III.2. 2 Accès limité aux semences
III.2.2.a. Le défi de l'accès aux
semences de pommes de terre
L'accès aux semences est difficile. Cela est
particulièrement vrai pour la pomme de terre. C'est d'ailleurs l'une des
raisons de la faiblesse de sa production en zone ON. Le pouvoir d'achat pour
les semences conditionne souvent le type de spéculation produite. Il
s'agit d'un paramètre important, à prendre en compte pour la
production. Or, les semences de pommes de terre cultivées en zone ON
sont majoritairement achetées auprès de commerçants venant
de Sikasso. Lors des sondages réalisés auprès des
exploitants dans la zone de Niono, dans les trois villages concernés, 19
des 53 personnes sondées produisaient de la pomme de terre. Par
ailleurs, 100 % des producteurs de pomme de terre déclaraient avoir
acheté les semences de pommes de terre auprès de
commerçants de Sikasso. C'est le cas par exemple de la
coopérative de femmes de Djicorobougou. Ces dernières, par le
biais de prêts auprès de la BNDA, achètent des semences
provenant de Sikasso, remboursées ensuite à la coopérative
puis à la banque une fois les productions écoulées. Mais
la véritable contrainte reste le prix des semences, à raison de 1
250 FCA (1,9 €) le kilogramme. À titre indicatif, pour cultiver un
hectare de pommes de terre, il est préconisé de semer 50
caisses37 de semences en zone ON, contre 40 caisses à Sikasso
(Bengaly, Ducrot, 1998). Ainsi, pour l'achat de semences de pommes de terre, un
exploitant devrait débourser 1 562 500 FCFA (2 382€). Une somme non
négligeable, pour des ruraux aux revenus modestes. Cette somme
s'explique par le monopole de commerçants semenciers dans cette zone. La
politique d'indépendance semencière ne fonctionne pas
véritablement.
III.2.2.b. Les tentatives d'indépendance
semencière en zone ON
Des tentatives ont été faites, comme le WAAPP,
qui résulte d'un partenariat entre l'ON et l'IPR/IFRA de Katibougou. Une
coopérative de producteurs de semences de pommes de terre a
été mise en place ; son président est Amadou Mariko. Le
but était de permettre à cette « nouvelle » zone
productrice de pommes de terre de s'affranchir de la dépendance en
semences vis-à-vis de Sikasso.
37 1 caisse = 25 kilogrammes
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Ainsi, à partir de 2007, la Banque mondiale, par le
biais du WAAPP, finance la sélection de gènes et
l'amélioration d'une variété locale dans les laboratoires
de l'Institut Polytechnique Rural de Formation et de Recherche Appliquée
(IPR/IFRA) de Katibougou (Koulikoro), qui sont ensuite plantées sous des
serres afin d'aboutir à des plants de petites tailles (G0=
Génération 0).
Ensuite, ces générations 0 sont données
à des exploitants semenciers, regroupés en quatre
coopératives dans la zone ON (deux dans la zone de Niono, deux dans la
zone de Molodo). Ainsi, cette culture de la G0 donne la G1
(Génération 1), qui est ensuite rachetée par le WAAPP,
à 55 FCFA (0,08€) le tubercule. À raison de 16 tubercules en
moyenne par plant, et pour une planche de 10 mètres, on sème 100
plants pour les G1, ce qui représente 88 000 FCFA (134 €) de gain
pour une seule planche.
Ces G1, obtenues par le semis de la G0, sont ensuite
stockées dans des chambres froides pendant huit mois. Puis, le WAAPP
cède ces G1 aux exploitants producteurs de G2 à la campagne
suivante. Grâce à la culture de la G1, ils obtiennent la G2. Les
coopératives productrices de semences de la G2 sont au nombre de neuf,
regroupées à Djabali (Zone de Kouroumari).
Le cycle est le même pour la production de la G3,
réalisée par 80 coopératives38
dispatchées entre Sokolo, Niono, M'béwani, N'témou et
Hérémakono.
Enfin cette G3 est vendue au WAAPP à 600 FCFA (0,9
€) le kilo ; après l'avoir stocké huit mois en chambre
froide, il les vend aux producteurs de pommes de terre à 750 FCFA
(1,14€) pour la production de pommes de terre commerciales.
Les variétés concernées par ce programme
sont deux variétés améliorées : Spunta et Sahel.
Théoriquement, le projet était conçu pour
fonctionner de cette manière. Mais force est de constater que la
réalité est différente. Au départ, l'objectif
était de produire 750 tonnes de semences G3 par an. Un objectif qui n'a
bien évidemment pas été atteint. Cela résulte en
partie du manque d'infrastructures pour la conservation durant les huit mois
prévus entre les productions de génération 0 à la
semence commerciale.
Il était prévu que le WAAPP construise des
chambres froides pour la conservation des semences (G1, G2 et G3) avant leur
production l'année suivante. Une promesse non tenue. Ainsi, la
première année, les infrastructures pour la conservation
faisant
38 Onze au départ, à Sokolo, dans la zone de
Kouroumari. Ce qui ne suffisait pas.
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défaut, les semences (G1) ont été
stockées à Katibougou (Koulikoro), où la capacité
des chambres froides n'était pas suffisante.
Conteneurs du WAAPP à
Niono
Source : Drabo, A (Mars 2018) Commentaire : Les deux
conteneurs frigorifiques du WAAPP, prévus pour la conservation des
semences (G1 et G2), avant leur mise en production. Ces chambres sont
situées dans la ville même de Niono; l'entretien est à la
charge du WAAPP.
Puis, l'année suivante, pour la conservation, des
conteneurs, d'une capacité de 40 tonnes, par chambres ont
été données par le WAPP. À leur tour, ils n'ont pas
suffi à stocker l'ensemble des G1, G2 et G3. Celles-ci ont alors
été envoyées à Bamako chez un privé,
propriétaires de chambres froides pour les tomates. Ceci aboutit au
pourrissement de l'ensemble de la production.
L'année dernière, une autre méthode a
été essayée. Un mois après les récoltes, les
trois chambres froides du PCDA à Niono (deux seulement étaient en
état de marche) leur ont été cédées. Cela
n'a pas constitué une véritable solution, car les chambres
froides leur ont été cédées bien trop tard. Des
tubercules avaient entamé leur
85
processus de pourrissement, processus qui se propage et
infecte les tubercules sains. Néanmoins toute la production n'a pas
été perdue.
Outre ce manque d'infrastructures mettant en péril
l'aboutissement de ce projet à la production de semences, la
durabilité du projet dans le temps est à mettre en avant. Comme
pour bon nombre de projets d'aide au développement, la présence
des partenaires au développement permet de maintenir à flot le
projet ; mais qu'advient-il à leur départ ? Même si ces
infrastructures sont mises en place par le WAAPP, les semenciers seraient-ils
encore capable de prendre en charge l'entretien et le payement des factures ?
La dépendance ne serait-elle pas un revers ? Encore un exemple parmi
tant d'autres, de projet viable uniquement par « perfusion » de
partenaire au développement.
À ce jour, le défi de la production de semence
demeure. Les pommes de terre produites en zone ON sont issues des semences
achetées aux commerçants
L'office a par ailleurs d'autres alternatives, pour favoriser
l'accès à des semences en quantité et de qualité,
ceci à moindre coût. Il reflète certainement
l'incapacité pour le moment des acteurs endogènes à mener
un tel projet. En ce sens, dans la dynamique de ce que certains appellent
« l'accaparement des terres agricoles », ou « land
grabbing », l'ON étudie le projet d'une entreprise
immobilière et agricole indienne, SNEGINDIA-SA. Déjà
présente dans la commune rurale de Mbane au nord ouest du
Sénégal, elle dispose d'un complexe agro-industriel de 1 500
hectares pour la production de pommes de terre mais également de
semences. Les techniques et les infrastructures agricoles y sont modernes et
permettent à l'entreprise de produire 5 000 tonnes de semences de pommes
de terre et 50 000 tonnes de pommes de terre pour la consommation, soit presque
le double de ce qui est produit dans toute la zone ON. Au vu des potentiels du
périmètre irrigué qu'est l'ON, la société
prévoit de venir s'y installer, et semble sur la bonne voie. Mais
à quel prix ? Certainement, aux prix d'une perte de souveraineté
alimentaire et à l'image des autres grands projets passés, comme
le projet Malibya ou celui de Tomota, des déplacements seront
nécessaires. Les exploitations familiales, bien peu performantes,
devront laisser place à cette entreprise moderne, disposant de plus de
moyens pour mener une agriculture intensive. Les producteurs devront se
contenter de compensations si tant est qu'elles leur soient distribuées,
et du travail salarial que l'entreprise leur apportera.
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3. La conservation et la transformation : de
véritables défis à
relever.
Outre ce défi de la production pour ces deux
spéculations, la conservation et la transformation empêchent les
exploitants de jouir de prix suffisamment rémunérateurs pour leur
production. Aujourd'hui, les moyens relativement modestes ne permettent pas aux
producteurs de minimiser les taux de perte lors de la conservation de
l'échalote et de la pomme de terre. Ainsi, ils vendent souvent la
récolte à des prix très bas
III.3.2. La conservation : les méthodes de
conservation et leur situation dans la
zone ON
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