Le graffiti à Beyrouth : trajectoires et enjeux dà¢â‚¬â„¢un art urbain émergent( Télécharger le fichier original )par Joséphine Parenthou Sciences Po Aix-en-Provence - Diplôme de Sciences Politiques 2015 |
B. Une glocalisation de la pratique du graffiti ?La complexification des oeuvres met en scène la capacité accrue des graffeurs à « créer » une oeuvre d'art relativement à leur avancement dans la carrière. Mais on ne peut aborder la question d'un monde de l'art local qu'à partir du moment où ils créent des nouvelles conventions, jusque-là inconnues dans les autres scènes graffiti. Nous tenterons dès lors d'appliquer la notion de glocalisation à la pratique du graffiti et de tester à la fois son effectivité et sa cohérence pour décrire la singularité de la scène beyrouthine par rapport aux autres. Il est essentiel, dans ce cas, de garder en mémoire qu'il s'agit d'une scène artistique en pleine émergence, et qu'on ne peut dissocier l'évolution particulière des graffeurs de l'évolution du champ dans lequel ils s'insèrent. L'un et l'autre participent à un processus d'artification 79 commun. Les diverses utilisations des particularités et conditions locales de production de l'art sont autant d'éléments qu'il est pertinent d'interroger, et de comparer à cette idée de monde de l'art local par la production, plus encore que par le facteur géographique par exemple. 1. Faciliter la compréhension des oeuvres, ou l'exploitation des opportunités localesCertes, le terme de glocalisation est généralement employé dans les milieux entrepreneuriaux et marketing, il semblait toutefois opportun de tester sa capacité à être invoqué dans le cadre de la sociologie de l'art. La glocalisation se définirait ainsi comme la « combinaison des termes « globalisation » et « localisation » »110, terme emprunté à Roland Robertson mais qui proviendrait d'une expression japonaise employée par certains hommes d'affaires dès les années 1980. Plus largement, cette glocalisation se comprend comme « la simultanéité de tendances à universaliser et à particulariser », soit, de partir d'un fait global et de l'adapter aux marché et contexte locaux. Appliquer le concept de glocalisation à la pratique du graffiti, de manière non-abusive nous l'espérons, consiste à questionner la manière dont une pratique globale (ou globalisée), le graffiti, est réappropriée par des acteurs locaux dans le contexte libanais. Pour ce faire, il convient dès lors d'observer le type d'adaptations locales concourant à une possible « glocalisation » de cette activité.
110 http://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Glocalisation-241919.htm 80 dimension locale en premier lieu parce qu'il est issu de cette même ville et du territoire libanais. Cela relève de l'évidence, mais ne l'est pas tant au regard des mouvements internationaux de graffeurs : ils peuvent importer une pratique telle quelle sans réadaptation, sans que les locaux soient concernés dans son émergence première. C'aurait pu être le cas à Beyrouth, au vu du nombre de graffeurs étrangers ayant rapidement effectué des voyages dans cette ville. Émergeant localement, par des acteurs locaux, ce graffiti est véhiculé sous des formes intelligibles par l'ensemble de la population, simplement grâce à l'introduction du lettrage en arabe. Inexistant auparavant, pas même en territoires palestiniens ou au Yémen111, le graffiti arabe à Beyrouth fait figure d'innovation totale. Le lettrage en arabe adapte le graffiti à ses potentiels récepteurs et le rend compréhensible. En effet, si Beyrouth est connue comme ville cosmopolite et que ses habitants, plus que dans les périphéries, pratiquent plusieurs langues, graffer en libanais et en arabe permet à l'ensemble de la population - et, en conséquence, moins aux étrangers ne les parlant pas - de comprendre les messages qui seront véhiculés dans ce dialecte et cette langue. L'introduction des lettres arabes par Fish dans la seconde moitié des années 2000 est suivie de nombreuses initiatives, comme Kabrit ou Meuh qui ont parfois écrit en arabe. D'autres ont directement choisi leur blase en arabe, à l'image de Mouallem et d'Ashekman, transcription libanaise d'un mot français, « échappement » (pour « pot d'échappement »). Deux remarques peuvent être faites quant à l'utilisation de l'arabe dans le graffiti. Premièrement, il semble « étonnant » que des graffeurs qui ne parlent que peu et, surtout, n'écrivent pratiquement pas en arabe par rapport au reste de la population réinvestissent cette langue dans leur pratique artistique. Comment cela se fait-il, quel en est l'intérêt ? Au regard des entretiens menés, l'intention d'être compris par l'ensemble de la population, l'esthétique ainsi que la symbolique de l'utilisation de l'arabe constituent des facteurs décisifs. Par ailleurs, dans les discours, cette adaptation locale peut être le fruit d'enjeux de visibilité ou de représentation de soi particuliers, nous y reviendrons. |
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