CHAPITRE SECOND
LE DRAPEAU DANS LE CADRE CONCEPTUEL
DE JEAN GOTTMANN
I - La dialectique circulation/iconographie et sa
substitution
réseaux/territoires
S'il est surtout connu pour son concept de «
mégalopolis », Jean Gottmann a développé une
réflexion avant-gardiste sur les relations entre l'espace
géographique (espace habité par les hommes) et la
politique1. Son livre majeur La Politique des Etats et leur
Géographie2 est ainsi l'expression menée à
son but ultime de sa pensée. Longtemps marginalisée, en lien avec
un relatif retrait de la Géopolitique encore trop connotée
à la Geopolitik allemande durant les années 1950-1980, la
pensée de Jean Gottmann propose une refonte méthodique de la
pensée géopolitique dans laquelle le drapeau occupe une place
prépondérante dans le cadre d'un système ingénieux.
Il propose ainsi un cadre conceptuel qui structure l'espace géographique
en perpétuel mouvement.
Peu de géographes, ou de géographes politiques,
ou même de géopoliticiens n'ont abordé, ni
intégré la question des symboles dans la géopolitique
autant que Jean Gotttmann ne l'a fait. En outre, aujourd'hui encore, la place
des symboles en géographie est encore marginalisée, à
l'image du peu d'études réalisées sur les drapeaux en
France. La vexillologie reste encore à l'heure actuelle une discipline
en marge de l'héraldique par exemple, et ne s'intègre que trop
peu dans les problématiques géographiques.
Le raisonnement de Jean Gottmann obéit à une
seule question philosophique qu'il applique à la géographie :
celle de la continuité du changement3. A cette question, son
point de départ pour son application dans la géographie
politique, est ce qu'il nomme le « cloisonnement du monde ». La
métaphore de la boule de billard pour incarner la terre fait
apparaître à Jean Gottmann l'impossibilité pour l'espace
géographique d'être « lisse ». Il existe un espace
géographique segmenté, fragmenté par des cloisons (d'un
point de vue matériel des frontières). Et toute sa pensée
se porte sur l'étude de l'évolution de ces cloisons, qui
créent alors des régions (qu'on appelle nous pays), ce qu'il
nomme lui l'évolution des régionalismes4.
1 Lire Georges Prévélakis, « Jean Gottmann
» dans Jacques Lévy, Michel Lussault (sous la direction),
Dictionnaire de la Géographie et de l'espace des
Sociétés, Belin, Paris, 2003, p. 414-416.
2 Publié en 1952, sans réception
extraordinaire. La géopolitique est encore marquée du fer de la
« Geopolitik » allemande ayant conduit au désastre de la
Seconde Guerre Mondiale
3 PREVELAKIS, 2001 : 47
4 Lire le chapitre VIII « Genèse et
évolution des régionalismes », JEAN GOTTMANN, 1952 :
pp.213-225
15
C'est à ce moment que le géographe propose sa
dialectique circulation/iconographie pour bien saisir toute la
complexité des mouvances du cloisonnement du monde. N'importe quel
régionalisme politique emprunte toujours la voie de cette
dialectique.
Un régionalisme, a fortiori la formation d'un
Etat, se meut donc entre deux systèmes : un système de mouvement,
et un système de résistance au mouvement1, les deux
demeurant évidemment dépendant l'un de l'autre. On ne peut donc
pas étudier l'un sans l'autre. La question du drapeau doit donc
être traitée dans cet ensemble théorique.
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