qu'ils exercent en toute indépendance, et veille à l'exécution des décisions judiciaires. En République Démocratique du Congo, en revanche, une ordonnance présidentielle, donc émanant d'une autorité investie du Pouvoir exécutif prévoit que le Ministre de la Justice s'occupe de l'administration de la justice, en contrôlant entre autres les activités judiciaires et en assurant une surveillance générale sur le personnel judiciaire. C'est en vertu de cette attribution, qui le place au-dessus du Pouvoir judiciaire, que le Ministre de la Justice du gouvernement Gizenga II aurait promis des sanctions à l'endroit des magistrats. Il ne peut s'agir que des sanctions disciplinaires pour lesquelles est seul compétent le Conseil supérieur de la magistrature. Le ministère de la Justice n'est pas organiquement une autorité hiérarchique du Pouvoir judiciaire. Il exerce une portion du Pouvoir exécutif dans le domaine judiciaire. Il ne peut donc pas se substituer au Conseil supérieur de la magistrature. Dès lors, les magistrats qui sont concernés au premier chef pourraient attaquer pour inconstitutionnalité auprès de la juridiction compétente l'ordonnance présidentielle attribuant au ministère de la Justice une compétence appartenant au Conseil supérieur de la magistrature. Il y va de la sauvegarde de l'indépendance du Pouvoir judiciaire, lequel doit travailler à l'avènement d'un État de droit au Congo-Kinshasa, en faisant respecter le droit par tout le monde, surtout par les membres de l'Exécutif. L'arrêt qui sera rendu pourrait faire jurisprudence et conférer une petite dose de crédibilité à la Justice congolaise politisée et molle. Conformément au principe constitutionnel congolais de l'indépendance du Pouvoir judiciaire, Constantin YATALA NSOMWE NTAMBUE pense que le rôle du Ministre de la Justice à l'égard de ce pouvoir consisterait à : - fournir aux magistrats des moyens nécessaires pour l'exercice de leurs fonctions : un budget suffisant pour le fonctionnement de la Justice dont le montant sera formellement fixé dans la loi sur le budget, du matériel informatique qui permette de publier les sentences. - assurer l'exécution des décisions judiciaires ; - s'occuper des prisons et d'autres centres pénitentiaires, en améliorant notamment les conditions de vie des détenus ; - obtenir que les services des renseignements ne se muent pas en juges et en exécutants des peines qu'ils auraient eux-mêmes infligés aux présumés coupables d' « atteinte à la sécurité de l'État ».217(*) C. Entraves liées aux conditions matérielles et financières Une institution à quelque niveau qu'elle soit, a besoin des moyens matériels et financiers pour organiser son fonctionnement. Dans le cadre d'un pouvoir chargé d'assurer un service public : la justice, ces moyens devraient logiquement provenir d'un budget élaboré par ses animateurs ou avec leur implication. Cependant, dans le cas qui concerne la République Démocratique du Congo, ces moyens matériels et financiers font cruellement défaut. Cela apparaît aussi bien au niveau du fonctionnement des juridictions et des services connexes, qu'au niveau de conditions salariales des Magistrats. En ce qui concerne d'abord les moyens accordés aux juridictions, les études généralement faites sur leurs conditions matérielles et financières, notamment dans les pays africains, ont montré des insuffisances notoires pouvant affecter l'exercice d'une « bonne justice » et au- delà, entraîner une incapacité du magistrat à bien mener sa tâche. Une perte de crédibilité auprès des justiciables et de son indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs de l'Etat peut en résulter. En république démocratique du Congo par exemple, une mission d'enquête réalisée par la Commission Européenne sous la conduite du professeur J. MVIOKI BABUTANA de la Faculté de droit a permis de démontrer que les cours et tribunaux, les offices et les prisons ne reçoivent ni budget de fonctionnement, ni budget d?investissement35. Et pourtant chaque année, le Ministre de la justice prépare et soumet à la Commission budgétaire les prévisions budgétaires du secteur de la justice. Ayant examiné profondément la question de la justice en RDC, le professeur y est revenu dans une autre étude où il fait remarquer que : « sur le plan budgétaire, le pouvoir judiciaire perd son caractère de pouvoir indépendant et est réduit au rang d'un simple service du Ministère de la justice ».218(*) Dans sa note préliminaire sur la mission en RDC, le Rapporteur Spécial sur l'indépendance des juges et des Avocats est arrivé aux mêmes conclusions lorsqu'il dit : « le manque d'indépendance financière de la justice a une incidence directe sur le manque d'indépendance de la justice tant civile que militaire, et nourrit une corruption quasi généralisée des magistrats et des auxiliaires de justice(...) »219(*). Dans beaucoup d'Etats d'Afrique, ces moyens manquent de manière cruciale. Le budget alloué au ministère de la justice ne dépasse généralement pas 1% du budget national.220(*) En RDC par exemple, ce budget est de 0,6% de l'ensemble du budget national. Il s'ensuit un manque considérable de moyens matériels : les bureaux sont insuffisants, exigus et vétustes, les machines à écrire non adaptées à l'image d'un pouvoir constitutionnel, etc. Ensuite, c'est la situation financière et matérielle même des magistrats qui ne les épargnent pas d'éventuelles pressions. Ils reçoivent une rémunération souvent très faible pour la fonction qu'ils occupent. Leur traitement, indemnité et avantages sociaux sont déterminés par les lois portant statut des magistrats. Signalons cependant, force est de reconnaitre que la faible rémunération des magistrats dans plusieurs des pays de l'Afrique et de partout ailleurs, les met dans une situation de précarité telle qu'ils jouissent de moins en moins de la « notabilité » auprès de ceux qui les saisiraient éventuellement pour rendre la justice ou de ceux qu'ils auraient condamnés. Le professeur MVIOKI n'a pas manqué de parler de « magistrat rebattu » au rang du simple fonctionnaire de l'Etat.221(*) En effet, peut-on vraiment concevoir qu'un juge vienne partager le même autobus (n'ayant à sa disposition aucun autre moyen de transport) avec un prévenu qu'il vient de condamner, même d'une peine légère ? La situation est pourtant réelle en RDC, même s'il est vrai que les plus hauts gradés parmi eux ont bénéficié d'un matériel roulant dans des conditions qui restent à préciser. En dehors des risques d'agression, un tel juge bénéficiera difficilement de toute l'autorité nécessaire dont il aura besoin pour exercer en toute indépendance sa profession. Pour assurer la sécurité financière des juges et des institutions judiciaires, le droit des juges à un salaire et à des prestations de retraite ou autres avantages sociaux devrait être assuré et mis à l'abri des ingérences arbitraires de l'exécutif susceptibles de compromettre non seulement l'indépendance du juge individuellement, mais également l'apparence d'indépendance de l'institution à laquelle il appartient. L'idée générale qui sous-tend cette proposition est que les rapports entre la Justice et les deux autres organes de l'État doivent être dépolitisés. Au sens de l'article 149 de la constitution, en RDC le salaire des magistrats devrait formellement être déterminé par le Conseil Supérieur de la Magistrature qui élabore un budget qu'il transmet au Gouvernement pour être inscrit dans le budget général de l'Etat.222(*) A ce sujet, Madame Nicole DUPLE, professeur à l'Université de Laval pense que si le salaire des juges doit être inclus annuellement dans le projet de budget présenté au parlement par le pouvoir exécutif, il est important alors de veiller à ce que ce dernier ne détermine pas arbitrairement les salaires et autres avantages financiers liés à la fonction, mais, et cela est tout aussi important pour l'apparence d'indépendance de la justice, que les juges n'aient pas à négocier directement avec l'exécutif pour les établir. Les syndicats de la magistrature ou les associations représentatives du corps de la magistrature ne devraient pas négocier le salaire des juges avec le gouvernement. En outre l'indépendance de la Justice n'empêche pas que les associations ou syndicats de magistrats aient des représentations quant aux salaires.223(*) Ce qui est important est que les justiciables n'aient pas le sentiment que les juges peuvent décider d'abandonner une part quelconque de leur indépendance en contrepartie d'un salaire et des avantages qui leur conviennent. A ces problèmes, s'ajoutent un manque de personnel et un déficit en matière de formation, d'information et de documentation. Dans le cas de la RDC particulièrement, le Royaume de Belgique a essayé de réduire cette difficulté en publiant, dans six Tomes, l'ensemble de la législation applicable en RDC jusqu'en 2003. D'autres formes de menace à l'indépendance du pouvoir judiciaire semblent inhérentes au comportement du magistrat et à la fonction même de juger. D. Les menaces intrinsèques à l'indépendance du pouvoir judiciaire Sans confondre vie privée et activité professionnelle des magistrats, il faut reconnaître que dans nos Etats, la réputation de ceux qui ont la charge de rendre la justice tient encore une très grande place dans l'opinion publique. Cependant, certains comportements liés à la moralité des magistrats ont été décriés (corruption, concussion, alcoolisme, etc.) Au niveau interne des juridictions, de telles données fragilisent le magistrat qui « prêtent le flanc » à ses supérieurs et certainement aussi aux autorités exécutives, d'où des risques de perte d'indépendance vis-à-vis d'eux. Ces premières formes de menaces qui relèvent de l'éthique du magistrat paraissent informelles, mais sont tous les jours décriées dans nombre des pays en Afrique comme partout ailleurs; d'autres en revanche sont plus sournoises et plus redoutables et se rapportent à la fonction judiciaire. En effet, Les menaces « intrinsèques » à la fonction de juger qui ruinent l'indépendance du pouvoir judiciaire sont de plusieurs ordres et sont directement ou indirectement les conséquences d'une certaine politisation de la justice dans certains pays d'Afrique. C'est d'abord des prises de position de magistrats incompatibles et surtout incompréhensibles avec la fonction de juger au sens moderne et démocratique du terme. En République Démocratique du Congo par exemple, c'est une véritable soumission du juge aux directives du parti qui avait été organisée par les gouvernants de la deuxième république qui n'hésitaient pas à prendre des sanctions à l'encontre des magistrats récalcitrants. Aussi, les propos d'un procureur de l'époque étaient sans équivoque sur l'inféodation de la justice à l'exécutif dans ce pays: « le conseil judiciaire n'est pas une institution propre, mais un organe par lequel le MPR, et donc son président car ce dernier en est l'incarnation, exerce la mission de rendre la justice. De ce fait, le magistrat zaïrois est non pas à proprement parler le mandataire du Président, mais en quelque sorte le Président lui-même exerçant sa mission de dire le droit (...). Le magistrat zaïrois doit-il prendre de plus en plus conscience de l'importance de sa mission et rendre la justice en âme et conscience de militant ».224(*) Aujourd'hui, la justice semble y présenter des aspects formels plus conformes aux principes démocratiques.225(*) 2. Les menaces ou entraves externes à l'indépendance du pouvoir judiciaireLes menaces que font planer les interventions externes sur l'impartialité de la justice sont de sources différentes et de nature variée ; cependant, il convient, croyons-nous, d'accorder une importance particulière à certaines. Le processus de nomination, de promotion et de récompenses, ou encore le processus de renouvellement de mandat peut être de nature à compromettre l'impartialité réelle ou apparente de la Justice. Par ailleurs, certaines pressions provenant de l'environnement social peuvent aussi avoir une influence négative sur l'impartialité du juge. On examinera dons ici, la nomination, carrière du magistrat et renouvellement du mandat comme occasion de l'ingérence externe (A), et les ingérences proprement dites (B). A. Nomination, carrière du magistrat et renouvellement de son mandat : occasion des entraves externes à l'indépendance du pouvoir judiciaire Dans plusieurs pays, la nomination initiale des magistrats dépend le plus souvent soit de la réussite à un examen d'entrée dans une école de la magistrature soit du résultat d'un concours. En République démocratique du Congo, comme au Congo Brazzaville, le processus de nomination des magistrats n'est pas susceptible de faire naître de soupçon raisonnable quant à l'indépendance d'esprit de ceux-ci, car s'y applique l'un des systèmes ci-dessus évoqués. Un recrutement sur examen ou sur concours organisé par un Conseil Supérieur de la Magistrature est à cet égard des moins questionnables si toutefois cet organisme ne subit pas, en fait et en apparence, l'influence du pouvoir exécutif ou de l'argent. La nomination ou la promotion des magistrats par l'exécutif sur recommandation dudit Conseil l'est davantage à première vue si ce dernier doit recommander plusieurs candidatures pour un même poste. Dans une telle hypothèse comme le souligne Camile NGOMA KHUABI, même si la liberté de choix de l'autorité de nomination est restreinte mais très certaine, on peut craindre que la personne nommée se sente redevable de l'autorité qui l'a choisie. En Belgique par exemple, bien que le pouvoir de nomination appartienne au Roi sur présentation des candidats par le Conseil Supérieur de la Justice, celui-ci ne présente qu'un seul candidat pour chaque fonction vacante et c'est donc lui qui détient le réel pouvoir de nomination.226(*) En RDC, on reconnaît également au Président de la République le pouvoir de nommer les magistrats sur proposition du CSM. Faut-il y voir une ressemblance ? L'article 2 de la loi organique n° 08/013 du 05 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature dispose que le Conseil supérieur de la magistrature est l'organe de gestion du pouvoir judiciaire. Il élabore des propositions de nomination, promotion, mise à la retraite, révocation, démission et de réhabilitation de magistrats. Il décide de la rotation des juges sans préjudice du principe de l'inamovibilité, conformément aux dispositions de l'article 150 de la Constitution.227(*) Contrairement en Belgique où le Roi a une compétence liée à la proposition soumise par le CSJ en matière de nomination des juges, dans les deux pays sous examen, les CSM n'ont pas un véritable pouvoir en matière de nomination, dans la mesure où, le nombre des postes à pourvoir non précisé, ne correspond pas au nombre des candidats. Ce qui peut laisser une marge de manoeuvre à un pouvoir exécutif peu favorable à une plus grande indépendance du pouvoir judiciaire. Un sentiment d'allégeance parfois aveugle peut ainsi naître dans l'esprit des personnes nommées dans ces conditions. Il paraît pourtant vrai que dans ces deux pays, le pouvoir de proposition reconnu au CSM soit de nature à faire participer ce dernier dans le processus de nomination des personnes dont il a la gestion de la carrière.228(*) On peut toutefois discuter de la nature de ce pouvoir. S'agit-il d'un avis, dans quel cas le président de la République peut s'en passer, ou plutôt d'un pouvoir de décision qui lierait l'exécutif ? Bien plus, on peut se demander comment par exemple un CSM dont la majorité de membres sont nommés par le Président de la République -dans le cas du Congo Brazzaville par exemple- peut exercer un contrôle sur les décisions de nomination prises en violation de la proposition par lui faite ? En matière de promotion, c'est également au CSM que la loi attribue la compétence pour proposer les candidats, y compris pour les magistrats de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat. Le signalement établi chaque année par les chefs des juridictions et chefs d'offices des parquets a pour but d'éclairer les autorités compétentes sur le rendement, la conscience et les aptitudes professionnelles du magistrat et détermine sa promotion en grade. En RDC, l'article 158 de la constitution donne également au CSM la possibilité de proposer trois candidats à la Cour Constitutionnelle, sur un total de neuf membres que doit compter cet organe. Trois sont désignés par le parlement réuni en congrès et trois autres le sont sur l'initiative du président de la République. Ce qui peut conduire, dans un pays où l'exécutif est majoritaire au parlement, au contrôle de la Cour constitutionnelle par le gouvernement.229(*) Il résulte de ce qui précède que même si un tel organe, détient le pouvoir de nommer les magistrats, cela ne signifie pas que le processus de désignation soit pour autant soustrait à l'influence du pouvoir exécutif. Dans la nomination comme dans la promotion des magistrats, des craintes demeurent encore ; on peut même craindre que la proposition du CSM ne soit pas de nature à lui attribuer un pouvoir décisionnel si l'autorité de nomination doit opérer un choix sur une liste de plusieurs candidats, pour pourvoir à des postes très limités et bien moins inférieurs aux nombres des candidats. Le système de désignation des juges sur liste en ce qui concerne par exemple les magistrats de la Cour Suprême et le président de la Cour constitutionnelle au Congo Brazzaville, ne présente aucune garantie d'indépendance pour des raisons que nous avons déjà évoquées.230(*) En RDC par exemple, des magistrats ont indiqué avoir été informés par leur hiérarchie qu'ils devraient prendre une certaine décision pour pouvoir aspirer à une promotion. Le maintien de système d'entérinement permet au Président de la République de se présenter comme le véritable détenteur des pouvoirs de nomination. Tel est l'esprit du constituant ? Rien ne permet d'affirmer une telle hypothèse en ce qui concerne la RDC. La logique serait de se passer de cet entérinement. Cela ne relèverait pas de l'abstraction car, au Rwanda, la loi organique n° 3/1996 du 29 mars 1996 portant organisation, fonctionnement, et compétences du Conseil Supérieur de la Magistrature avait permis à cet organe de nommer seul tous les magistrats du siège à l'exception du Président et des Vice- président de la Cour suprême. Une telle option devrait amoindrir l'ingérence directe de l'exécutif dans la nomination ou dans la promotion des magistrats.231(*) Le magistrat, comme tout agent de l'Etat, est soucieux de poursuivre une bonne carrière dans sa profession sans se préoccuper d'autres questions que celles liées à la nature et à l'exercice de son activité. Parler de menaces au sujet de la carrière du juge pouvait paraitre contradictoire avec l'idée d'indépendance du magistrat affirmée directement ou indirectement par les textes constitutionnels des différents pays. Pourtant, un magistrat qui ferait preuve d'une très grande indépendance aux yeux de son chef hiérarchique, ou à l'égard des autorités exécutives ou politiques en place, pourrait voir sa carrière menacée et son indépendance bien amoindrie. Les magistrats sont plus ou moins attentifs à la perspective d'un avancement dans leur carrière avec les garanties dont ils bénéficient à cet effet, et sont donc bien conscients qu'ils ne sont pas à l'abri de sanctions. Cette menace sur leur indépendance et leur intégrité est présente tout au long de leur carrière, du recrutement à la cessation de leur fonction, qu'il s'agisse des magistrats du siège, du parquet ou des juges administratifs lorsqu'ils existent. D'autres formes de menace à l'indépendance du pouvoir judiciaire qui sont plus à craindre se manifestent dans l'administration de la justice. B. Les ingérences ou entraves externes proprement dites dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire L'activité judiciaire en République démocratique du Congo est très souvent confrontée à des difficultés de plusieurs ordres. En dehors de celles précédemment décrites, qui elles, peuvent être évitées en adoptant des textes beaucoup plus adaptés et plus clairs; d'autres qui affectent gravement l'indépendance du pouvoir judiciaire, proviennent généralement de l'exécutif ou de ses services qui s'immiscent dans l'administration de la justice. Dans la pratique cependant, les attaques ouvertes contre l'indépendance des magistrats sont menées de façon régulière par les membres de l'exécutif, le commandement des forces armées et par la hiérarchie judiciaire elle-même. Il faut le souligner que ces attaques contre l'indépendance des magistrats prennent des formes variées, elles vont des pressions politiques proprement dites, aux révocations et mutations intempestives des magistrats. Dans certains cas, des magistrats sont spécialement désignés pour connaître des affaires particulières ; dans d'autres encore, on note la soumission des poursuites à l'autorisation préalables du Commandement et des injonctions avant la prise des décisions.232(*) Il faut cependant préciser que les entraves internes touchant à l'indépendance du pouvoir judiciaire sont de plusieurs ordre mais en ce qui nous concerne, notre analyse va s'axer autour des problèmes suivants : la pression politique (1), les révocations, mutations intempestives, menaces et harcèlement des magistrats (2) et enfin les pressions émanant de l'environnement social du Magistrat (3). * 212 C. Ngoma Khuabi, analyse comparative de l'indépendance du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo et en République du Congo, article en ligne, p.13 * 213 C. Ngoma Khuabi, analyse comparative de l'indépendance du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo et en République du Congo, article en ligne, p. 13 * 214 Ibidem, p.14 * 215 C. Yatala Nsomwe Ntambwe, indépendance du pouvoir judiciaire face au pouvoir exécutif au Congo Kinshasa, article en ligne, p. 1 * 216 Idem, p.4 * 217 C. Yatala Nsomwe Ntambwe, indépendance du pouvoir judiciaire face au pouvoir exécutif au Congo Kinshasa, article en ligne, p. 6 * 218 J. MVIOKI BABUTANA cité par C. Ngoma Khuabi, analyse comparative de l'indépendance du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo et en République du Congo, article en ligne, p.17 * 219 www.googl.cd/indépendance du pouvoir judiciaire en RDC, lu le 18 mars à 22h 30'. * 220 www.google.cd/les salaires des magistrats en Afrique, lu le 18 mars à 23h 05'. * 221 J. MVIOKI cité par C. Ngoma Khuabi, op.cit, p. 17 * 222 C. Ngoma Khuabi, analyse comparative de l'indépendance du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo et en République du Congo, article en ligne, p.17 * 223 Nicole DUPLE, « Les menaces externes à l'indépendance de la justice », in Deuxième Congrès de l'AHJUCAF, Dakar 7-8 Novembre 2007. * 224 Evariste BOSHAB, « La misère de la justice et la justice de la misère en République Démocratique du Congo », in Revue de la Recherche Juridique, 1998, p. 1169 * 225C. Ngoma Khuabi, analyse comparative de l'indépendance du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo et en République du Congo, article en ligne, p. 18 * 226 Ibidem, p. 19 * 227 Article 2 de la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. * 228C. Ngoma Khuabi, analyse comparative de l'indépendance du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo et en République du Congo, article en ligne, p. 20 * 229 Article 158 de la constitution du 18 février 2006, JORDC, N° spécial 54. * 230 C. Ngoma Khuabi, analyse comparative de l'indépendance du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo et en République du Congo, article en ligne, p.22 * 231 Ibidem, p.22 * 232 Idem, pp. 8-9 ; 71-77 |
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