2. La réadaptation des formes artistiques locales
graffiti
Certains graffeurs tendent, comme dans le cas de l'arabe,
à actualiser des formes artistiques connues ou spécifiques au
« monde arabe », parfois au seul Liban. La calligraphie est, à
l'origine, « l'art par excellence de l'islam » où
« l'esthétique de la parole lue est liée au sens que les
mots inscrits véhiculent, à la rythmique de la récitation
et de la scansion, et à la forme même de l'écriture
». Nadeije Laneyrie-Dagen, historienne de l'art, ajoute que «
le rôle fondamental de la calligraphie s'explique par le
caractère sacré du Coran, « révélation »
consignée par écrit dès le milieu du VIIème
siècle. Sur les objets, sur les monuments,
111 Dans ces deux pays, les scènes sont plus
récentes encore ou étaient effectivement investies par des
étrangers. On pense par exemple à Banksy qui, en 2005, avait
peint le mur de séparation entre Israël et territoires
palestiniens.
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les inscriptions ont un caractère sacré
»112. Alors que la calligraphie arabe a longtemps
été réservée aux arts religieux, à la
joaillerie ou aux arts classiques, le graffiti constitue une
redécouverte et une modernisation de cette forme artistique. Cependant
la calligraphie, en alphabet latin, a déjà été
reprise dans le graffiti ; le graffiti en calligraphie arabe peut alors se
comprendre comme le mélange d'une pratique graffitique et d'un art
local. Qui plus est, là où la calligraphie arabe est
essentiellement religieuse, les graffeurs la réutilisent à des
fins profanes. Ce que certains vont jusqu'à appeler du calligraffiti
garde l'esthétique comme composante centrale de l'oeuvre, plus que
les graffitis en langue arabe qui conservent la centralité du message
véhiculé. Il serait d'ailleurs presque impossible de lire les
fonds en calligraphie arabe peints par Yazan Halwani ou Ashekman. La
calligraphie est alors principalement utilisée pour la
réalisation de fonds, ou pour dessiner des personnages dont le
remplissage est calligraphié.
Pièce et photo (c)Yazan Halwani
Plus localement, les graffitis en calligraphie arabe sous
forme de médaillon émergent progressivement. Si la calligraphie
arabe a souvent été utilisée pour réaliser des
formes et dessins particuliers, il s'agit ici, pour
112 LANEYRIE-DAGEN, Nadeije, Histoire de l'art pour
tous, Paris, Hazan, 2011, p. 318.
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les acteurs, d'une forme spécifiquement libanaise de
calligraphie, initialement utilisée dans la joaillerie. Certainement
empreint d'illusion biographique, cet attachement reste significatif,
puisqu'ils considèrent qu'elle aurait été introduite par
le grand-père de Kabrit dans les années 1950 - 1960, joailler.
Cette forme particulière ne peut, dans tous les cas, pas se concevoir
sans la calligraphie arabe, et contient une dimension symbolique forte, qui
renvoie à la fois aux formes calligraphiques du graffiti, à la
calligraphie arabe, et à son adaptation libanaise. L'utilisation de la
calligraphie dans le graffiti se conçoit comme une fenêtre
d'opportunité pour les graffeurs : elle permet d'entrer sur le
terrain de l'innovation, tout en connectant celle-ci aux
récepteurs. Cette réadaptation a partie liée avec les
trajectoires biographique et artistique des acteurs, leur relation personnelle
à telle forme d'art ou aux réactions qu'elle peut susciter :
L'analyse biographique ainsi comprise peut conduire aux
principes de l'évolution de l'oeuvre au cours du
temps : en effet, les sanctions positives ou négatives,
succès ou échecs, encouragement ou mises en garde,
consécration ou exclusion, à travers lesquels
s'annonce à chaque écrivain
(etc.) - et à l'ensemble de ses concurrents - la
vérité objective de la position qu'il occupe et de son devenir
probable, sont sans doute une des méditations à travers
lesquelles s'impose la redéfinition incessante du « projet
créateur », l'échec encourageant à la reconversion ou
à la retraite hors du champ tandis que la consécration renforce
et libère les ambitions initiales113.
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