Le pouvoir judiciaire dans l'application et la protection des lois en droit positif congolaispar Chris INGAU SOMBOLA - Licence en droit public 2018 |
CONCLUSIONSoulignons d'entrée jeu que le juge et la justice, dans les systèmes politiques d'aujourd'hui, ne sont plus perçus de la même façon qu'auparavant. Un phénomène apparu il y a quelques années dans les pays occidentaux démocratiques notamment qui se développe de plus en plus et qui, dans un avenir plus ou moins proche, concernera certainement les pays en voie de démocratisation vient favoriser de façon extraordinaire, l'ascension du juge dans la hiérarchie des pouvoirs, modifiant du coup la perception que l'on se faisait de lui et surtout de ses fonctions: la juridisation de la société. Elle se manifeste par l'appropriation par le Droit des domaines naguère accaparés par le politique pour ne pas dire par les hommes politiques. Ceci est également considérable en droit positif congolais dans la mesure où, la mission du juge ne se borne plus à connaître des contestations naissant au sein de la société. A ce sujet, François OST s'exprime en des termes suivant : « la fonction du droit dans une société traditionnelle, dont le rythme de développement est imperceptible aux acteurs sociaux, consiste à garantir le statu-quo, à maintenir ou rétablir la paix, vitale à la survie du groupe. La manifestation du droit ne prend d'ailleurs ni la figure du Législateur, ni celle de l'Administrateur, mais bien plutôt celle du juge-pacificateur (...) contrairement à ce qu'on lit parfois, la fonction du droit dans une société libérale, n'est plus le maintien du statu-quo ; il s'agit bien plutôt de garantir le développement spontané du jeu social en l'encadrant à l'aide d'un minimum de règles du jeu impératives. ».370(*) Cette pensée de François OST traduit la conception qu'on se faisait autres fois du droit ou sinon de la fonction du droit dans une société donnée qui réduisait, le droit à des simples règles destinées à rapporter la paix au sein de la communauté lorsqu'elle est bouleversée ; mais la réalité aujourd'hui, démontre combien le droit a pris de l'essor et devient désormais gage du développement d'une communauté qui se veut organisée. En République Démocratique du Congo, il est constaté cette mainmise du droit sur tous les domaines de la vie de l'Etat à l'instar du domaine politique, domaine social et autres domaines. Le juge congolais est, s'il faut le rappeler, gardien de l'ordre juridique et protecteur du droit dans cette société. C'est pour cette raison que le pouvoir judiciaire est établi en trois ordres des juridictions. Les juridictions de l'ordre judiciaire qui ont pour vocation, d'intervenir dans les contestations naissant des rapports entre particuliers et touchant au droit. Appelées à dire le droit, les juridictions de l'ordre judiciaire ou sinon le juge judiciaire dans sa diversité est voué à marier les faits au droit, en restant soumis aux principes déontologique voulant à ce que le droit soit avec toute indépendance et toute impartialité possible, mais aussi que la rigueur soit manifestée dans le raisonnement intellectuel lorsqu'il faut raisonner et argumenter en droit. Cette tâche n'étant pas facile et le juge, étant parfois soumis à des ingérences externes, se retrouve dans la difficulté de bien dire le droit comme attendue par le justiciable. En République Démocratique du Congo, un constat a été fait sur l'intervention du juge judiciaire par un expert de l'ONU en des termes suivants : L'article 151 de la Constitution prescrit que le Pouvoir exécutif ne peut donner d'injonction au magistrat dans l'exercice de sa juridiction, ni entraver le cours de la justice, ni s'opposer à l'exécution d'une décision de justice. Cette disposition n'est pas mise en oeuvre: le pouvoir exécutif continue de donner des injonctions aux juges et s'oppose à l'exécution de certaines décisions de justice. Des magistrats, notamment militaires, ont indiqué avoir été informés par leur hiérarchie qu'ils devaient prendre une certaine décision pour pouvoir aspirer à une promotion. Dans plusieurs procès pour crimes graves... des magistrats ayant entamé des actions ou pris des décisions défavorables à un membre du commandement militaire ont été déplacés et que, suite à ce déplacement, les décisions adoptées par leur successeur ont abouti à l'acquittement de l'accusé. Dans de nombreux cas, le commandement militaire ne remet pas aux magistrats les militaires inculpés, afin qu'ils puissent être interrogés ou arrêtés. La même chose se passe au niveau de la police: l'inspectorat ne remet pas les policiers inculpés, en expliquant parfois qu'ils sont « appuyés par la capitale », même quand il s'agit de faits graves, tels que des viols. Les magistrats décrivent une situation intenable dans laquelle il est souvent impossible de travailler. Le pouvoir que l'Exécutif continue d'avoir sur le transfert et la promotion des juges, en violation des dispositions de la Constitution qui attribue ces fonctions au Conseil supérieur de la magistrature, reste l'une des causes principales du manque d'indépendance du Pouvoir judiciaire et donc de la persistance de l'impunité dans le pays ».371(*) Ceci démontre combien le pouvoir judiciaire, du moins avec sa facette du juge judiciaire, n'applique pas effectivement la loi, quand le besoin s'impose. En ce qui est des juridictions de l'ordre administratif qui ont pour vocation, de faire surface, lorsqu'un conflit est né de l'activité administrative, touchant ainsi aux droits et libertés fondamentaux des administrés, disons que pendant for longtemps, le juge administratif ou bien son rôle, était incarné par le juge judiciaire. C'est donc les juridictions de l'ordre judiciaire, à l'instar de la Cour suprême de justice éclatée aujourd'hui en cour de cassation et conseil d'Etat conformément à la constitution qui faisait office du juge administratif pour les décisions des autorités administratives centrales et la Cour d'Appel qui faisait office du juge administratif pour les décisions des autorités administratives provinciales, urbaines et locales en droit congolais, avant le prise en 2016 de la loi organique N° 16/023 du 15 octobre 2016 portant organisation, fonctionnement et compétence des juridictions de l'ordre administratif. Mais, il faut le souligner que sauf le conseil d'Etat qui a pris effectivement corps avec l'éclatement de la cour suprême de justice, les autres juridictions administratives ne sont pas encore implantées. Pour sa part, le juge administratif congolais intervient et sanctionne même certains actes de l'Administration, soit en annulant simplement un acte illégal, soit en soumettant l'Administration au paiement des dommages et intérêts lorsque son action a causé grief à un administré. Mais le grand problème reste au niveau de l'exécution des décisions prises par le juge administratif congolais. La cour constitutionnelle qui, elle, intervient lorsqu'il est question d'une matière relevant de la constitution. Quoi qu'étant une institution jeune car installée il y a seulement cinq années, la cour constitutionnelle congolaise était avant incarnée par la cour suprême de justice qui faisait office du juge constitutionnel. En ce qui nous intéresse, notre examen a porté sur le fonctionnement de la cour constitutionnelle proprement dite. Soulignons à cet effet, que cette cour a, avec le peu de temps de son existence, une jurisprudence qui témoigne de son action en tant que juridiction suprême dans un Etat démocratique et de surcroit un Etat de droit. Faisant examen de cette jurisprudence de la Cour constitutionnelle, c'est quand même regrettable de recevoir de cette grande juridiction, certaines décisions qu'elle donne au peuple congolais. Plusieurs critiques sont formulées à l'égard du juge constitutionnel congolais dans certains de ses arrêts. Certains pensent à l'instrumentalisation de cette cour par le pouvoir politique. En ce qui nous concerne, nous nous rallions à ces auteurs de critiques pour dire que le juge constitutionnel congolais, n'arrive pas jusqu'à présent à son objectif, qui est celui de protéger la constitution contre tout dérapage et éventuels abus des autorités politiques. Le juge constitutionnel censé protéger la constitution, se retrouve dans une situation de faiblesse, chose qui paralyse et fragilise sa force en tant juge des juges et des décideurs. Pris de façon générale en le pouvoir judiciaire en droit congolais, intervient dans l'application des lois lorsque les litiges de divers ordres lui sont soumis et prend de cet fait des décisions ; Mais le drame réside au niveau de l'accomplissement effectif, par le pouvoir judiciaire, de son rôle, c'est-à dire l'application de la constitution et des lois avec toute rigueur et impartialité possible au profit de la bonne justice. Les raisons in specie casu sont nombreuses et on peut citer notamment les raisons d'ordre organique. En effet, avant la révision constitutionnelle intervenue en janvier 2011, l'article 149 de la constitution du 18 février 2006 était ainsi libellé : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est dévolu aux Cours et Tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d'Etat, la Haute Cour militaire, les cours et tribunaux civils et militaires ainsi que les parquets rattachés à ces juridictions ». La nouvelle formulation intervenue en 2011 est ainsi reprise : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est dévolu aux cours et tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d'Etat, la Haute Cour militaire ainsi que les Cours et Tribunaux civils et militaires ».372(*) Ceci nous fait remarquer que les parquets, qui autres fois étaient imprégnés du pouvoir judiciaire, en sont depuis 2011 dépourvus. Cette situation ne peut que fragiliser l'efficacité du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo. Autres raisons demeurent dans l'indépendance du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo. En effet, ayant analysé la question relative à l'indépendance du pouvoir judiciaire au Congo, nous sommes arrivés à une conclusion affirmant que l'indépendance du pouvoir judiciaire en droit congolais ou n'est qu'une simple théorie dont le mariage avec la pratique pose un sérieux problème. Cette affirmation résulte du fait que le pouvoir judiciaire est sujet à plusieurs entraves quant à son fonctionnement. Ces entraves, non seulement fragilisent son indépendance, mais aussi paralysent son efficacité en tant qu'organe en charge d'appliquer conformément les lois et sanctionner leur violation tout en protégeant ces lois. Le pouvoir judiciaire en droit congolais reste fragile au regard des autres pouvoirs de l'Etat de par les textes qui l'organisent. En effet, la constitution du 18 février 2006 telle qu'actualisée en ce jour, dispose en son article 82 que Le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, par ordonnance, les magistrats du siège et du parquet sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature ».373(*) Ceci est une entrave à l'indépendance du pouvoir judiciaire dans la mesure où, le Conseil supérieur de la magistrature, organe disposant des prérogatives nécessaires pour assurer avec toute efficacité la gestion du pouvoir judiciaire, ne dispose que d'un pouvoir de proposition, duquel le Président de la République peut s'en passer. La loi organique organisant le Conseil supérieur de la Magistrature reprend cette affirmation dans son exposé des motifs en des termes suivants : La Constitution du 18 février 2006 dispose que le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Cette proclamation constitue une garantie de la séparation des pouvoirs, principe fondamental dans une société démocratique. Cette indépendance est assortie des mécanismes constitutionnels qui servent de contrepoids à l'exercice de chaque pouvoir et sa mise en oeuvre est assurée par le Conseil supérieur de la magistrature ; Celui-ci assure la gestion de la carrière des magistrats et dispose, à cet effet, des pouvoirs de proposition en matière de nomination, promotion, démission, mise à la retraite, révocation et de réhabilitation des magistrats. Il exerce en outre le pouvoir disciplinaire. Cependant, le Président de la République, Chef de l'Etat, est et demeure l'unique autorité de nomination, promotion, mise à la retraite, révocation et de réhabilitation de tous les magistrats, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature. A cet effet, il peut formuler des observations sur les propositions qui lui sont adressées ».374(*) Faisant du Conseil supérieur de la magistrature un simple organe de gestion du pouvoir judiciaire est en d'autres termes paralyser son efficacité en ce qu'il se limite à la gestion et non à la direction du pouvoir judiciaire. En termes de perspectives à ce sujet, il est souhaitable que cet organe suprême du pouvoir judiciaire, retrouve sa vraie considération et soit pourvu des vrais pouvoirs sur les membres du pouvoir judiciaire car, se basant sur le principe de la séparation des pouvoirs prônée par Montesquieu, l'immixtion de l'exécutif dans la désignation des membres du pouvoir judiciaire nous paraît injuste et détestable. Que le pouvoir du Conseil supérieur de la Magistrature ne se borne plus à la proposition, mais plutôt à la désignation des magistrats. Il en revient à dire que les membres constituant le Conseil supérieur de la Magistrature doivent désormais quant à leur désignation, faire objet des élections même au suffrage universel indirecte, c'est-à dire, leur élection doit se faire par les Magistrats eux-mêmes. Cette perspective entrainerait comme conséquence que la composition du Conseil supérieur de la Magistrature soit révisée. En effet, l'Article 152 de la constitution du 18 février 2006 est ainsi libellé : « Le Conseil supérieur de la magistrature est l'organe de gestion du pouvoir judiciaire. Le Conseil supérieur de la magistrature est composé de : 1. Président de la Cour constitutionnelle ; 2. Procureur général près la Cour constitutionnelle ; 3. Premier Président de la Cour de cassation ; 4. Procureur général près la Cour de cassation ; 5. Premier Président du Conseil d'Etat ; 6. Procureur général près le Conseil d'Etat ; 7. Premier Président de la Haute Cour militaire; 8. l'Auditeur général près la Haute Cour militaire ; 9. Premiers Présidents des Cours d'Appel ; 10. Procureurs Généraux près les Cours d'Appel ; 11. Premiers Présidents des Cours administratives d'Appel ; 12. Procureurs Généraux près les Cours administratives d'Appel ; 13. Premiers Présidents des Cours militaires ; 14. Auditeurs militaires supérieurs ; 15. deux magistrats de siège par ressort de Cour d'Appel, élus par l'ensemble des magistrats du ressort pour un mandat de trois ans ; 16. deux magistrats du parquet par ressort de Cour d'Appel, élus par l'ensemble des magistrats du ressort pour un mandat de trois ans ; 17. un magistrat de siège par ressort de Cour militaire ; 18. un magistrat de parquet par ressort de Cour militaire. Cette composition est préalablement déterminée par la constitution c'est certain mais les hommes destinés à occuper ce poste ne sont pas préalablement connus d'où, l'intérêt, avant que ces hommes occupent ces différents postes, d'être élus du moins par leur paires. Il serait de ce fait préférable, que les postes composant le Conseil supérieur de la magistrature deviennent des postes à mandat. Autre problème résulte dans la durée du mandat des membres de la cour constitutionnel, organe chargée de veiller à l'application de la constitution. En effet, il est souhaitable que les membres de la Cour constitutionnelle soient désignés pour un mandat sans durée déterminée. Ceci permettra de garantir l'indépendance et de surcroit, l'impartialité des membres de ladite cour lorsqu'il est question de défendre la constitution contre éventuels abus des politiques. En conclusion, vrai est de dire que le pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo ne joue pas à bon son rôle de protecteur des lois (au sens large bien entendu) et n'applique pas de façon conforme les lois, lorsqu'il lui faut intervenir dans sa mission de dire le droit sous toutes ses casquettes (juge judiciaire, juge administratif et juge constitutionnel) ; suite aux diverses raisons ayant trait à son fonctionnement, mais que pour arriver à bon port de sa mission, le pouvoir judiciaire doit subir une réforme et ainsi, prendre un nouvel essor pour mieux jouer son rôle dans l'application et la protection des lois en République Démocratique du Congo. * 370 F. Ost, Fonction de juger et pouvoir judiciaire, PFUSL, Bruxelles, 1983, p. 19 * 371 §§ 39 et 40 du Rapport du Rapporteur spécial de l'ONU sur l'indépendance des juges et des avocats, Leandro Despouy, sur sa mission en République démocratique du Congo (15-21 avril 2007), présenté devant le Conseil des droits de l'homme, le 11 avril 2008, à la huitième session consacrée à « la promotion et protection de tous les droits de l'homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement ». On peut trouver l'entièreté de ce rapport sur : http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/G08/128/50/PDF/G0812850.pdf?OpenElement. * 372 Article 149 al. 1 de la constitution du 18 février 2006, JORDC, N° spécial 5 février 2011 * 373 Article 82 de la constitution du 18 février 2006, JORDC, N° spécial * 374 Exposé des motifs de la loi organique portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. |
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