B - L'iconographie :
C'est tout le rôle de l'iconographie, dans lequel
s'insère notre drapeau. Trop de changements dus à la circulation
seraient fatals pour les sociétés humaines, celles-ci se sont
donc dotées d'un instrument de résistance : l'iconographie. Le
terme d'iconographie, dont l'origine byzantine1 rappelle la fonction
religieuse, renvoie de manière générale à
l'ensemble de « tenaces attachements à des symboles, parfois fort
abstraits »2 d'une communauté. L'iconographie, au lieu
d'être un facteur de décloisonnement, est un facteur de
cloisonnement de l'espace géographique3.
Ces symboles forment alors un socle sociétal vers
lequel l'ensemble des individus formant une communauté, et/ou une
nation, converge face au changement. C'est même un « ciment solide
» qui « lie les membres de la communauté qui acceptent la
cohabitation sous la même autorité politique »4.
Acquis dès le plus jeune âge, ce besoin de symboles répond
au besoin de remplacer les frontières « matérielles »
trop poreuses, par des frontières dans les « esprits ». C'est
tout le sens de la célèbre formule « c'est ainsi que les
cloisons les plus importantes sont dans les esprits »5. Jean
Gottmann rajoute même que l'iconographie est le « noeud gordien
»6 de la communauté nationale. En effet, plus cette iconographie
nationale est vivace, plus la communauté est liée, plus il est
facile pour le pouvoir politique de s'opposer aux effets néfastes de la
circulation. De la même façon, une iconographie nationale
surabondante est peut-être plus facilement sujette à
l'instrumentalisation politique (pensons à l'époque nazie en
Allemagne). Mais une iconographie nationale fluctuante, sans racines
structurelles, peut également constituer une coquille de
résistance vide facilement exploitable pour d'autres iconographies
concurrentes.
L'on constate vite dans ce concept d'iconographie, et Jean
Gottmann le fait justement remarqué, un apparentement au concept de
« genre de vie » de la géographie vidalienne. Jean Gottmann le
cite lui-même parlant de l'iconographie comme « une
auto-défense d'un genre de vie »7.
1 Lire à ce sujet M.Bruneau, 2000, « De
l'icône à l'iconographie, du religieux au politique,
réflexion sur l'origine byzantine d'un concept gottmanien »,
Annales de Géographie, n°616, Paris, pp. 563-579
2 JEAN GOTTMANN, 1952 : 220
3Voici une définition de l'iconographie
donnée par Jean Gottmann: «L'iconographie, ensemble des symboles,
abstraits et concrets, qui résument les croyances et les
intérêts communs à une collectivité, constitue le
ciment donnant sa cohésion et sa personnalité politique à
cette collectivité; elle est donc un facteur de stabilisation politique,
un mole de résistance au changement, à moins que celui-ci ne soit
sous une forme dynamique introduit dans l'iconographie même de la
collectivité». Jean Gottmann, «La politique et le
concret», paru d'abord dans Politique Étrangère,
Paris, 1963, nos 4-5, p. 273-302 et publié à nouveau dans
id., p. 55-76, p. 62-63.
4 JEAN GOTTMANN, 1952 : 220
5 JEAN GOTTMANN, ibid
6 JEAN GOTTMANN, ibid
7 JEAN GOTTMANN, 1952: 156-157
17
L'iconographie nationale se divise en trois branches : «
la religion, le passé politique, et l'organisation sociale
»1. Ces branches iconographiques, par leurs actions limitatives
de la circulation, enracinent un peuple sur son territoire, et participent de
l'instauration et de la stabilité d'une autorité sur un
territoire (« facteur de stabilisation politique »2). Ces
symboles sont donc l'appendice de toute formation d'une entité politique
sur un espace donné, de sa stabilité et de sa
pérennité.
A l'instar de la circulation qui peut devenir réseau,
l'iconographie dérive vers la notion de territoire. Puisque
l'iconographie permet de fixer, de créer un lien vertical entre un
espace et un peuple, ne doit-on pas parler de processus de territorialisation,
aboutissant à la formation du territoire d'un peuple ? L'iconographie
érige des frontières dans les esprits, bien plus que dans les
faits matériels, elle devient ainsi une machine à créer un
« nous » qui habitons dans ces frontières spirituelles
partagées (sur notre territoire), et des « autres » en dehors
de ces cloisons mentales3. C'est toute la définition du
territoire en géographie. Il devient un espace vécu puis
sacralisé4.
L'iconographie n'est pas toujours autant stabilisante que l'on
pourrait l'imaginer. « Les symboles de l'iconographies ne sont pas
rivés au sol »5. En effet les iconographies se diffusent
par les voies de la circulation. Elles ne sont d'ailleurs pas inactives. Elles
peuvent se modifier, pour le besoin inévitable de changement («
elles ne sont pas inamovibles »6). Toutefois, il s'agit de
symboles tenaces. Intervenir de façon trop radicale et directe en
changeant les iconographies revient à risquer l'implosion du socle de
cohésion sociale d'un Etat. Jean Gottmann rajoute : « refaire les
iconographies, c'est refaire les esprits »7.
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