IV.2.2.a. Un secteur agro-industriel souvent
opposé à l'agriculture familiale.
Dans un contexte d'émergence d'une conscience
écologique, les exploitations familiales semblent pouvoir aller de pair
avec le changement de paradigme prôné. L'agriculture
conventionnelle des entreprises agricoles voit sa méthode de production
remise en cause67. Les techniques intensives sont accusées de
créer des problèmes environnementaux (terres de moins en moins
fertiles, pollution de l'air, des nappes phréatiques...) par les ONG
environnementales (WWF, GREENPEACE).
Il est vrai que l'agriculture mondiale actuelle n'a pas permis
à l'ensemble des pays en voie de développement, notamment ceux
africains, d'atteindre l'objectif du millénaire pour le
développement (OMD) en 2015. Bien au contraire, le continent est encore
confronté à des phénomènes de famines
(Nigéria, Soudan du Sud, Somalie) en 2018, résultat de conflits
mais aussi de sècheresses68 répétées.
Ils sont également confrontés à des problèmes de
malnutrition. Or, l'agriculture familiale qui compose 95 % des exploitations
des pays, faute de moyens et de formations, tire peu profit de l'ensemble des
avantages que leur procure leur environnement et ne parvient pas à
assurer les besoins alimentaires quotidiens des populations, ce qui les conduit
à importer.
Ainsi, depuis les émeutes de la faim en 2008, de
nombreux pays africains notamment le Mali ont dû faire face à une
augmentation de leur facture alimentaire (Adamczewski, 2014). Celle de
l'Afrique, à elle seule, a augmenté de 74 % entre 2007 et 2008
(FAO, 2008). Ceci montre l'enjeu stratégique qu'est la nourriture et la
vulnérabilité des pays importateurs de denrées
alimentaires. Le Mali, face à cela, a
67 M.M Robin « Les moissons du futur ? » 2012.
1h30. Arte Ed.
68 Des sècheresses qui incomberai au changement
climatique, provoquée par l'activité anthropique.
123
mis à disposition des investisseurs étrangers et
nationaux d'immenses terres arables « inexploitées et vides
d'hommes ».
Le but de ce nouveau processus est de mettre en valeur des
terres peu voire pas exploitées par les populations qui l'occupent. Les
investisseurs étrangers comme nationaux en quête
d'opportunités, capables de procéder à des
aménagements, coûteux69 et de mener une agriculture
moderne et productive, sont favorisés et attirés. Des terres
arables de l'ON sont donc aménagées.
Ce processus est par ailleurs sujet à de nombreux
débats70. En effet, l'implantation de ces projets sur des
étendues de terre (variant de 50 hectares à 100 000 hectares pour
les projets les plus grands) en théorie vides d'hommes et
inexploitées sont en réalité occupées par des
populations qui pratiquent une culture pluviale en zone sèche.
L'arrivée des investisseurs engendre leur déplacement.
C'est le cas par exemple avec l'implantation du Complexe
Agropastoral et Industriel (CAI) de Modibo Keita sur 20 000 hectares
accordés par l'ON, à soixante kilomètres de Ségou,
à cheval entre la commune de Sibila et celle de Pogo. L'implantation de
ce complexe, appartenant à un milliardaire (en FCFA) malien a
engendré de nombreux litiges et critiques. Certains jugent la
procédure non conforme, basée sur des combines entre
l'État et l'investisseur, et contestent cette implantation. Si l'ON est
en théorie le gestionnaire de ces projets « faramineux »,
Modibo Keïta aurait usé de ses liens étroits avec
l'ex-président Amadou Toumani Touré (ATT) pour avoir ces terres.
Cela serait fréquent pour ce type de convention (Adamczewski, et al
2013). Ainsi, l'investisseur est accusé de ne pas avoir conduit
d'étude sociale et environnementale et d'occuper des terres
illégalement, terres que les villages de Sanamadougou et Sahou
revendiquent. Le litige a été porté en 2010 devant les
instances judiciaires, censées trancher la question. À ce jour,
le complexe de Modibo Keïta occupe 20 000 hectares contre 7 500 au
départ. Cette expansion découle de la chute de Kadhafi et des 100
000 hectares du projet Malibya.
69 Soit 4 500 euros /hectares
70 - Amandine, Adamczewski. Qui prendra ma terre ? L'Office
du Niger, des investissements inter- nationaux aux arrangements fonciers
locaux. Géographie. Université Montpellier Paul
Valéry - Montpellier III, 2014.
-Florence Brondeau, Confrontation de systèmes
agricoles inconciliables dans le delta intérieur du Niger au Mali ? ,
Études rurales, 191 | 2013, 19-35.
124
S'il est vrai que ce type d'aménagement est
controversé, il ne faut pas pour autant le bannir entièrement,
mais l'améliorer. Les terres accordées sont bien souvent
pharaoniques et ne sont pas toutes mises en valeur, à l'image de ce CAI.
Sur les 20 000 hectares que Modibo Keïta possède en 2018, seulement
5,7 % ont été mises en valeur, soit 1 138 hectares. La taille des
terres octroyées devrait être mieux étudiée et
adaptée à la capacité réelle de l'investisseur
à aménager des terres. Si cela nécessite un
déplacement, les populations ne doivent pas être
lésées par le processus. Le partenariat doit être
gagnant-gagnant.
Ce type de complexe permet une relance économique du
secteur agricole et l'accroissement de la production nationale, mais aussi des
créations d'emploi pour les populations.
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